Les écrits de Lyndon LaRouche

Lettre ouverte au Washington Post : Kerry et les sophistes athéniens

mercredi 2 juin 2004, par Lyndon LaRouche

L’édition du 23 mai 2004 du Washington Post, pages Outlook, contient un article signé James Mann, un associé du CSIS (Center for Strategic and International Studies), sur le désastreux spectacle que nous offre la campagne démocrate du sénateur John Kerry. Les six derniers paragraphes de cet article soulèvent un point important, mais se contentent d’exposer le problème de Kerry, au lieu d’identifier la cause sous-jacente, mais non irrémédiable, de sa tragique prestation.

Au premier abord, le problème évident du sénateur est que, quelles que soient les qualités plus nobles qu’il puisse avoir par ailleurs, elles sont pour l’instant étouffées par la mafia financière qui règne sur le Comité national démocrate. Dans le cas d’un boxeur professionnel, de telles pressions exercées par ses managers seraient peut-être tolérables, mais elles ne peuvent excuser la docilité d’un homme d’une autre profession, aspirant à devenir le Président de notre République alors que nous affrontons des problèmes gravissimes.

Un homme se proposant de devenir Président dans le contexte actuel de guerre et d’effondrement monétaro-financier global n’a pas le droit moral de faire passer, par opportunisme, son ambition personnelle avant l’intérêt de la nation et de son peuple. Comme le constate James Mann, l’attention que Kerry porte à des vétilles revient à refuser de reconnaître que l’engagement personnel du vice-président Dick Cheney, depuis 1991-1992, en faveur de guerres nucléaires préventives - contre différents pays successivement - représente déjà un désastre plus sinistre que le bourbier qui se mit en place au Vietnam. (...)

J’ai abordé ce sujet à de nombreuses reprises, dans mes écrits et mes discours. Je vais donc récapituler ici l’essentiel de cet argument, dans un langage adapté aux lecteurs typiques du Post.

Pourquoi, par exemple, Kerry a-t-il été suffisamment stupide pour se joindre, en 2002, à la meute soutenant la guerre de Bush ? Voilà l’un des principaux doutes concernant la capacité de jugement de Kerry, qui ne s’estompera en aucun cas lorsque démarrera la campagne contre Bush-Cheney, à la fin de l’été.

Un prix du pétrole atteignant quarante dollars le baril constitue une mise en garde de la manière dont sont imbriquées les deux questions cruciales que Kerry ne veut pas voir : l’effondrement monétaro-financier et les réalités qui sous-tendent notre engagement dans la guerre d’Irak. Cependant, une fois que nous aurons convenu que les prises de position de Kerry sur ces deux questions risquent de transformer l’élection de novembre 2004 en une caricature de celle de 2000, nous devrons regarder plus loin que les défauts personnels du candidat, notamment si les électeurs veulent accéder à une compréhension adéquate du défi qui se pose à eux. (...)

Le scandale qui agite le boudoir politique du Parti démocrate et que Mann n’aborde pas, c’est la répudiation éhontée du legs de Franklin Roosevelt. Nous sommes au bord d’une dépression globale - une dépression de nature systémique et non simplement cyclique - qui exige un remède systémique, non pas des promesses du type « élisez-moi et je serai bon pour vous », comme celles que rabâche la campagne de Kerry. S’il entend devenir un candidat présidentiel sérieux d’ici novembre prochain, il doit relever le défi de se hisser, dans le contexte de la crise monétaro-financière actuelle, au niveau d’un nouveau Franklin Roosevelt, écho de celui dont l’élection allait sauver le monde d’un empire mondial nazi, soutenu par la synarchie, tout en épargnant aux Etats-Unis le type de mesures d’austérité fiscale qui auraient amené le fascisme aux Etats-Unis comme elles le firent partout en Europe dans la période 1922-45.

Kerry n’acquerra pas les compétences nécessaires pour être Président tant qu’il n’aura pas reconnu que je suis le seul candidat qualifié, sur les plans techniques et émotionnels, pour remplir cette fonction dans le contexte mondial actuel. Etant donné que je suis haï, mais aussi redouté, par des éléments importants de notre establishment financier depuis que j’ai montré les vraies couleurs schachtiennes du professeur Abba Lerner, lors d’un débat public à New York, en 1971 - et que je suis détesté encore plus vivement pour avoir amené le président Reagan à proposer l’Initiative de défense stratégique -des mesures ont été prises, qui auraient été considérées comme moralement impensables autrefois, afin de m’exclure des débats publics avec les candidats. Dans le cadre de ces mesures, un Comité national démocrate implicitement raciste a effectivement réussi à annuler la loi sur le droit de vote de 1964. Kerry est devenu le candidat favori parce que l’on présumait qu’il serait incapable de prendre le genre de mesures anti-schachtiennes que Roosevelt mit en œuvre afin d’empêcher, aux Etats-Unis, toute prise de pouvoir fasciste comme celle qui eut lieu en Allemagne en mars 1933. Ce n’est donc pas entièrement de sa faute s’il fait preuve d’une telle incompétence systématique dans sa campagne depuis ses victoires en Iowa et au New Hampshire ; c’est précisément à cause de ce défaut personnel qu’il a été choisi, et pour ces faiblesses qui suscitent maintenant un désespoir grandissant parmi ceux qui voulaient le soutenir.

Les caractéristiques bestiales, marques du système nazi dont on retrouve l’écho dans le scandale d’Abou Ghraib et que l’on pouvait déjà prévoir avec Guantanamo, laissent présager ce que représenterait la réélection de Bush-Cheney en janvier 2005.

L’exemple de la Grèce antique

Un soir, l’un de mes collaborateurs allemands m’a pris à part pour discuter d’Ernst Curtius, un historien allemand du XIXème siècle, expert de la Grèce ancienne. Ces passages de Curtius sur la guerre du Péloponnèse étaient nouveaux pour moi et constituaient un précieux complément à mes connaissances. Cependant, l’argument de mon collaborateur n’était en aucun cas nouveau. Le récit de Curtius est utile, mais pour trouver les racines systémiques plus profondes concernant cette question, l’on doit chercher ailleurs, par exemple dans les dialogues de Platon. Le sort d’Athènes représente une bonne illustration du type de déclin dans lequel l’administration Bush-Cheney menace de plonger les Etats-Unis dans les prochains mois.

L’Athènes de Périclès, à l’époque principale nation de l’alliance ayant vaincu l’agression de l’Empire perse, se retourna contre ses alliés en vue d’imposer un empire athénien. Les crimes contre l’humanité perpétrés alors par Athènes menèrent à la guerre du Péloponnèse, qui allait détruire le pouvoir de la ville, et au processus de décadence culturelle et morale de la civilisation européenne d’où allait émerger plus tard ce mal que fut l’Empire romain.

La référence à Curtius illustre un point dont les historiens sympathisants de la cause de la Rome antique ne tiennent pas compte, mais qui était clair pour moi depuis longtemps grâce à des décennies d’études des pythagoriciens et de l’œuvre de Platon. Comme Platon le présente dans ses dialogues, ce sont les sophistes d’Athènes, responsables du meurtre légal de Socrate, qui exprimaient la corruption morale de l’Athènes de Périclès et de Thrasymaque, cette corruption sophiste qui avait rendu possible la guerre du Péloponnèse. Et l’on voit ce Thrasymaque, qui dirigea la phase la plus catastrophique de cette guerre, se refléter aujourd’hui dans la politique des Etats-Unis, dirigés par la marionnette de Dick Cheney qu’est George W. Bush. Ironiquement, pour ceux du Parti démocrate qui ne veulent pas attaquer Cheney, ce parti politique sophiste s’appelait « Parti démocrate d’Athènes ».

Cependant, mon collaborateur s’est trompé en se cantonnant à la description du rôle des sophistes. Avant eux, le même réductionnisme était aussi la caractéristique essentielle des Eléates, puis, plus tard, de la méthode rhétorique d’Aristote, pour l’essentiel. Les sophistes, principale cible des dialogues de Platon, ne représentaient qu’un aspect de la succession d’influences corruptrices qui amenèrent l’ancienne civilisation grecque aux effets ruineux de la guerre du Péloponnèse et de ses suites. Ce sophisme réductionniste se retrouve, dans sa forme extrême, dans le legs implicitement néo-fasciste du Congrès de la liberté culturelle.

C’est cette méthode sophiste - que l’on retrouve dans le culte d’Apollon à Delphes et chez les Eléates - qui est exprimée à l’extrême par les cultes existentialistes populaires en vigueur aujourd’hui dans nos universités. C’est cette méthode d’argument alambiquée, de manipulation de l’« image », qui fournit la dynamique philosophique de la corruption de la vie politique américaine, sous le règne des grands prêtres du populisme médiatique.

L’exemple type de sophisme moderne est l’attitude consistant à faire un commentaire pour expliquer une tendance apparente des événements, plutôt que d’agir afin de réaliser un objectif qui aura été déterminé en fonction de la vérité. On chercherait alors une explication pour se préparer à se soumettre à ce qui est présenté comme « inévitable », au lieu de faire en sorte que ce qui est nécessaire se produise effectivement. Le sophisme est simplement une façon de rationaliser ce type particulièrement rebutant d’opportunisme.

Les sophistes qui perpétrèrent le meurtre légal de Socrate sont un exemple type de la même tradition qui domine de plus en plus la culture politique des Etats-Unis depuis le lancement de la guerre officielle en Indochine, après la mort de Kennedy, et depuis la sinistre réunion de Richard Nixon en 1966 à Biloxi, dans le Mississippi. La guerre de Cheney risque de devenir notre version de la guerre du Péloponnèse, à moins que nous ne choisissions un Président qui nous débarrasse de la réincarnation de Thrasymaque que représentent aujourd’hui la tradition du professeur Leo Strauss et le régime de Bush dominé par Cheney.

Le seul espoir, c’est que j’emporte l’investiture ou que Kerry, s’il est investi, suive mes conseils afin de se hisser bien au-delà de ses capacités actuelles.