Les analyses de Jacques Cheminade

Face à la dépression économique

mardi 4 novembre 2008, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

Après un an de chute du crédit, moteur de la finance folle et des bourses casino, la crise se propage à l’économie réelle avec une violence inouïe. L’effondrement du fret maritime en est le signe le plus frappant. L’indice Baltic (Baltic Dry Index), qui mesure l’évolution des frais de transport des pondéreux et des marchandises brutes, s’est effondré de 11 793 points début juin jusqu’à un plancher de 982 points le 27 octobre dernier, un repli de 91,7 % en moins de cinq mois. Du jamais vu. Les baisses des carnets de commande et les faillites se multiplient aux Etats-Unis et en Europe, mais surtout, les pays émergents à bas salaires, qu’on disait à tort pouvoir être épargnés, se trouvent anéantis par la perte de leurs clients dans les pays développés, la désertion des capitaux internationaux et les limites de leurs marchés intérieurs au sein de modèles inégalitaires jusqu’ici tractés par les exportations. En France, les faillites et le montant des impayés s’accroissent de plus en plus rapidement et le chômage partiel s’étend à l’industrie, aux BTP et à l’emballage.

L’automobile, particulièrement touchée par la chute du crédit à la consommation et la réduction des niveaux de vie, étend les dégâts en aval et en amont (acier, matières premières, sous-traitances, équipementiers, etc.).

La crise est générale

Chez nous, la crise s’étend à tous les secteurs de l’activité. Altares, dans son analyse trimestrielle sur les défaillances d’entreprises, montre bien à la fois une propagation et une accélération. « Il n’est plus un secteur, un métier, une région, un type d’entreprises qui ne soit pas touché », résume Thierry Million, le responsable des études. L’envolée des faillites a été de 17,2 % entre juillet et septembre, tandis que le nombre de créations ralentissait brutalement. Les entreprises les plus récentes (moins de cinq ans) sont les plus durement frappées, avec une augmentation des faillites de près de 22 %. En même temps, pendant le même troisième trimestre de cette année, la Coface constate que le montant des impayés entre entreprises françaises s’est accru de 125 % par rapport au troisième trimestre 2007. « Le credit crunch a frappé les entreprises françaises dès le printemps et l’augmentation des impayés a démarré fin juillet », constate Olivier Cazal, responsable de l’arbitrage France de la Coface.

Le nombre d’entrepreneurs connaissant des difficultés de trésorerie progresse également : plus de 15 % en signalent. Tous jugent que non seulement la demande qui leur a été adressée au troisième trimestre à « encore diminué », mais qu’elle devient de moins en moins dynamique.

Le chômage partiel gagne toute l’industrie. Les entreprises, grandes ou petites, commencent à déployer l’arsenal mis à leur disposition pour diminuer leur activité : congés prolongés, heures de travail non payées, RTT obligatoires, puis, lorsque la situation l’exige, elles ont de plus en plus recours à la suppression d’emplois.

Tous les secteurs d’activité sont touchés. Citons la Caisse d’épargne (suppression de 4500 postes d’ici 2012), Natixis (850 emplois sur 22 000), le Crédit agricole (500 emplois), La Redoute (672 emplois d’ici à quatre ans), la Camif (dépôt de bilan après 60 ans d’activité, 1000 emplois au total), Kronenbourg (214 emplois), Adecco (600 postes d’ici à juin 2009), Altadis (1060 emplois en France, fermeture des usines de Metz et Strasbourg), Sanofi Aventis (927 postes), et la liste est bien plus longue.

Cependant, l’automobile et le BTP souffrent bien plus que les autres.

Automobile et BTP

Aux Etats-Unis, en septembre, les ventes d’automobiles ont chuté de 27 %. En Europe, Volvo Trucks n’a vendu que 115 véhicules au troisième trimestre de cette année, contre 41 970 pour la même période en 2007.

En France, Renault et Peugeot sont touchés de plein fouet. Renault prévoit que ses ventes diminueront, alors qu’elle espérait une hausse de 10 % en 2008. Le constructeur a décidé de réduire de 20 % sa production au quatrième trimestre en Europe, en fermant quinze de ses usines pendant une à deux semaines en France et pour quelques jours à l’étranger. Les sites de Flins, Douai et Le Mans, où travaillent 11 000 salariés, seront arrêtés pendant deux semaines. Ceux de Sandouville, Maubeuge, Villeurbanne, Batilly, Cléon, Choisy-le-Roi et Dieppe, employant 14 000 personnes, seront fermés pendant une semaine. Le groupe prévoit d’ici à avril 2009 un plan de 4000 départs volontaires en France et 900 à 1000 suppressions d’emplois. Peugeot espérait une hausse de ses ventes de 5 % en 2008 et elles vont reculer d’au moins 3,5 %. La quasi-totalité de ses usines européennes vont, dans ce contexte, fermer de deux à seize jours d’octobre à décembre (quatorze jours chômés à Mulhouse, dix-huit à Sochaux, seize à Hordain Sevelnord, de deux à six à Rennes).

Cet effondrement de l’automobile affecte directement la production d’acier. Arcelor Mittal va réduire sa production de 15 % au niveau mondial en mettant « en sommeil » treize hauts-fourneaux en Europe. Jusqu’à fin janvier, un haut fourneau sur deux de son site de Fos-sur-Mer (près de Marseille, 3400 salariés) sera fermé, et de même pour le site de Florange (en Moselle, 3300 salariés) du 2-3 décembre jusqu’au 6 janvier. Le salariés devront prendre leurs RTT et leurs congés (y compris de formation) pendant cette période, les intérimaires ne seront pas conservés à l’issue de leur contrat et les départs ne seront pas remplacés.

Le pire serait à venir, car « le site de Fos-sur-Mer n’est pas rentable si l’on tourne à 50 % comme c’est désormais le cas », suivant les représentants des salariés.

Dans le BTP, « la brutalité du retournement est sans commune mesure avec ce que nous avons connu au début des années 1990 », indique le PDG du promoteur immobilier Kaufmann & Broad. « Notre activité repose essentiellement sur la confiance et le crédit, qui ont quasiment disparu. »
Tous les clignotants sont au rouge dans ce secteur. Les ventes de logements neufs ont chuté de 30,8 % au premier semestre et en juillet-août-septembre, le recul aurait oscillé entre 40 et 55 %. Selon un constructeur, « entre ceux qui n’obtiennent pas de crédit (les prêts immobiliers ont chuté de 26,3 % en valeur au cours du troisième trimestre, selon l’Observatoire crédit logement), ceux qui renoncent à acheter car ils ont peur de l’avenir et ceux qui attendent que les prix baissent, il ne reste plus grand monde ». Les taux de désistement dépassent 50 %, un niveau que les promoteurs-constructeurs « n’ont jamais vu de toute leur carrière ».

Les carnets de commande de machines pour le bâtiment (grues de Potain ou de Liebherr) ont été divisés par cinq à quinze en septembre-octobre, et les loueurs de grue quittent déjà la Grande-Bretagne et « délocalisent » leurs engins vers l’Est (Bulgarie et Roumanie), où la crise les rattrapera – mais ils espèrent gagner du temps.

Heureusement, les velléités de Nicolas Sarkozy pour introduire en France les mécanismes américains de « crédit hypothécaire rechargeable » n’ont pas été suivies d’effet en raison de la résistance de nos banquiers. Malgré cela, cependant, la crise est là : en 2008, les mises en chantier devraient être inférieures de 90 000 à celles de 2007.

Urgence

Il y a donc urgence à réagir. Certes, Nicolas Sarkozy a adopté un plan en faveur des PME pour « investir dans l’avenir ». Cependant les banques n’ont mobilisé, semble-t-il, que 5 % des sommes dont elles pourraient disposer d’ici 2009. Elles ont bel et bien reçu 5 milliards d’euros (sur les 320 milliards prévus d’ici fin 2009 pour pouvoir emprunter plus facilement afin de reprêter) et 7,3 milliards plus 7 milliards sur les 22 milliards prêtés par la Caisse des dépôts et consignations et l’Oséo, jusqu’alors centralisées au titre du livret d’épargne populaire et du livret de développement durable. Alors ? Alors, il semble bien que pour l’instant les banques soulagent leur trésorerie avec les milliards d’euros de ce plan PME ! Le transit de l’aide par leurs comptes se prolonge et le secrétaire d’Etat chargé des PME, Hervé Novelli, ne semble pas scandalisé : « Dans le climat actuel, cela ne peut pas faire de mal », a-t-il estimé.

Qu’en pensent les chômeurs, les salariés menacés et les chefs d’entreprise qui se battent sur le terrain ? Et que pensent, aussi, les 270 000 demandeurs non satisfaits d’un logement social en Ile-de-France et les 2,5 à 3 millions de personnes en attente d’une habitation décente en France, alors que l’enveloppe pour le logement social passe de 800 à 550 millions d’euros, même si le gouvernement puise dans la cagnotte du 1 % logement pour habiller Pierre en dépouillant Paul ?