Déclaration de Jacques Cheminade

L’Europe au défi de la City

jeudi 7 mai 2009, par Jacques Cheminade

par Jacques Cheminade

Les élections européennes auraient pu être l’occasion d’un grand débat politique sur notre avenir. Après le désastre du G20 et l’abandon en rase campagne du Nouveau Bretton Woods par Nicolas Sarkozy à Londres, le gouvernement et l’UMP ont fait en sorte de les réduire à un filet d’eau tiède. Le Parti socialiste, incapable de se donner une mission et livré à ses querelles internes, n’a rien de substantiel à proposer. Seul Debout la République, de Nicolas Dupont-Aignan, et le Front de gauche poursuivent, chacun à leur manière, le combat contre les dogmes libéraux et le traité de Lisbonne. Cependant, aucun mouvement de fond ne se lève pour dénoncer le danger immédiat d’une désintégration économique et sociale du monde dans lequel nous vivons, en traçant les perspectives pour y échapper, à la dimension du tragique de l’histoire présente. Aucun ne désigne clairement l’adversaire, l’ordre oligarchique de la City de Londres et de Wall Street, qui porte en lui les ferments de la guerre de tous contre tous et du choc des civilisations.

Pour notre part, nous n’avons pas pu présenter de liste, faute de moyens financiers dans un système électoral dominé par l’argent, ce qui ne nous empêche pas de tenter obstinément d’inspirer toutes les forces républicaines de notre pays face à l’urgence tragique des choses.

Dans le vide créé par la pusillanimité et l’absence de courage des principaux courants politiques dominant notre pays par leurs réseaux et leurs influences, trois dangers apparaissent.

Le premier, et le plus grand, est la résignation de l’opinion, entretenue par les médias et l’abrutissement de la communication par le virtuel. Un monde de l’immédiat, sans histoire et sans avenir, se substitue ainsi à l’univers de la création humaine, qui s’inspire toujours des élans passés pour transformer l’avenir. Peuplant les écrans d’images, il prive le peuple d’une parole vraie.

Le second est la tentation de la violence dans les rapports sociaux, fomentée par les extrêmes de droite et de gauche, dans la seule perspective de désigner des boucs émissaires, sans remettre en cause le système culturel qui les engendre. L’écologisme, dans ce contexte, n’est qu’une béquille pour la carrière de vieux opportunistes ou une arme pour propager le sentiment que l’homme est un prédateur de la nature, en entretenant le doute sur les créations qui ont porté son histoire.

Le troisième, manifeste dans « l’affaire Dieudonné », est la déchéance du politique dans les manipulations communautaristes. La présence de listes « antisionistes » est ainsi une sinistre farce face aux défis réels que nous lance l’histoire. En attisant le conflit israélo-palestinien en France et en alimentant un antisémitisme « populaire » qui apparaît dans les quartiers, on encourage la haine et la division, non l’égalité et la réconciliation. Faut-il rappeler une fois de plus que le but de toute politique impériale, et aujourd’hui celle de l’Empire britannique auquel M. Sarkozy s’est soumis, est de diviser pour régner, le Moyen-Orient étant, depuis l’accord Sykes-Picot de 1916, le terrain favori de ce jeu criminel ?

Il faut sortir la France, l’Europe et le monde de cette course à l’abîme, non en focalisant les choses sur de faux débats, mais en traçant la voie pour sortir de la mondialisation financière par le développement économique mutuel, et en rassemblant toutes les forces disposées à le faire, sans rejet dogmatique ni préjugé sectaire.

Notre rôle, à Solidarité et Progrès, nous le voyons (après avoir prévu ce qui se passe aujourd’hui comme une conséquence des aberrations d’hier, et proposé la perspective du Nouveau Bretton Woods) comme celui à la fois du fil de l’épée et du catalyseur face au gouffre qui s’ouvre devant nous.

Que des chefs de gouvernement socialistes ou se disant tels, comme José Luis Zapatero ou Gordon Brown, se soient prononcés pour un renouvellement de José Manuel Barroso à la tête de l’Europe, que les listes des « grands » partis soient constituées de recalés d’autres élections au suffrage universel, de ministres en déshérence ou de dirigeants à caser loin de leurs bases d’origine, ne fait qu’entretenir un terrible scepticisme, sans confrontation de différentes visions de notre intérêt commun. Les cyniques disent que la lutte des places s’est substituée à la lutte des classes ; nous disons plutôt que le désir d’occuper des créneaux avantageux s’est substitué à tout sens de mission alors que la crise balaie le monde.

Qu’on ne se plaigne donc pas des « dérives » si on ne traite pas ce qui les engendre. La République a pour mission d’extirper le mal en s’attaquant à ses causes. Lorsqu’elle ne le fait pas, le sommeil de la Raison engendre des monstres.