Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Sortir du dilemme

vendredi 30 avril 1999

« Dans une guerre d’idées, le parti qui triomphe est celui qui a inspiré la paix » Léon Blum à Buchenwald, le 23 février 1945

L’épuration ethnique au Kosovo et la guerre de l’OTAN créent pour chacun d’entre nous, au plus profond de nous-mêmes, un dilemme dramatique. Ou bien l’on soutient les bombardements de la Serbie et du Monténégro, la destruction par des avions opérant à 5000 mètres d’altitude, et on légitime ainsi l’imposition au monde d’un « code global de bonne conduite », celui de l’oligarchie financière et de son bras armé, ou bien l’on dénonce l’intervention et on légitime la barbarie de Milosevic, faute d’arrêter la première déportation organisée en Europe depuis la guerre.

L’on ne peut sortir de ce dilemme que par le haut, en le rejetant au nom d’une logique de paix moralement supérieure, définissant un intérêt commun. Nous l’avons dit et répété ici, c’est celle d’un pont terrestre eurasiatique, d’un plan Marshall pour l’ensemble des Balkans - branche « sud » du pont terrestre - et d’un nouveau Bretton Woods permettant d’arracher le pouvoir à l’oligarchie financière anglo-américaine et de réorienter les flux financiers internationaux vers ces projets de développement mutuel, c’est-à-dire vers le travail, la production et les infrastructures, et non vers les spéculations financière destructrices.

Cependant, il ne s’agit pas d’une « solution miracle » applicable comme une recette extraite d’un livre de cuisine. Combattre pour cette perspective suppose remettre en cause la règle du jeu, donc identifier puis rejeter en bloc la matrice même de cette guerre, qui risque de s’étendre au monde.

L’arrêt des bombardements et le droit à l’autodétermination du peuple kosovar sont possibles en même temps ; plus encore, l’un sans l’autre définirait une logique de guerre sans limites. Angélisme ? Irréalisme ? Utopisme ? Non, mais capacité à penser dans la distance et dans le temps, puis d’agir, au nom d’idées, même si elles remettent en cause notre confort quotidien. Cela définit la différence entre l’homme et l’animal, entre un citoyen libre et responsable, pourvu de raison, et un sujet d’Al Gore ou de Milosevic, réduit à ses instincts, à ses sens et aux préjugés de ses voisins. Aujourd’hui, on fait la guerre aux autres - celle des armes comme celle de l’argent - car on a oublié de la faire à soi-même, oublié de se donner les moyens et les forces de se changer soi-même pour changer le monde.