Brèves

La vérité sur le cas de M. Sarkozy

lundi 30 mars 2009, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade


« …Tout son corps d’un seul coup dans l’espace d’une minute, et même moins, se déroba, s’émietta, se pourrit absolument sous mes mains. Sur le lit, devant tous les témoins, gisait une masse dégoûtante et quasi liquide, une abominable putréfaction. »

Ainsi se termine La vérité sur le cas de M. Valdemar, la célèbre Histoire extraordinaire d’Edgar Allan Poe. Nicolas Sarkozy, qui n’apprécie pas, semble-t-il, La princesse de Clèves, aurait sans doute intérêt à méditer la leçon d’un auteur majeur du pays qu’il admire tant.

En effet, M. Valdemar, qui s’est fait magnétiser avant de mourir, reste sept mois dans un état où son corps ne change pas, et ce n’est que lorsque l’on procède à l’expérience du réveil qu’il se produit ce que nous venons de citer. Le réveil politique de M. Sarkozy sera sans doute de même nature s’il ne change pas. En effet, toutes les initiatives qu’il vient de prendre récemment sont une adaptation à la situation, sur le lit bordé par l’oligarchie financière, sans tenir le moindre compte de l’économie physique ni des intérêts de son peuple, que ce soit ceux qui ont voté pour ou ceux qui ont voté contre lui. Il perdure, comme M. Valdemar, mais le choc de la réalité révèlera son état réel.

Après le discours de Toulon, le Président de la République indiqua sa volonté de mettre un terme à la loi du capitalisme financier. Aujourd’hui, à Saint-Quentin, il parle de « moraliser » ce à quoi hier il prétendait mettre fin. Hier il stigmatisait ceux qui s’enrichissent en spéculant, aujourd’hui il s’en prend aux grévistes ; hier il semblait condamner un système, aujourd’hui non seulement il fait avec, mais ne cède pas à la pression de sa propre majorité en faveur d’une loi interdisant les bonus et stock-options dans les entreprises aidées par l’Etat. Ce n’est pas un décret de dernière heure, interdisant, seulement jusqu’à fin 2010, les stock-options pour les dirigeants de banques et de l’industrie automobile bénéficiant d’une aide publique, qui change grand-chose à la question : il s’agit d’un typique effet d’affichage. Tout au plus mise-t-il sur des menaces, aussi convaincantes que le code de gouvernance Afep-Medef qui est une « éthique » sans obligation ni sanction réelle.

Le symbole est fort : Saint-Quentin était comme en état de siège, avec des centaines de policiers et de camions-barrières au coin des rues, et si la salle était pleine, c’était de militants UMP venus des environs proches et lointains, rassemblés pour l’occasion. Sur le fond, c’est encore pire. M. Sarkozy ne s’oppose plus aux dérives financières qu’en paroles, dans les faits il les encourage. Il a ainsi demandé à la Banque centrale européenne (BCE) de recourir à de « nouvelles armes » face à la crise, ce que Mme Christine Lagarde appelle « des mesures un petit peu alternatives et non conventionnelles ».

En clair, de faire marcher la planche à billets électronique. Il s’agit du rachat de titres obligataires d’Etat (bons du Trésor) ou même d’entreprises pour « débloquer les circuits du crédit », à l’image de ce que font la Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale américaine. « J’ai toujours été pour cet élargissement des instruments utilisés par la BCE », a-t-il indiqué sans gêne. C’est à la fois dangereux et stupide. En effet, ce sont ainsi les Banques centrales qui viennent au secours des Etats, qui à leur tout viennent au secours des banques en reprenant ou en garantissant leurs effets toxiques, ou en leur procurant des fonds propres, sans conditions ni garanties ! La politique officielle française consiste donc à renflouer, comme les politiques britannique et américaine actuelles, un système qui a rendu l’âme, autant que…M. Valdemar. Ce qui conduira tout droit, si l’on continue ainsi, au doute sur la solvabilité des Etats surendettés puis à leur faillite, comme celles de l’Islande, de la Lettonie ou de la Hongrie, mais à une échelle que les pédants bien vus en Cour appelleraient « macroéconomique ».

Déjà, et c’est pour cela que nous disons que ce choix est stupide, la Banque d’Angleterre vient de mettre en place sa politique d’« assouplissement monétaire » sans grand succès, puisque le mercredi 25 mars elle n’est pas parvenue à placer la totalité d’un emprunt à 40 ans d’à peine plus d’un milliard de livres.

Quant aux paradis fiscaux, la France ne remet en cause ni ceux que constituent la City de Londres et Wall Street, tout en s’en prenant à leur « compétiteur » suisse, ni ceux qu’utilisent abondamment les banques françaises pour leurs opérations les plus « délicates », de Jersey jusqu’aux Antilles.

La note adressée en vue du G20 par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy à MM. Topolanek, président en exercice du Conseil européen, et Barroso, président de la Commission européenne, propose une supervision financière paneuropéenne et approuve les recommandations du rapport Larosière. Sans en vouloir personnellement à cet éminent personnage promu par la France et l’Allemagne, notons qu’il a été conseiller de l’assureur AIG, un casino financier renfloué par l’Etat américain à hauteur de 173 milliards de dollars, ce qui augure mal de sa compétence pour « refonder » quoi que ce soit. Ajoutons que le principal bénéficiaire du renflouement de AIG, à hauteur de plus de 12 milliards de dollars, a été Goldman Sachs, dont l’ancien secrétaire américain Hank Paulson fut le dirigeant. Lors du sauvetage, Lloyd Blankfein, aujourd’hui à la tête de Goldman, était présent dans la pièce ! Bref, on prend les mêmes et on recommence, et le conflit d’intérêts est partout.

C’est ce système que couvrent Angela Merkel et Nicolas Sarkozy en remettant la conception des réformes au FMI, au FSF, au Comité de Bâle sur la supervision bancaire et à la Commission européenne. Parlons maintenant de cette dernière : José Manuel Barroso, l’ultra-libéral imposé hier par Tony Blair, sera reconduit aujourd’hui faute d’alternative (sic) à gauche (re-sic). Il est vrai que lors du séminaire sur la refondation du capitalisme, parrainé alors par Nicolas Sarkozy et Eric Besson, le « cher Tony » avait été reçu en héros. Aujourd’hui, Gordon Brown et l’espagnol Zapatero soutiennent Barroso : si ce n’est pas là une sorte d’inceste, cela y ressemble fort.

Merkel et Sarkozy s’engagent « à consolider nos finances publiques en appliquant le pacte de stabilité et de croissance… au fur et à mesure que l’économie se redressera ». C’est dire que l’on continue à se livrer pieds et poings liés à la loi du marché, en s’interdisant d’émettre du crédit productif public, seule solution pour financer l’équipement de l’homme et de la nature.

N’en jetez plus, direz-vous. Eh bien non. Le comble est l’adhésion de tous à la loi du FMI. Un FMI renforcé dont le directeur général, Dominique Strauss-Kahn, vient d’indiquer clairement la « philosophie » dans un entretien à La Tribune du 28 mars : « Un dollar utilisé pour nettoyer le bilan des banques est aujourd’hui beaucoup plus efficace qu’un dollar investi dans la construction de nouveaux ponts ». La même politique anti-infrastructure est promue, au sein de l’administration Obama, par Lawrence Summers, son conseiller vendu depuis toujours à l’idéologie et aux intérêts de Wall Street et dont Lyndon LaRouche réclame la démission.

En fait, c’est une « gouvernance mondiale » qui est promue, visant à servir l’oligarchie financière au plus fort de la crise. Avec pour conséquence ce qu’on voit déjà en France avec Continental, Heuliez, Peugeot, Renault et leurs équipementiers et sous-traitants, Amora-Maille, 3M, Celanese et les 10000 à 15000 PME qui doivent supprimer entre 2 et 50 salariés. Mais peu importe, il faut d’abord sauver les établissements financiers, comme ils disent tous dans ce milieu, et comme l’affirme Denis Kessler, le patron de la SCOR, « lutter contre les 3 P, enfants bâtards de toute crise : le Protectionnisme, le Populisme et le Patriotisme qui dégénère en nationalisme ». Il faut un terrible culot, indépendamment de tout jugement moral, pour condamner les réactions face à une crise dont on est soi-même responsable et coupable !

Plus honnêtement, Jacques Attali va au bout du raisonnement (cf. notre éditorial) : un gouvernement mondial après des guerres, ce « fascisme universel » que les égarés de la social-démocratie en viennent à partager avec les néo-conservateurs américains. En un mot, la face cachée de Lord Keynes. On comprend que Peter Mandelson, l’homme à tout faire de l’oligarchie financière et actuellement ministre britannique du Commerce, déclare « son admiration pour la présidence française de l’Union européenne ». Il ne manquait plus que Lord Mark Malloch Brown, l’organisateur du G20, pour tresser des louanges à notre Président. C’est fait. Celui-ci sortira-t-il de son état hypnotique ? C’est son propre intérêt, car s’il ne le fait pas, c’est le sort de M. Valdemar qui l’attend, ou bien d’être momifié pour services rendus à l’Empire, comme le cadavre de Jeremy Bentham. Un mot seul pourrait le ramener à la vie : « banqueroute organisée », celui que je prononce ici à la face des autres.

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