Déclarations de Jacques Cheminade

Gaza : sauver la paix par le développement mutuel

samedi 3 janvier 2009, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

C’est avec tristesse et colère que j’écris ces lignes, au moment où menace une opération terrestre israélienne contre Gaza. Pour quiconque aime la paix et l’humanité, le peuple palestinien comme le peuple israélien, c’est quelque chose au plus intime de soi-même qui s’insurge avec tout son cœur et toute sa raison.

Tristesse vis-à-vis de deux peuples qui sont victimes des provocations de dirigeants eux-mêmes incapables de discerner leur intérêt, aveuglés comme ils sont par la loi du plus fort et, qu’ils en soient ou non conscients, par la logique destructrice des accords Sykes-Picot de 1916. Ceux qui refusent de voir les effets de l’impérialisme financier britannique ont là, devant leurs yeux, un exemple hélas pour l’instant réussi de sa volonté de diviser pour régner en créant des conflits meurtriers à durée indéfinie. C’est comme un cauchemar qui se répète en devenant chaque fois pire, dans lequel aucun des deux ennemis ne peut l’emporter faute de reconnaître l’humanité de l’autre, car tous deux ont acquiescé à leur manière à une idéologie qui réduit l’autre, et par conséquent soi-même, au niveau de l’animal.

Colère, car les dirigeants israéliens n’ont pas l’excuse de ne pas savoir, en déclenchant un feu du ciel qui ne peut que frapper les pères, les mères et leurs enfants dans un territoire si densément peuplé. Ce dont les leurs ont été victimes et les principes mêmes du judaïsme devraient, à partir de la position qu’ils occupent, leur inspirer une autre politique. Celle qu’ils pratiquent aujourd’hui vis-à-vis du peuple palestinien, réduisant Gaza à un enfer terrestre après en avoir fait une prison à ciel ouvert, est intolérable. Entendre un Dov Weisglass dire que « notre idée est de mettre les Palestiniens à la diète, sans toutefois les laisser mourir de faim », est incompatible avec le message universel du judaïsme. Ce qu’ils font va en même temps directement contre l’intérêt de leur propre peuple, car qui sème la haine recueille la vengeance. Plus encore, cette intervention est de nature à déclencher dans le monde terrorisme et guerre irrégulière, un cycle de la haine alimentant partout la haine.

Les Israéliens doivent immédiatement arrêter ce qu’ils ont eu la folie de commencer. Ils doivent se souvenir que ce sont les errements de leurs dirigeants qui ont enfanté Hamas, lorsque l’administration militaire de ce qui était alors le territoire occupé de Gaza, favorisa les entreprises de Ahmad Yassine pour contrecarrer celles de l’OLP. S’ils continuent aujourd’hui à jouer le même jeu destructeur, ils doivent comprendre que leur peuple en recueillera les mêmes fruits amers. Un occupant ne peut jamais gagner une guerre contre un peuple occupé, et c’est bien de cela qu’il s’agit, à Gaza comme en Cisjordanie. Le pire est à venir, si les militaires et les politiques israéliens continuent leur aventure mortelle et suicidaire : Benjamin Netanyahou, maintenant allié à toute l’extrême-droite de son pays, l’emportera le 10 février, et alors rien ne pourra arrêter une machine infernale, quelles que soient les illusions de ceux qui, se trouvant loin du terrain, espèrent que la droite israélienne pourra assurer la paix mieux que la gauche. Car il ne s’agit pas ici d’une droite nationaliste politiquement condamnable mais attachée à son peuple, mais d’une extrême-droite qui est l’émanation d’intérêts extérieurs, relevant des influences que trahit la prononciation de Netanyahou lui-même lorsqu’il parle hébreu, ou la nature de ceux qui le financent.

Certes, de nombreux éléments chez « l’autre » sont devenus ce que les fanatiques israéliens entendaient qu’ils deviennent. Les attentats suicides hier et les roquettes lancées aujourd’hui contre les civils israéliens à Sderot, Netivot ou Ashkelon, témoignent du même mal que celui de leurs occupants. Pire et plus révélateur, les imprécations racistes lancées par une partie du « clergé » wahabite saoudien, un Awad Al-Karni ou un Salman Fahad Al-Odeh, qui appellent dans leurs fatwas à « répandre le sang israélien partout dans le monde », ne relèvent pas d’une colère irréfléchie, mais d’une volonté d’anéantir l’autre.

De cette guerre sans fin, ne peut sortir que plus de sang et de larmes. A l’échelle mondiale. Car l’on doit la situer dans un contexte plus général de stratégie de la tension, visant à empêcher l’émergence d’un nouvel ordre économique international de paix par le développement mutuel. Le conglomérat d’intérêts financiers installés à Londres, qui oriente aujourd’hui l’économie prédatrice mondiale, met partout où il le peut les feux de la guerre car, comme le voyait Jaurès en 1914 lorsqu’il fut assassiné, son pouvoir devient absolument destructeur lorsqu’il sait qu’un nouvel ordre de paix le condamnerait. Il porte en lui la guerre « comme la nuée porte l’orage », jetant les uns contre les autres ceux qui devraient s’unir pour lui survivre. Le terrorisme fomenté au Londonistan en est aujourd’hui l’exemple patent, tout comme le comportement de l’oligarchie saoudienne ou les forces rassemblées autour de Netanyahou. Il est donc nécessaire de condamner le comportement criminel, irresponsable ou imbécile des branches du conglomérat, mais bien plus essentiel de viser celui-ci au centre de son dispositif.

En aucun cas il ne faut se compromettre avec lui, car rechercher un cessez-le-feu avec l’une de ses branches tout en jouant des jeux diplomatiques avec son dispositif central, revient à se faire hara-kiri, aussi habile soit-on. La priorité pour obtenir la paix en Asie du sud-ouest est donc de mettre en œuvre une politique anti-City et anti-Wall Street à l’échelle du monde. On pourrait répéter, à la manière de ce que disait un conseiller de Clinton : « C’est l’Empire, imbécile ! ».

En même temps, il faut que la France offre une perspective dans la région y inscrivant la logique d’un nouvel ordre mondial, redonnant priorité au travail humain et à l’équipement de l’homme et de la nature, pour y créer une communauté de dessein. Cela suppose d’aider le Président Obama à entreprendre rapidement cette politique de paix par le développement mutuel entre la Syrie et Israël, au bénéfice ensuite du Liban et de l’Iran. C’est ce qu’ont compris les dirigeants jordaniens qui proposent la construction d’un canal mer Morte-mer Rouge pour l’alimentation en eau de tous. C’est ce qu’a compris le général Aoun en se rendant à Damas. C’est ce que la France doit comprendre en exigeant l’arrêt de l’opération israélienne contre une politique de garantie des frontières de 1967, le partage de Jérusalem et la vie de deux Etats côte à côte, en se détachant enfin de l’illusion coloniale ou impériale de pouvoir détruire l’autre.

Il faut pour cela enclencher la logique de projets mutuellement bénéfiques aux deux parties. C’est de cette approche dont nous devrions être le catalyseur, en entraînant les Etats-Unis, la Russie, l’Inde et la Chine, comme nous devons les aider à définir un Nouveau Bretton Woods.

La tristesse et la colère ne servent à rien si elles se limitent à des exclamations romantiques. La paix exige un projet, qui définisse pour chacun l’autre comme un humain créateur, et non comme un animal dressé pour mordre.