Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Le mal français

vendredi 12 mars 1999

« Ce serait une assez grande illusion de penser que, d’une façon générale, parce qu’il y a des directives données par les ministères, celles-ci s’appliquent.. . »

 Laurent Fabius

Face à la crise monétaire et financière internationale, question majeure de l’époque, les élites françaises se dérobent. Les « solutions » qu’elles proposent - l’adoption d’un « code de la route » des mouvements de capitaux et l’accroissement de la responsabilité du Fonds monétaire international, comme M. Chirac à Washington - ne sont que des cautères sur une jambe de bois. On cherche à résoudre la crise, mais sans remettre en cause les institutions qui en sont responsables et, même, en accroissant leurs moyens ! On ne voit pas la réalité des souffrances, l’urgence d’agir, la nature concrète du mal : de manière significative, M. Chirac a parlé d’un « dossier » à traiter, comme si le monde était un vaste bureau.

Cette attitude aujourd’hui permet de comprendre celle qui fut, hier, celle de ces mêmes élites vis-à-vis du sang contaminé. Certes, les ministres jugés par la Cour de justice de la République ne sont pas pénalement coupables, mais ils se sont bel et bien trouvés au sommet d’un édifice administratif - le leur - totalement défaillant. Leur « excuse » face au tribunal les condamne sans rémission sur le plan de leurs responsabilités politiques : ils ont laissé adopter par des membres de leur cabinet des initiatives aux conséquences criminelles sans chercher à savoir. De juin 1983 à juin 1985, une série de textes officiels qui auraient été susceptibles de limiter les terribles dégâts n’ont pas été appliqués, et les collectes en milieu pénitentiaire associés aux collectes de rue ont entraîné plus de 40% des cas de contamination pour 1985 ! Et c’est Anne-Marie Casteret, journaliste courageuse qui a cherché à voir clair, a dénoncé le blocage des tests de dépistage et s’est indignée qu’on ait laissé sur le marché des produits contaminés, qui se trouve accusée de coupables intentions, suivant le principe de tous les bureaucrates : « Elle a dit la vérité, elle doit être condamnée . »

La vérité, comme l’ont dit les enseignants à propos de M. Allègre, c’est que nous vivons dans un système hypocrite, qui fonctionne à l’intimidation et à l’humiliation. M. Le Gunehec, président surréaliste et stérile de la Cour de justice, ignorant la compassion humaine autant que son dossier, est un exemple parmi d’autres de cette sinistre désinvolture.

Face aux défis de la réalité, ce système désigne d’abord des boucs émissaires - Mme Voynet, M. Cohn-Bendit, le nucléaire, les fonctionnaires, selon les goûts de chacun - faute d’avoir pris les mesures nécessaires. Puis il cherche une solution dans des textes, dans le « droit », accumulant lois, règlements et circulaires qui ne sont pas appliqués : on change les textes parce qu’on n’est pas capables ou parce qu’on ne veut pas changer la vie. La conclusion est qu’on ne fait rien sur ce qui est essentiel, en multipliant les initiatives désordonnées et confuses sur ce qui ne l’est pas. Tout devient virtuel, formel, académique.

On agite des questions secondaires - les fameuses « questions sociétales » - alors qu’on se dérobe face aux problèmes fondamentaux, comme si, en juin 1939, on ne s’était passionné que pour les questions familiales ou les droits des femmes.

De ces droits, d’ailleurs, parlons-en. Il est vrai qu’il y a un état d’urgence, en France, sur le terrain de la cause des femmes. Nous restons l’un des pays les plus sexistes du monde. Or que fait-on ? Les mêmes « notables masculins » qui, à l’unanimité, votent la « parité » dans la Constitution, l’ont jusqu’à présent cyniquement bafouée dans leurs partis, dans leurs entreprises et dans leurs propres foyers.

L’hypocrisie française est à son comble : une caste bureaucratique gère un ordre néo-libéral oligarchique en le qualifiant tout à tour de « mondialisme », d’« Europe » et de « sens de l’Etat ». Faute de courage pour agir dans la réalité du monde, de faire face à la City de Londres et à Wall Street, on se réfugie dans la fausse cohérence d’un discours narcissique, et on impose chez nous des rapports de force.

Je suis bien placé pour le savoir. Je suis heureux d’avoir lancé un défi à ce système, parce que c’est une question de moralité élémentaire. Faites-le vous aussi. Ne vous laissez pas imposer par ceux qui ont si mal agi et agissent si mal la peur de mal faire. N’ayez pas peur. Ne faites pas comme eux. Mesurez votre responsabilité et agissez.