Les écrits de Lyndon LaRouche

L’option globale en cette période d’urgence :
Au-delà des traités de Westphalie

jeudi 10 mars 2005, par Lyndon LaRouche

Depuis fin novembre 2004, Lyndon LaRouche a rédigé cinq documents stratégiques de fond qui vont être rassemblés et publiés aux Etats-Unis sous forme de livre. Voici le dernier d’entre eux, présenté lors de la conférence internationale de l’Institut Schiller qui s’est tenue près de Washington du 18 au 21 février.

Les discussions qui auront lieu le 18 février 2005 dans le nord de la Virginie aborderont certains défis qui sont d’une importance cruciale pour l’existence future de la république des Etats-Unis. Nous avons, face à ces défis, la capacité, mais aussi la responsabilité unique de rétablir le genre de leadership qu’exerçait le président Franklin Roosevelt avant sa mort prématurée. Il s’agit d’une capacité inhérente à la fois aux caractéristiques propres à la République américaine et à l’influence spéciale que les institutions monétaro-financières mondiales, dominées par le dollar américain, exerceront dans la période à venir, en déterminant dans l’immédiat le bien-être de l’ensemble de l’humanité.

Comme je l’ai souligné en d’autres occasions, le monde dans son ensemble est arrivé à un stade de développement où, pour assurer le maintien de la vie civilisée sur notre planète, nous devons rejeter la folle expérience de la « globalisation » en faveur d’un système d’Etats-nations souverains, engagé dans une forme de coopération planétaire. La forme à établir pourrait être décrite comme une nouvelle réalisation des mêmes objectifs et principes implicitement contenus dans les traités de Westphalie de 1648, qui mirent fin à la fois aux maux inhérents au féodalisme ultramontain et aussi, pour un temps, à cette tendance à lancer des guerres de religions que nous avons encore à déplorer aujourd’hui dans une bonne partie du monde. Ce penchant se manifeste sous le double manteau irrationnel du « fondamentalisme religieux » et du racisme, c’est une dégénérescence morale intimement liée aux aberrations de la « globalisation » qui menacent aujourd’hui l’existence de la vie civilisée sur cette planète.

Le principal défi consiste à reconnaître que nous nous trouvons à un tournant où le maintien de la vie civilisée exige la neutralisation énergique de tout effort visant à imposer un contrôle ultramontain ou impérial quelconque sur l’ensemble de la planète. Or, en ce moment, nous assistons à la tentative d’asseoir un tel contrôle à travers la mainmise de monopoles spéculatifs sur les « matières premières » essentielles. Il n’existe pas de pénurie intrinsèque des matières premières nécessaires, dès lors que les nations souveraines coopèrent de façon à assurer l’accroissement de l’approvisionnement organisé, de manière à couvrir les besoins, forcément en augmentation, de toutes les nations.

La situation monétaro-financière mondiale et le développement de l’économie physique des nations en sont au point où, pour assurer à la fois des prix justes et un approvisionnement permettant de subvenir aux besoins actuels en matières premières des nations, il est nécessaire de conclure des accords à long terme dans le cadre d’un nouveau système à taux de change fixes. La stabilité d’un approvisionnement en matières premières à des prix justes doit devenir le principal facteur d’un système global de formation de capital à long terme, reposant sur une gestion coopérative en ce sens, à un horizon d’environ deux générations.

Notre monde subit aujourd’hui les effets des décisions franchement aberrantes qui minèrent le système monétaire à taux de change fixes mis en place à la fin de la guerre de 1939-1945, signant son arrêt de mort. Summum d’une spéculation financière de plus en plus incontrôlée, notre système monétaro-financier se trouve gangrené par une spéculation effrénée sur produits dérivés financiers. Il serait désormais impossible d’honorer la plupart des obligations financières nominales contractées dans les casinos spéculatifs pendant la période 1971-2004. Pourtant, pour sortir sans dommages de la folie homicide du système monétaro-financier actuel, nous devons assurer la sécurité des avoirs monétaro-financiers à long terme qui vont se traduire sous forme d’améliorations, présentes et futures, des préconditions de la vie civilisée des nations et de leurs peuples, en termes de capital physique.

Pour réaliser la nécessaire réforme du système monétaro-financier mondial, il faut garantir la sécurité des formes essentielles de capitalisation de ces avoirs à long terme, en nantissant ce capital financier sur un programme de développement vigoureux des matières premières de base mises à la disposition de la communauté des nations, chacune d’entre elles devant participer aux objectifs communs consistant à améliorer la productivité du travail et les conditions de vie des générations à venir.

Considérer ainsi les implications du développement et de la gestion des matières premières fournit le fondement pour un système monétaire à taux de change fixes et à long terme.
De manière générale, ce système doit s’appuyer sur le principe réaffirmé des traités de Westphalie, en fonction des circonstances et des défis actuels. Une compréhension moyenne de la situation suffit pour reconnaître qu’en prenant de telles mesures dans les conditions d’effondrement du système actuel, nous lançons implicitement une réorganisation générale du monde, dont la phase initiale ne prendra pas moins de deux générations, soit, au vu des conditions de la société moderne et de son niveau technologique, environ cinquante ans. Des accords allant dans ce sens doivent servir de prémisse permettant de réconcilier les relations entre les avoirs de capital existant qui sont valables, et les échéances de remboursement des obligations de capital, ce sur une période initiale d’une cinquantaine d’années.

La seule alternative possible à de telles mesures de réforme serait le chaos et, très probablement, un nouvel âge des ténèbres pour l’ensemble de l’humanité. En ce moment même, le monde est au bord d’un effondrement en chaîne global.

La situation à laquelle feront face les participants à cette réunion peut se résumer comme suit.

La crise politique

Depuis la première année du gouvernement de George W. Bush Junior, en particulier, de plus en plus de nations dans le monde tendent à souhaiter que les crises que les Etats-Unis se sont eux-mêmes infligées finissent par les éliminer en tant que facteur dominant de l’avenir prévisible. Or, imaginer que la disparition de l’influence américaine laisserait au reste du monde le champ libre pour faire ce qu’il veut n’est qu’une illusion. Ce souhait, de plus en plus répandu, doit être dénoncé comme chimérique ; ses effets se traduiraient par la destruction de toute civilisation pour longtemps.

L’influence des Etats-Unis - considérés par certains comme le pôle unique du destin mondial - depuis la période 1989-91, est exagérée à bien des égards. Ils jouent aujourd’hui le rôle d’instrument de cet impérialisme libéral anglo-hollandais dont le président Franklin Roosevelt libéra temporairement les Etats-Unis, ce jusqu’aux réformes monétaires traîtresses de 1971-72, imposées par les puissances anglo-américaines. Néanmoins, bien que le contrôle du système monétaro-financier exercé effectivement par les Etats-Unis soit mal compris par l’opinion mondiale aujourd’hui, le système libéral libellé en dollars est devenu si prépondérant depuis 1991 que, dans les circonstances de crise actuelles, le sort de l’humanité dépend de certaines grandes initiatives correctives que le gouvernement américain devrait prendre au niveau du dollar.

Ainsi, bien que ce soit à nouveau le système libéral anglo-hollandais de 1763-1914, aujourd’hui en pleine dégénérescence, qui domine le monde depuis 1991, la forme qu’il a prise est telle que la création d’un nouveau système monétaire et financier dépend de certains initiatives qui doivent provenir des Etats-Unis eux-mêmes.

Par exemple, si le gouvernement américain est assez sot et imprudent pour accepter le modèle Pinochet, prôné par George « Hjalmar Schacht » Shultz, afin de dérober des milliers de milliards de dollars à la caisse des retraites américaines (Social Security), le dollar américain et le système monétaire et financier mondial seront, aussitôt, condamnés sans appel. En effet, il faut tenir compte des déficits fiscaux et de comptes courants des Etats-Unis qui se creusent à toute vitesse, ainsi que du rôle du dollar dans les systèmes fiscaux et monétaires mondiaux, rongés par les produits dérivés.

Les effets en chaîne déclenchés par le double déficit fiscal et de comptes courants feront couler le dollar, et la chute de la monnaie américaine aura, à son tour, des effets dévastateurs immédiats sur toute l’Eurasie et au-delà. Aucune région de la planète n’est actuellement en mesure d’échapper au chaos global que de tels événements entraîneraient.

Bien que l’on ne puisse calculer d’avance le degré exact d’impact négatif qu’aurait l’imminent krach monétaro-financier, il est certain que, si les options que je propose ne sont pas mises en œuvre, les conséquences seront redoutables et d’ampleur planétaire. Et aucune partie du monde n’a les moyens de faire efficacement face aux effets de l’effondrement plus que probable à court-terme du système-dollar, en l’absence de certaines initiatives politiques provenant des Etats-Unis mêmes. Les mesures à prendre sont de nature telle qu’il serait impossible de les mener à bien dans le cadre du système monétariste (de forme anglo-hollandaise libérale), mis progressivement en place suite aux manœuvres de George Shultz et de ses alliés dans la gouvernement Nixon. Il est urgent, en premier lieu, de stabiliser, de manière organisée, l’endettement mondial libellé en dollars ; pour lui donner des fondements solides, il est indispensable de revenir aux principes du système américain tel que définis par le président Franklin Roosevelt et reflétés dans la première conférence de Bretton Woods. Il nous faut une forme de stabilisation du capital-dette fongible à long-terme pour pouvoir faire face à la situation au cours des deux générations à venir.
Dans ce débat, le point essentiel est le suivant :

Seules des mesures destinées à stabiliser le rôle du dollar américain en tant que monnaie de réserve mondiale - qui ne connaît pour le moment aucune alternative - permettront à notre planète d’éviter une catastrophe générale, comparable à l’âge des ténèbres du XIVème siècle en Europe. Le système monétaire actuel doit être réorganisé de toute urgence - subir un genre de redressement judiciaire - à travers l’action concertée de certains gouvernements souverains, notamment en Amérique et en Eurasie.

Pour qu’une telle opération de sauvetage réussisse, il faudrait « geler » certaines catégories d’actifs physiques à long terme libellés en dollars, dont certains existent déjà, et d’autres qui seront créés. Pour ces actifs, l’on fixera des prix raisonnables, et relativement fixes, qui pourront être maintenus pendant une période comprise entre 25 et 50 ans, c’est-à-dire sur le long-terme. Cette dernière condition est essentielle si l’on veut assurer une base crédible pour le retour d’un système global de taux de change fixes, correspondant aux desseins de Franklin Roosevelt pour le futur système de Bretton Woods.

Le nouveau système monétaire, ainsi fondé, doit avoir pour objectif de soutenir un nouveau système élargi de traités à long terme, prévoyant notamment la coopération entre les Etats-Unis et les grands pays du continent eurasiatique déjà engagés dans une coopération en vue du développement économique. Sans la participation des Etats-Unis au genre de coopération qui se développe en Eurasie, par exemple entre l’Europe de l’Ouest et de l’Est et le « triangle productif « Russie-Chine-Inde, il sera impossible de trouver une solution viable pour les deux prochaines générations et au-delà.

Le système de Bretton Woods

Sur le plan intellectuel, ce qui bloque le plus la compréhension des réformes urgentes devant être mises en oeuvre est le fait que la majorité des gens, dont la plupart se prétendent économistes professionnels, américains ou autres, refusent de reconnaître la cause profonde de l’incompétence intellectuelle qui poussa à abandonner le système de Bretton Woods en faveur du système à taux de change flottants prôné par des idéologues de la Chicago School comme George Shultz
Je n’irais pas jusqu’à soutenir que la majorité des économistes de renom des générations récentes ont été tout simplement stupides. Certains économistes et experts financiers possèdent certes des compétences ; mais le fait que ceux-ci, aussi bien soviétiques qu’« occidentaux », aient laissé dégénérer à ce point le système monétaro-financier international montre qu’ils situent leurs compétences dans le cadre du système existant dans lequel ils croient devoir travailler, sans examiner de manière adéquate les axiomes viciés ayant provoqué les maintes grandes crises de la civilisation européenne moderne, en particulier.

En raison de cette faille intellectuelle, ils ne proposeront aucune réforme qui aille au-delà des limites des hypothèses axiomatiques réductionnistes, empiristes et autres, qui furent à l’origine de toutes les crises économiques et stratégiques majeures de la civilisation européenne moderne universelle depuis la chute de Constantinople.

Contrairement aux opinions populaires exprimées par ces prétendus experts, j’ai développé mes propres considérations - essentiellement platoniciennes - sur l’économie physique, en grande partie après avoir étudié les travaux de Gottfried Leibniz. Pour moi, la caractéristique de la civilisation européenne, dans le sens le plus noble du terme, est la lutte pour définir la société en termes des pouvoirs créateurs de l’esprit humain, qui le distinguent absolument des bêtes. Ce sont les découvertes des principes physiques et artistiques universels que l’on associe au legs de Thalès, Solon d’Athènes, Pythagore, Socrate, Platon, etc. qui définissent, dans l’art de gouverner, le sens des expressions « individu humain » et « société ». Je souligne que c’est la capacité créatrice souveraine de faire des hypothèses, permettant de découvrir et d’appliquer des principes universels expérimentalement vérifiables, qui distingue l’homme de la bête.

De ce point de vue, les grands fléaux de l’histoire européenne, comme le réductionnisme des sophistes grecs, des Romains, ou encore l’ultramontanisme impérial des oligarques vénitiens alliés aux croisés normands, constituent pour ainsi dire un crime contre cette caractéristique de la nature de l’homme qui le différencie de la bête. Pour nous, humanistes classiques ainsi définis, l’objectif que la société doit se donner est le développement de cette qualité chez les individus. C’est à l’aune de cette pratique que l’on peut juger d’une société, de ses lois, de ses coutumes.
Pour les humanistes classiques modernes que nous sommes, la Renaissance du XVème siècle, marquée par le concile œcuménique de Florence qui libéra l’Europe du fardeau de la tyrannie vénitienne et normande, constitua le fondement sur lequel fut bâti tout ce que la civilisation européenne moderne universelle a de positif. C’est au nom de ce bien que nous avons dû lutter contre l’Inquisition espagnole, contre les guerres de religion provoquées par elle et contre la tradition de l’impérialisme libéral anglo-hollandais ayant succédé à Venise, qui domina le monde pratiquement sans interruption depuis le traité de Paris en 1763. La création de la république des Etats-Unis représente en fait le principal fruit de la révolte contre la tyrannie anglo-hollandaise lancée depuis l’Europe elle-même, à l’époque de la Révolution américaine, de 1776 à 1789. La révolte contre ce même mal fut reprise par divers grands patriotes américains, dont Abraham Lincoln et Franklin Roosevelt, notamment.

Malheureusement les alliés de Winston Churchill hostiles à Roosevelt, qui se coalisèrent pendant la Deuxième Guerre mondiale au sein de l’alliance anglo-américaine, ont su profiter de la mort du Président américain pour subvertir et renverser les acquis de son époque. Depuis la mort de Roosevelt jusqu’au démantèlement du système de Bretton Woods, par George Shultz entre autres, ce sont les bienfaits découlant de l’économie politique mise en oeuvre par Franklin Roosevelt, exprimée dans le système anti-britannique de Bretton Woods, qui ont contribué le plus au développement de l’économie mondiale entre 1945 et 1971.

Le monde post-soviétique

La tentation de définir l’histoire mondiale post-soviétique comme un monopole stratégique des Etats-Unis a répandu - chez ceux qui voulaient bien l’accepter en Europe et ailleurs - l’illusion selon laquelle le monde est actuellement dominé par un système impérial américain. Au contraire, il s’agit d’une réaffirmation de l’impérialisme libéral de type fabien, prôné par les disciples du système anglo-hollandais de lord Shelburne - à cette différence près que ce sont désormais les factions basées aux Etats-Unis qui jouent le rôle politique dominant au sein de cette tradition. Par conséquent, la solution pour le monde consiste à briser le contrôle exercé par la faction oligarchique sur le système monétaire et financier mondial actuel. De par la nature des réalités actuelles, la rupture doit intervenir d’abord aux Etats-Unis mêmes.

La dure réalité veut que pour sauver le monde de la crise financière et monétaire actuelle, il faille retourner aux principes spécifiques du système original de Bretton Woods, et cette initiative viendra des Etats-Unis ou ne viendra pas.

Il est temps de rejeter l’idée grotesque selon laquelle le système monétaire international d’alors, voulu par Franklin Roosevelt, avec ses taux de change fixes, était en fait un système « keynésien ». Comme John Maynard Keynes l’affirmait à juste titre dans l’introduction à la première édition allemande de sa Théorie Générale, le système keynésien était compatible avec une Allemagne nazie. Keynes se considérait comme un responsable de banque centrale, oeuvrant dans les limites d’une oligarchie financière internationale du même type que ses contemporains de l’Internationale synarchiste des années 20 et 30. Roosevelt, quant à lui, était l’avocat de la Banque nationale hamiltonienne, implicite dans la Constitution fédérale des Etats-Unis, et le principal adversaire du bloc financier de l’Internationale synarchiste de cette époque.

Comme tous les rivaux des Etats-Unis en Europe occidentale et centrale avaient été ruinés suite aux bouleversements de 1922-1945, l’occasion se présentait d’affirmer la primauté du système américain de taux de change fixes et d’imposer les principes de ce système - du moins pendant la période où la suprématie impériale globale exercée par le système financier oligarchique libéral anglo-hollandais se trouvait temporairement en perte de vitesse. Bien que le président américain Truman n’ait même pas attendu les funérailles du président Franklin Roosevelt pour rejoindre le camp anti-américain de l’impérialisme financier oligarque de Winston Churchill, ce n’est que sous le gouvernement Nixon que, sous la direction de techniciens comme George Shultz, Henry Kissinger, etc., la faction libérale anglo-hollandaise réussit à écarter le système américain défendu par Roosevelt, en créant un système de taux de change flottants. La logique interne de ce système a entraîné bien plus qu’une faillite généralisée, elle a plongé le système mondial actuel dans une crise généralisée. Ces grands développements du XXème siècle, qui vient de se terminer, ont abouti à la situation actuelle, anormale et désastreuse, des affaires mondiales.

Les conseillers de Nixon, comme Shultz et des personnalités relativement subalternes comme Henry Kissinger, soumirent le système, alors déjà dominé par le dollar, au contrôle d’une cabale de l’oligarchie financière internationale, dont les éléments américains n’étaient qu’un des grands groupes d’intérêts financiers. En raison des modifications opérées dans le système - entamées sous le premier gouvernement Harold Wilson au Royaume-Uni, pour déboucher, dans la période 1971-1982, sur de profonds changements dans l’architecture du système monétaire - on a accumulé une montagne de dettes dans le système monétaire international basé essentiellement sur le dollar ; il s’agit d’une caricature grotesque de l’empire global libéral anglo-hollandais d’avant 1933.

Aujourd’hui, la plus grande partie des avoirs financiers du monde est libellée en dollars, tandis que la montée hyperinflationniste des investissements à court terme dans la dette en est venue à dépasser largement les capitaux financiers à long terme, notamment depuis le début de la présidence de George W. Bush. Par conséquent, seule une réforme du dollar américain, cohérente avec la conception du système de Bretton Woods développée par Roosevelt, permettrait le genre de redressement judiciaire auquel il faudrait soumettre l’ensemble du système mondial.

Ce n’est que si les forces fidèles au legs rooseveltien reprennent le leadership politique aux Etats-Unis que l’on pourra contraindre le dollar américain à un comportement mondial conforme au type de réforme requise, permettant d’organiser la stabilité à long terme de formes fongibles de capital-dette. Cela ne signifie nullement un impérialisme américain, mais son exact contraire : l’initiative des Etats-Unis, en tant qu’Etat-nation républicain souverain, est fondamentale pour toute tentative de réorganisation du système monétaire et financier mondial. C’est principalement la dette financière mondiale libellée en dollars américains qui doit être réorganisée, y compris la dette détenue souverainement par d’autres Etats. Il faut revenir aux principes de la conception originelle de Bretton Woods, mais le nouveau système doit être établi comme un partenariat entre Etats-nations respectivement souverains. Le rôle des Etats-Unis dans cette réforme doit être central : sans ce rôle, joué comme je viens de l’indiquer, on ne peut raisonnablement espérer empêcher le monde de sombrer, à relativement brève échéance, dans un nouvel âge des ténèbres planétaire prolongé, comparable à celui qui dévasta l’Europe au XIVème siècle, mais en pire.

Il y a une différence entre la conception du FMI qui prévalait à l’époque de la mort prématurée de Roosevelt et le retour auquel on aspire aujourd’hui à une forme semblable de système de taux de change fixes : il faudra remplacer « l’état de conflit harmonieux », prévu pour le fonctionnement optimal de l’institution originelle de Bretton Woods, par l’application du modèle des traités de Westphalie de 1648.

Cette référence aux traités de Westphalie n’implique pas une configuration de sentiments politiques. Elle indique l’importance de la création de grosses quantités de dette internationale à long terme, au sein d’un système de taux de changes fixes, pour financer d’importants investissements physiques dans l’infrastructure économique de base. Le rôle de l’investissement public dans l’infrastructure - non seulement celle du secteur public — doit être la caractéristique principale de la formation de capital à long terme dans tout le secteur productif. En combinant la dette privée actuelle, valable parce que liée aux obligations ou à des investissements infrastructurels à long terme, avec de nouveaux investissements à long terme pour l’infrastructure de base, réalisés dans le cadre du nouveau système, il devient soudain faisable de réorganiser correctement le système actuellement failli.

La part la plus importante de la formation de nouveau capital destiné à l’infrastructure économique de base sera de nature internationale, associée à des accords à long terme signés par traité entre Etats-nations souverains. L’échéance de la majorité de ces nouveaux emprunts variera entre un quart et un demi-siècle, comme l’atteste la participation européenne au développement de la Chine. Ceci donne un sens nouveau et puissant au principe de « l’avantage de l’autre » consacré par le traité de Westphalie.

Tout en étant parfaitement souveraines, les nations partagent un intérêt commun consistant à promouvoir l’avantage de l’autre. Faute de quoi, la probabilité pour n’importe quelle nation de sortir de la crise actuellement en cours est nulle.

La situation qui émerge actuellement en Eurasie est typique : la prospérité de chacune de ses économies dépendra de la réussite de la formation de capital à long terme chez ses partenaires. C’est une tendance à long terme que l’on commence à voir apparaître dans les relations économiques entre l’Europe occidentale et centrale. Le rôle pivot joué par la Russie entre les économies asiatiques émergentes et le bien-être des Etats d’Europe centrale et occidentale est exemplaire de cette situation.

Nous pouvons y parvenir, mais seulement sous la pression d’une crise globale aussi dangereuse que celle qui menace immédiatement. La nécessité sera mère de l’invention nécessaire. Les nations vont nager dans les eaux du nouveau système économique, non pas parce qu’elles aiment particulièrement la natation, mais parce qu’elles se rendent compte qu’il faut nager pour survivre.