Déclarations de Jacques Cheminade

Arrêtons l’inondation monétariste avec un vrai Nouveau Bretton Woods

mercredi 15 octobre 2008, par Jacques Cheminade

Déclaration de Jacques Cheminade

Paris, le 14 octobre 2008

L’inondation de liquidités en faveur du système financier à laquelle viennent de procéder tous les grands pays occidentaux est, au sens réel du terme, une folie suicidaire. Au lieu d’abandonner le Titanic, le mourant se jette de lui-même dans un flot de fausse monnaie dans lequel il ne peut que se noyer.

Le plan finalement adopté aux Etats-Unis et en Europe occidentale est d’inspiration britannique, pour sauver le système anglo-américain de la City et de Wall Street, et ses auteurs de fait sont le Premier ministre britannique Gordon Brown et son conseiller officiel Alan Greenspan, bien que Nicolas Sarkozy revendique lui aussi certains droits de paternité. C’est dire que celui-là même qui a créé la situation actuelle, conçu la bulle de produits financiers dérivés qui nous écrase et l’ordre de destruction sociale qui lui est associé, se voit confier la « solution », l’adoption par les Etats du système bancaire, avec toutes ses dettes, sous forme de holdings financiers privé-public, à l’image de ce qui fit l’Italie de Mussolini. C’est comme si on engageait le diable – ou plutôt un diablotin – pour éteindre les flammes de l’enfer et s’embarquer sur la nef des fous.

Voyons ce qui se passe. L’on s’aperçoit d’abord que les Etats-Unis, si l’on fait la somme du plan Paulson et de l’intervention du Trésor pour acheter des actions des banques, offrent 700 milliards d’euros aux établissements financiers. L’ensemble des pays européens, si l’on évalue la part italienne à environ 180 milliards, jettent 1800 milliards d’euros sur le tapis. A cela il faut ajouter les interventions ponctuelles des banques centrales – Réserve fédérale américaine, Banque centrale européenne, banques d’Angleterre et de Suisse… – qui échangent chaque semaine des centaines de milliards d’euros en fournissant des bons du Trésor ou des liquidités contre des titres toxiques des banques. La mauvaise monnaie chasse ainsi la bonne dans un circuit organisé par la puissance publique !

Cependant, ce n’est pas tout. Les Etats, y compris en devenant actionnaires des banques, ont décidé d’accorder, pratiquement sans limites, une garantie publique sur les transactions interbancaires. Or celles-ci atteignent, dans le monde, toutes formes de produits toxiques et exotiques compris (produits dérivés et en particulier les credit default swaps et les collateralized debt obligations, c’est-à-dire les paris pris sur la défaillance des autres et les créances bancaires commercialisées pour transmettre à un tiers le risque de non remboursement du crédit), plus de 2 000 000 de milliards de dollars, selon les chiffres de 2005, qui ont probablement augmenté de 50% depuis. Cela revient à dire que les Etats garantissent des transactions représentant plus de 50 fois le Produit intérieur brut mondial de biens et services, et environ 150 fois le montant des biens produits !

Les Etats espèrent pouvoir peu à peu dégonfler cette bulle, mais ils le font en commençant par l’alimenter. La réalité est qu’ils refusent de changer de système, et se condamnent eux-mêmes en le faisant. Car nous entrons dans une situation où c’est la solvabilité même des Etats, après celle des banques, des assurances et des entreprises, qui va être mise en cause. L’on remarque déjà que la garantie des transactions interbancaires à 3 mois par les Etats va très vite coûter des sommes colossales. Le naufrage de l’Islande n’est qu’un cas extrême et prémonitoire.

L’on dira qu’il fallait avant tout remettre la machine financière en marche. Mais c’est tenter de remettre en marche une machine à tuer l’économie réelle et à se tuer elle-même. Déjà, une dépression économique s’annonce, destructrice de la justice sociale et des libertés publiques.
Déjà, le spectre d’une crise sociale émerge, comme si les victimes devaient être punies et les coupables récompensés.

Qu’aurait-il donc fallu faire ? Un Nouveau Bretton Woods, c’est-à-dire un changement de système.

L’on dira encore que tout le monde, ou presque, s’est mis à en parler. C’est vrai, mais les versions qui circulent sont fausses, incompétentes ou frelatées. Remettre le compteur à zéro, c’est en effet différent que de verser un produit qui fera exploser la machine, et nous avec.
Soyons sérieux. Un vrai Nouveau Bretton Woods, celui que Lyndon LaRouche et moi-même défendons, suppose cinq choses fondamentales :

  1. Mettre en banqueroute organisée les prédateurs financiers, en conservant les créances légitimes liées au fonctionnement de l’économie réelle et en éliminant ou en soumettant à un moratoire celles qui sont associées à des paris. Si l’on veut rétablir un ordre juste, il faut d’abord assainir le terrain sur lequel on opère.
  2. Interdire les montages spéculatifs, c’est-à-dire ceux des hedge funds et tous les produits dérivés autres que ceux établis à des fins d’assurance correspondant à des opérations sur biens réels, et fermer les paradis fiscaux à partir desquels ces montages sont organisés.
  3. Passer d’un système monétariste – l’actuel, dans lequel l’émission de monnaie est de fait aux mains des banques et des sociétés d’assurance, qui sont les instruments d’une oligarchie mondialiste installée principalement à Londres – à un système de crédit productif public, dans lequel les Etats émettent du crédit-monnaie pour l’équipement de l’homme et de la nature. Ce système est par définition anti-inflationniste, car il est anticipateur de production de richesse physique accrue par tête, par unité de surface et par ménage.
  4. Donner pour valeur réelle à l’accord l’équipement du monde, sur la base du travail humain, c’est-à-dire d’un programme de grands travaux convenu entre l’alliance d’Etats-nations souverains participant à l’entreprise.
  5. Etablir des taux de change fixes entre devises et régler le solde des échanges commerciaux et financiers sur la base d’une valeur de référence au prix convenu entre Etats, or ou panier de produits correspondant aux dépenses indispensables aux êtres humains, dites aujourd’hui « contraintes » ( alimentation, habillement, transport, logement).

Un Nouveau Bretton Woods omettant un ou plusieurs de ces points doit être renvoyé au producteur : il serait dangereux à consommer pour la santé de l’économie et des peuples.
Il faut abandonner le Titanic. Un système nouveau doit revenir à la démarche de Roosevelt et de la reconstruction européenne de l’après-guerre. Il doit réunir les principaux pays du monde, les Etats-Unis, sans lesquels il ne pourrait être mis en place, la Russie, l’Inde et la Chine. Pour cela, les Etats-Unis doivent revenir à l’esprit de leurs fondateurs. La France peut et doit jouer vis-à-vis de ces pays un rôle de catalyseur.

Le reste n’est que bavardage. Le défi est de rétablir les conditions d’un développement mutuel dans le monde, pour la paix, le bien commun et les générations à naître, en mettant à l’œuvre en ce XXIe siècle tous les efforts et tous les moyens qui ont été voués à la guerre dans un XXe siècle dominé par une vision du monde prédatrice, vénitienne, anglo-hollandaise et anglo-américaine. Pour y parvenir, il faut combattre politiquement, sans prendre de gants, le conglomérat d’intérêts opérant depuis la City de Londres et s’étant étendu dans le monde par contaminations et dérives successives.

C’est pourquoi, comme Lyndon LaRouche l’a souligné à plusieurs reprises, le Nouveau Bretton Woods n’est pas une formule, ni une affaire de diplomates, mais un enjeu de civilisation. Sans lui, avec les folles initiatives prises aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe occidentale, le monde court à sa perte, à une autodestruction semblable à celle du XIVe siècle, celle d’une Europe incapable de se défendre contre la peste.