Analyses de Jacques Cheminade

Immigration et fraternité

lundi 20 octobre 2008, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

Le 3 novembre, à Vichy (Allier), le Collectif citoyen thiernois-Mouvement résistance (CCT-MR), aux côtés de nombreuses organisations dans l’Allier, appelle à la mobilisation contre le sommet européen sur « l’intégration ». Nous y serons, pour dire notre opposition à la politique française et européenne, qui sous des dehors parfois de dame patronnesse, manifeste une volonté de triage et de mise à l’écart néo-coloniale. Nous y serons, car nous sommes en colère face à l’injustice faite à des pays, des femmes et des hommes vis-à-vis desquels nous avons une responsabilité historique particulière. Nous y serons, car le « pacte européen sur l’immigration et l’asile », que vient de voter le Conseil européen des 15 et 16 octobre – le même qui a accepté un plan de renflouement des banques et rejeté un projet de relance de l’économie – considère implicitement et même explicitement les immigrants comme une menace et non comme des êtres humains dans la perspective d’échanges, de formations et d’actions de co-développement.

Une logique de triage social

Le texte qui vient d’être adopté commence par une double affirmation apparemment équilibrée : « L’hypothèse d’une immigration zéro apparaît à la fois irréaliste et dangereuse », mais « l’Union européenne n’a pas les moyens d’accueillir dignement tous les migrants qui espèrent y trouver une vie meilleure ».

Puis il prévoit cinq engagements fondamentaux : « organiser l’immigration légale en tenant compte des priorités, des besoins et des capacités d’accueil déterminés par chaque Etat membre et favoriser l’intégration ; lutter contre l’immigration irrégulière, notamment en assurant le retour dans leur pays d’origine ou vers un pays de transit, des étrangers en situation irrégulière ; renforcer l’efficacité des contrôles aux frontières ; bâtir une Europe de l’asile ; créer un partenariat global avec les pays d’origine et de transit, favorisant les synergies entre les migrations et le développement. » Là, les choses deviennent plus claires : les dirigeants européens disent vouloir favoriser l’intégration, l’asile et le co-développement avec les pays d’émigrants... en bâtissant un réseau de fils-de-fer barbelés avec des postes de triage à l’entrée pour les bons sujets et des charters de retour-retour pour les mauvais.

En fait, le pilier du système se trouve dans la phrase qui illustre le premier des cinq « engagements » : « Le Conseil européen appelle les Etats membres à mettre en oeuvre une politique d’immigration choisie, notamment en fonction de tous les besoins du marché du travail , et concertée, en tenant compte de l’impact qu’elle peut avoir sur les autres Etats membres. » Et l’on précise ensuite qu’il s’agit de « renforcer l’attractivité (sic) de l’Union européenne pour les travailleurs hautement qualifiés ». Dans mon programme présidentiel en vue de l’élection de 2007, je qualifiais cette escroquerie intellectuelle « d’aide au développement à l’envers » : les pays d’émigration supportent le coût de la formation de leurs jeunes ressortissants et nous en exploitons les capacités ! L’ex-président de l’Union africaine, le malien Alpha Omar Kamaré, qui n’est pas un « extrémiste », l’a clairement exprimé : « L’immigration choisie, c’est refuser à l’Afrique le droit au développement. On décide de piller les pays africains de leur cerveaux. Déjà, chaque année, plus de 25 000 diplômés, dans tous les domaines, quittent l’Afrique. »

Au contraire, c’est accueil, formation et co-développement réel qui devraient définir la mission de la France et de l’Europe.

Les choses s’aggravent encore davantage avec les second et troisième engagements du « pacte » : « Les étrangers en situation irrégulière sur le territoire des Etats membres doivent quitter ce territoire » et l’on s’engage à « se limiter à des régulations au cas par cas et non générales, dans le cadre des législations nationales, pour des motifs humanitaires ou économiques (resic). » L’on se rend ensuite plus clair encore, pour qui n’aurait pas bien compris : il s’agit « de développer la coopération entre les Etats membres en ayant recours, sur la base du volontariat et autant que nécessaire, à des dispositifs communs pour assurer l’élargissement des étrangers en situation irrégulière (identification biométrique des clandestins, vols conjoints...). C’est ici les charters de Charles Pasqua et les quotas d’expulsion Sarkozy-Hortefeux qui reçoivent la bénédiction (onctueuse) européenne.

Après un hypocrite « mieux informer les populations menacées pour éviter les drames qui peuvent survenir notamment en mer » (comme si elles avaient le choix et ne savaient pas) vient le pire. On invite les Etats membres et la Commission à mobiliser tous leurs moyens disponibles pour assurer un contrôle plus efficace des frontières extérieures terrestres, maritimes et aériennes. Cela signifie, en clair, que des bateaux et des avions militaires européens patrouillent le long des côtes africaines pour empêcher les immigrants de partir – c’est sans doute ce que signifie « les empêcher de courir un risque en mer » ! Bientôt, l’on déploiera des drones au-dessus des frontières comme au dessus des banlieues – c’est prévu au programme ! Puis on entend « généraliser au plus tard au 1er janvier 2012 (...) la délivrance de visas biométriques » et appliquer « les propositions de la Commission sur la mise en place d’un enregistrement électronique des entrées et des sorties afin de lutter contre l’immigration irrégulière ».

Ce que nous voulons : le développement mutuel

Les quatrième et cinquième engagements du pacte européen — « bâtir une Europe de l’asile » et « créer un partenariat global avec les pays d’origine et de transit favorisant les synergies entre les migrations et le développement » — expriment de bonnes intentions, mais avec un flou total et en contradiction avec la réalité.

Car on peut tant qu’on veut crier au co-développement et évoquer le sommet euro-africain de Lisbonne de décembre 2007, la réalité est celle d’un pillage financier de l’Afrique, à l’opposé des bonnes intentions affichées.

En effet, les « retrouvailles » de Lisbonne n’ont été que des négociations inégales pour faire appliquer l’obligation faite par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les accord de Cotonou de 2000 de procéder à un libre-échange réciproque conduisant de fait au démantèlement de toutes les protections des productions agricoles et des industries naissantes africaines. Si ces « accords de partenariat économique » (APE) sont du co-développement, « le diable et le bon Dieu sont cousins germains », comme me le disait un ami chrétien. Célestin Twanda, patron camerounais d’une société agro-alimentaire, ne fait pas dans la dentelle — « une fois que les barrières douanières seront levées (...) nous serons obligés de fermer nos entreprises » — et l’Association industrielle africaine assure que « l’ouverture préconisée condamnerait l’Afrique à demeurer un comptoir d’exportations ».

De fait, la politique et le pacte européens prévoient de piller les cerveaux, de refouler les « bouches inutiles » et de maintenir l’Afrique en état de sous-développement, les sommes attribuées « en compensation » étant le plus souvent détournées et revenant... dans les banque américaines, suisses, anglaises, françaises ou allemandes !

Il est vrai que Carl Lang, du Front national, trouve encore la politique européenne « trop généreuse » et la mise en place de la carte bleue européenne laxiste. Ceux qui n’ont pas de cerveau ne remarquent peut-être pas le pillage des biens et des cerveaux des autres.

Ce que nous voulons au contraire, c’est organiser l’immigration dont la France ne pourra pas se passer au XXIe siècle, en aidant d’une part l’Afrique à se développer, d’autre part en y organisant de grands projets d’équipement de l’homme et de la nature soutenus par des programmes locaux et régionaux « d’homme à homme et surtout de femme à femme », reconnaissant la dignité à tous. Cela suppose une révision absolue de nos politiques d’immigration, d’intégration, de coopération et d’action internationales. Avec des visas ouverts, un grand service public de l’emploi chez nous, des maisons du citoyen rassemblant des services publics rétablis et constituant de vrais lieux d’intégration et la justice rendue aux plus âgés, enfin.

Quant à l’éducation, il est révélateur que dans l’Allier ou ailleurs le nombre de médecins et d’infirmières soit scandaleusement insuffisant dans nos établissements scolaires, dans lesquels on poursuit notamment une curieuse politique de fichage des « misères » sans prévenir les parents.

La vérité est qu’une politique de solidarité et de fraternité doit remplacer l’actuelle qui reflète une lutte de tous contre tous, dominée par une oligarchie financière dont le triage social constitue la pratique « génétique ».

Quant à nous, avec notre mouvement de jeunes en France, nous soutenons les jeunes Africains, les jeunes Asiatiques et les jeunes Français pour que tous aient un avenir, là où eux-mêmes pensent que c’est leur « chez eux », selon leur choix et sans fatalité ni pacte inéquitable. Notre combat, c’est remplacer le fratricide par le fraternel.