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Une seule solution : réguler le prix du pétrole par des accords internationaux producteurs-consommateurs

vendredi 11 juillet 2008, par Jacques Cheminade

11 juillet 2008 (Nouvelle Solidarité) - Le baril de pétrole a atteint les 145 dollars et 66% des transactions sur l’or noir relèvent de la spéculation. Nous sommes dans un krach hyperinflationniste mené par le repli des acteurs financiers sur les matières premières - des valeurs tangibles - depuis que la pyramide de titrisation financière a entamé sa chute en août 2007. Une intervention concertée au niveau international relève désormais de la survie des populations et des nations, face à une oligarchie financière qui provoque sciemment cette situation.

Nous publions à nouveau ici la proposition de Jacques Cheminade pour des accords internationaux producteurs-consommateurs du 27 septembre 2005, déjà republiée le 17 octobre 2007, alors que le baril atteignait déjà, respectivement, 60 et 88 dollars...


Une seule solution : réguler le prix du pétrole par des accords internationaux producteurs-consommateurs

Aujourd’hui, la hausse du prix de pétrole n’obéit à aucune considération rationnelle. Elle constitue une taxation de fait imposée par les cartels financiers pour alimenter leur bulle spéculative au détriment de l’économie productive. Tout le système d’approvisionnement de l’économie mondiale en énergie a été pris en otage par des intérêts qui doivent être très rapidement muselés. A cet effet, les gouvernements des principaux Etats producteurs et consommateurs doivent redéfinir entre eux une règle du jeu à leur avantage mutuel et à celui de leurs peuples pour se substituer à une loi de la jungle qui aboutit à la désintégration de l’économie mondiale.

I- Le système actuel est par nature destructeur
  • Premier fait : il n’y a aucune relation entre le prix du pétrole, les quantités produites et la consommation mondiale. Ainsi, le prix du pétrole a plus que doublé depuis 1992 alors que la production n’a augmenté que de 15 % et que la consommation ne s’est pas considérablement accrue. La politique de l’OPEP et du Président du Venezuela, la hausse de la consommation en Chine ou le blocage de la production en Irak n’ont pas été des facteurs fondamentaux sur les marchés.
  • Deuxième fait : il n’y a actuellement aucune pénurie pétrolière physique, mais seulement une capacité insuffisante de raffinage aux Etats-Unis (52% de cette capacité est entre les mains de six compagnies), dans les pays développés et en Chine du fait d’une politique systématiquement imposée par les cartels pétroliers, qui préfèrent racheter leurs actions et distribuer les dividendes plutôt que d’investir. Il y a eu aussi l’effet haussier - voulu - d’une multiplication des méga-fusions/acquisitions entre compagnies pétrolières.
  • Troisième fait : cependant l’essentiel de la hausse n’a pas tenu à ces politiques malthusiennes, qui l’ont simplement entretenue. Celle-ci a été provoquée à partir du début des années 1970 par l’abandon de contrats de fourniture de pétrole à des prix stables, sur de longues périodes (plus de vingt-quatre mois), qui ont été remplacés par la fixation des prix sur des marchés spot et des marchés à terme. C’est en particulier après les chocs pétroliers de 1973-1974 et 1979 que ces marchés sont devenus dominants. Le marché spot (achats de vingt-quatre à quarante-huit heures avant la livraison physique du bien) a été créé en 1969 par Philipp Brothers, avec l’intervention active du trader Marc Rich, et s’est fortement développé après 1974. Les marchés à terme, eux, sont devenus actifs à partir du début des années 80, sous le contrôle de l’oligarchie financière et bancaire.
  • Quatrième fait : L’International Petroleum Exchange (IPE) de Londres, premier marché à terme, a été créé en 1980 et se trouve aujourd’hui contrôlé par l’International Exchange d’Atlanta (Etats-Unis). Il était présidé en 2004 par Robert Reid, un ancien de la Royal Dutch Shell, et son conseil d’administration était composé de divers intérêts de l’oligarchie financière anglo-américaine (Goldman Sachs, Morgan Stanley, etc.), ainsi que, par exemple, de la BNP-Paribas. Le New York Mercantile Exchange (NYMEX), second marché à terme, a commencé à opérer sur des contrats pétroliers à terme en 1983 et se trouve contrôlé par des intérêts financiers associés à ceux de l’IPE. A eux deux, ces marchés à terme ont le monopole du prix mondial.
  • Cinquième fait : ces marchés négocient du pétrole-papier (paper oil) à terme avec un effet de levier considérable, d’où découle leur pouvoir absolu. Ainsi, pour l’équivalent de 570 barils de pétrole négociés chaque année sur les marchés à terme de produits dérivés de l’IPE et du NYMEX (contrats de produits dérivés couvrant 570 barils), il n’y a qu’un baril de pétrole physique sous-jacent. Pire encore, sur le marché de l’IPE, on peut jouer avec une marge de 3,8% (c’est-à-dire qu’en investissant seulement 1520 $, qu’on peut par ailleurs emprunter, on peut jouer sur un contrat à terme de 40 000 $ !) C’est cet effet de levier qui permet à un nombre très limité de spéculateurs de contrôler les prix mondiaux du pétrole. Toute hausse est à leur avantage. Résultat : par une livraison de pétrole entre le lieu de production et la centrale de raffinage,, le même baril s’achète et se revend trois à quatre fois en période normale, dix à quinze fois lors des flambées spéculatives.

En bref, les malades mentaux de la spéculation financière ont pris le contrôle de l’asile économique.

II- Re-régulation et retour des Etats

Ce système destructeur ne peut continuer. Au nom de l’intérêt de leurs économies et de leurs peuples, les Etats doivent revenir sur la scène politique de l’énergie, et non rester les supplétifs des cartels financiers.

  1. Ils doivent déclarer un état d’urgence et se donner pas plus de quatre-vingt-dix jours pour mettre en place un contrôle des prix ;
  2. Ces prix ne doivent plus découler des marchés spot ou à terme, mais de contrats à moyen terme (au moins un an) entre Etats exportateurs et Etats consommateurs, dans leur intérêt mutuel ;
  3. Les prix doivent être fixés à un niveau raisonnable, permettant les investissements des pays producteurs, l’exploration et le maintien de leurs infrastructures, ainsi que l’alimentation des producteurs et des transports dans les pays consommateurs. Ce prix, la part spéculative se trouvant soustraite du prix actuel, devrait être de l’ordre de 25 à 30 dollars le baril ;
  4. Toutes les capacités existantes de raffinage doivent être utilisées, et des accords Etats-compagnies négociés pour la mis en place de nouvelles. Il est inadmissible que les bénéfices réalisés en 2004 et 2005 par les cinq principales compagnies pétrolières mondiales (84 et 100 milliards de dollars respectivement) soient économiquement stérilisés sous forme de distribution de dividendes ou de rachat de leurs propres actions.

En conclusion, ces mesures sont essentielles pour mettre un terme à un segment particulièrement destructeur de la spéculation financière mondiale. Cependant, le règlement de l’ensemble du problème suppose la mise en place, à une échelle plus générale, d’un nouveau Bretton Woods. Les Etats doivent reprendre leur rôle traditionnel, qui est de défendre leurs économies et leurs peuples. Sans cela, la crise mondiale qui s’ensuivra sera de même nature que celle de l’Allemagne de Weimar après l’été 1923. Nous sommes déjà, économiquement et financièrement, à la fin du printemps. La hausse des actifs financiers s’est déjà répercutée sur le prix des matières premières et le prochain maillon de la chaîne inflationniste est un effet d’entraînement sur les biens de consommation et de production. C’est pourquoi, si j’exerçais les plus hautes fonctions de mon pays, je prendrais immédiatement l’initiative.