Obama et vous :
Le péril béhavioriste

mardi 14 avril 2009, par Bertrand Buisson

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Le Time magazine vient de révéler que Barack Obama est devenu l’otage d’une clique de fondamentalistes, adeptes de l’« économie comportementaliste ». Pour prendre la mesure du problème, disons qu’ils sont l’équivalent économique des néo-cons qui entouraient George W. Bush. Là où vous êtes intimement concernés, c’est que leur politique économique est bâtie sur une conception complètement tordue qui dépasse de loin le cadre de la Maison Blanche : vous seriez un rat de laboratoire sur lequel on teste la politique !

Le bureau ovale encerclé

D’après le Time, Obama est totalement encerclé : Cass Sunstein, directeur de l’Office of Information and Regulatory Affairs de la Maison Blanche, est membre de la Behavioral Economics Roundtable, qui regroupe les vingt-neuf comportementalistes les plus reconnus et les plus radicaux, dont trois conseillent également le Président : Richard Thaler, Daniel Ariely et Daniel Kahneman, fondateur de l’économie comportementaliste. Le directeur de l’Office of Management and Budget (OMB) de la Maison Blanche, Peter Orszag, son adjoint Jeffrey Liebman, le secrétaire adjoint à la politique économique, Alan Krueger, le conseiller économique Austan Goolsbee et de nombreux autres font partie de ces cercles comportementalistes. Quant à Larry Summers, le directeur du National Economic Council de la Maison Blanche, homme des hedge funds et des banquiers d’affaires de Wall Street, il est lui-même un adepte de la « finance comportementaliste ».Le Time évoque aussi le rôle de l’économiste Sendhil Mullathainan, qui organise un réseau d’experts comportementalistes hors-administration pour conseiller l’administration.

Qu’est ce que le comportementalisme ?

Disons pour commencer que le comportementalisme cherche à expliquer les prises de décision des êtres humains. Mais sur quelle base ? Celle d’un être humain, capable par sa créativité et sa conscience de transcender les lois naturelles et sociales afin de bâtir un avenir meilleur pour ses semblables ? Evidemment non. Pour comprendre le comportementalisme, on peut penser aux célèbres expériences de Pavlov, où l’on étudie sur l’animal les mécanismes de l’apprentissage par le conditionnement. Pour prendre un exemple plus récent, pensez au film Nos amis les terriens, de Bernard Weber, où des extra-terrestres mettent des hommes en cage pour les étudier comme on étudierait le comportement de rats dans un laboratoire.

Pour le comportementaliste, le comportement de l’être humain est déterminé par des stimuli extérieurs, auxquels il réagira selon la simple équation charnelle plaisir-douleur. Prenons le fondement de la philosophie de Jérémy Bentham, la grande référence des comportementalistes :

La nature a placé l’humanité sous le gouvernement de deux maîtres souverains, la douleur et le plaisir. C’est à eux seuls qu’il appartient de signifier ce que nous devrions faire, comme de déterminer ce que nous ferons. (…) Ils nous dirigent dans tout ce que nous faisons, dans tout ce que nous disons, dans tout ce que nous pensons (…) Les divers systèmes qui tentent de mettre en question cette sujétion reposent sur du vent plutôt que sur du solide, sur des foucades plutôt que sur la raison, sur l’obscurité plutôt que sur la lumière.

Après avoir lu ces quelques lignes, vous ne serez pas surpris d’apprendre que Bentham était le chef du renseignement au Foreign Office britannique et comptait parmi ses faits d’armes d’avoir noyé la Révolution française dans le bain de sang de la Terreur.

Evidemment, pour lui, les Droits de l’homme et du citoyen ne pouvaient être que « foucades » et « obscurité ». Dans sa défense subversive de l’Empire britannique, Bentham avait fustigé en 1776 la Déclaration d’Indépendance du Congrès américain :

Pour garantir ces droits, ils veulent instituer un gouvernement. Mais ils ne voient pas (…) que tout gouvernement n’a jamais pu s’établir qu’au dépend de ces droits (…) avec cette doctrine, ils ont surpassé l’extravagance de tous les fanatiques jusqu’alors.

Psychologie de guerre et guerre psychologique

Né des travaux menés par des psychiatres britanniques dans les tranchées de 1914-18, le comportementalisme contemporain fut ensuite théorisé à l’Institut Tavistock de Londres. Au-delà des techniques psychologiques individuelles qu’ils avaient établies, ils réalisèrent que le meilleur moyen de conditionner le comportement de l’individu était de manipuler la dynamique du groupe dans lequel il se trouve. Le psychologue Kurt Lewin, dont le transfert de l’école de Francfort aux Etats-Unis, via l’Institut Tavistock, fut financé par la fondation Rockefeller, fut un pionnier de cette nouvelle science : la « dynamique de groupe ». Pour Lewin, la société humaine se résume à un « champ social » fait des répulsions et attractions entre individus. Pour lui, la dynamique sociale est un système binaire – le « 1 » pour l’attirance et le « 0 » pour la répulsion – dans lequel le flux d’information entrant permet de déterminer et de perturber la « structure cognitive » des personnes. Ainsi « l’individu devient incapable de savoir si un plan particulier pourrait le mener vers son objectif ou l’en éloigner. Dans ces conditions, même les individus ayant des objectifs définis et étant prêts à prendre des risques, seront paralysés par de graves conflits intérieurs sur ce qu’ils doivent faire. »

Les comportementalistes pourront-ils apercevoir un jour des sentiments humains ?

En gros, Lewin s’intéresse à créer les conditions dans lesquelles vous ne pouvez que recourir à vos instincts physiologiques, en finissant par croire que vous n’êtes rien d’autre que cette créature de plaisir et de douleur.

Le but ? Vous pousser à abandonner vos convictions et votre identité.

Pourquoi ? Pour briser toute capacité de leadership politique et culturel dans la société.

Il est bien évident que si l’on déshumanise les gens en les traitant comme des animaux, on les encourage à se comporter comme tels. D’où la non-validité scientifique du comportementalisme.

Economie comportementale et fascisme financier

Le fondateur de l’économie comportementale, récompensé par le prix Nobel d’économie 2002, est le psychologue israélien Daniel Kahneman. Comme son inspirateur Kurt Lewin, Kahneman commença ses travaux dans le cadre militaire : entre 1954 et 1958, il sert dans le département psychologique de l’armée israélienne, où il utilise les méthodes des manuels militaires britanniques. Emigré aux Etats-Unis, il publie en 1974 une étude sur le jugement en situation d’incertitude, avec le soutien de l’Agence pour les projets de recherche avancée du Pentagone (DARPA).

En 1978, il rejoint le Centre des études avancées en science comportementale de Stanford, où il fonde, avec Richard Thaler, « l’économie comportementale » puis la « finance comportementale », basées sur l’anticipation des choix irrationnels des acteurs économiques individuels.

Mais cette nouvelle « science » reste marginale. En 1982, Eric Wanner, directeur de la fondation Alfred P. Sloan, organise le financement du groupe et crée en 1986, conjointement avec la fondation Russell Sage, la Behavioral Economics Roundtable. Dans quel but ?

Ces deux fondations sont tristement célèbres pour leur opposition absolue à l’idée républicaine de la Constitution américaine, tel que l’incarnait Franklin Roosevelt, antithèse du comportementalisme, puisqu’il mobilisa le peuple sur la base d’un combat politique contre les puissances d’argent et pour l’intérêt général.

Alfred Sloan, promu PDG de General Motors en 1923 sous les bons auspices de JP Morgan Jr, faisait partie de ces industriels américains pro-Hitler. Il fut l’un des fondateurs de l’American Liberty League, une organisation politique pro-fasciste qui menait campagne contre le New Deal de Roosevelt.

La fondation Russell Sage est un paravent américain de la Société fabienne, fondation qui joua un rôle clé pour l’Empire britannique en promouvant depuis un siècle une version virulente du colonialisme économique, vendu cependant sous l’étiquette socialiste. Créée en 1907, la fondation Russell Sage servit à financer de nombreuses études sur la population américaine afin d’organiser un contrôle social.

Apprendre aux travailleurs à bien se comporter

Kurt Lewin comptait parmi ses proches disciples un certain George Shultz, futur ministre du Travail de Nixon. A la mort de Lewin, Shultz poursuivit ses travaux sur la réduction du coût du travail. Il établit que la menace du chômage et de la dépression était le meilleur moyen d’induire travailleurs et syndicats à accepter des baisses de salaire. Georges Schultz avait salué les réformes chiliennes, qu’il avait personnellement promues, se réjouissant des réformes syndicales, salariales et des retraites opérées par le gouvernement Pinochet. Il est aujourd’hui le grand défenseur de la « réforme » du système de santé américain.

En d’autres termes, la politique des conseillers comportementalistes d’Obama n’est pas d’enrayer l’effondrement économique, mais de contraindre les gens à apprendre à vivre avec la crise, pour qu’ils se résignent à accepter la baisse de leur niveau de vie. En refusant de dire aux gens la vérité sur la crise, on tente de les déshumaniser pour qu’ils se résignent au moindre mal et se raccrochent au plus petit bonheur possible.

C’est aussi ce que l’on voit à l’œuvre chez nous avec la propagande du « réchauffement climatique », selon laquelle on doit revenir à des modes de vie plus « simples », plus « doux » et abandonner le projet d’une économie de progrès pour tous. Eh bien, il est temps de se comporter mal et de désobéir à cette « pensée » induite qui n’est pas la vôtre !

Quel instinct !

Encadré
Jean Tirole à la quête de vos pulsions intimes

Jean Tirole vous veut du bien !

Trois Français sont membres du groupe secret d’économistes du comportement de la Maison Blanche, dont Jean Tirole, le fondateur de l’Institut d’économie industrielle de Toulouse. Inconnu du grand public, il serait, à voir son interminable CV, un homme important. Diplômé de Polytechnique, des Ponts et Chaussées, docteur en mathématiques à Paris Dauphine, du Massachussetts Institut for Technology, de Cambridge, il enseigne dans la plupart de ces institutions et a reçu, en 1993, le prix de « meilleur économiste européen de moins de 45 ans » décerné par l’Association européenne d’économie, principale autorité européenne en ce domaine. Rien que ça !

Cette branche de l’économie s’intéresse à la dimension psychologique des choix économiques des hommes. Si cette démarche apparaît comme légitime, le problème est qu’entre les mains de l’oligarchie financière, les études psychologiques tournent souvent au Big Brother, fouillant les pulsions intimes des consommateurs pour mieux les manipuler. Exemple : Barack Obama a proposé que les entreprises fassent automatiquement adhérer leurs employés à un plan d’épargne-retraite, leur laissant le libre choix d’en sortir. Cette mesure s’appuie sur les études de Thaler, l’un de ses conseillers à la Maison Blanche, qui a constaté que beaucoup de salariés n’adhèrent pas au plan si on se contente de le leur proposer, d’où la nécessité d’influencer leur choix dès le départ…

Tirole s’est intéressé aux effets à long terme de la réputation collective sur un groupe ou une nation. S’inspirant de Kurt Lewin de l’Institut Tavistock, il étudie le rôle de l’autorité formelle ou réelle au sein d’un groupe ou d’une entreprise. Les travaux de Lewin portent notamment sur la façon dont un groupe, sans direction évidente, peut être induit à agir contre ses propres intérêts. Avec Roland Benabou, membre lui aussi du groupe secret, ils ont étudié le rôle des « croyances intimes » des individus, comment le fait de se croire beau, généreux et intelligent, affectent, par exemple, leur comportement économique.

Ces individus exercent aussi une influence démesurée sur les débats sur le crash financier. Tirole est un proche collaborateur d’Olivier Blanchard, « chief economist » du FMI, lui-même très influent dans les coulisses du G20. Auditionné en octobre 2008 par la Commission des finances de l’Assemblée Nationale sur le crash, Jean Tirole a déclaré qu’il fallait « oublier » toute régulation des Hedge Funds et qu’il « n’était absolument pas question » de mettre fin à la titrisation et aux produits dérivés, et qu’il suffisait d’atténuer quelques effets négatifs.