Les écrits de Jacques Cheminade

Faire face aux Ides d’octobre

vendredi 21 août 2009, par Jacques Cheminade

Faire face aux Ides d’octobre

Contre le monétarisme, un système de crédit public

« Les hommes, à certains moments, sont maîtres de leurs destinées.
Si nous sommes asservis, cher Brutus, la faute en est à nous et non à nos étoiles… »

Cassius à Brutus, dans Jules César de Shakespeare (Acte I, scène 2)

Après le G20 de Londres, aucune mesure n’a été prise de manière à faire face et arrêter le scandale. En effet, il ne s’agit pas aujourd’hui d’une crise cyclique, mais d’une crise de tout le système financier, économique, social et culturel, à l’échelle mondiale. Il n’y a pas de reprise ou de « rebond » ; simplement, les établissements financiers empochent des sommes énormes avec l’aide des Etats, au détriment des citoyens (baisse des dépenses publiques) et des contribuables (ponctions au détriment des classes moyennes). Ils jouent à faire monter la bourse pour en extraire des bénéfices, des bonus et des commissions sans précédent.

Cependant, c’est du court terme. Dès l’échéance d’octobre (fin de l’année fiscale américaine), la pyramide spéculative risque de s’effondrer. Pour qu’elle ne retombe pas sur nous, nous nous battons pour faire adopter de toute urgence des mesures de salut public :

  • Les Etats doivent convoquer une nouvelle conférence du type de celle de Bretton Woods en vue de créer un nouveau système de crédit public pour l’équipement de l’homme et de la nature, en sortant du monétarisme prédateur. Les Etats doivent mettre un terme à la loi du plus fort et du court terme prévalant sur les marchés internationaux et reprendre le contrôle de l’émission de monnaie et de crédit. Il faut recréer des banques nationales, chefs d’orchestre de la distribution du crédit-monnaie, sous contrôle politique des citoyens.
  • On doit faire en sorte que la monnaie et le crédit s’orientent vers le financement de l’infrastructure, de la production et du travail. Il faut des centaines de milliards d’euros pour ces projets, pas pour les banques. Les Etats doivent ainsi émettre des crédits à long terme et à faible taux d’intérêt et favoriser une stratégie de grands travaux Est-Ouest et Nord-Sud. Cela suppose qu’on fasse sauter les restrictions nationales (loi du 3 janvier 1973) et internationales (depuis l’article 104 du Traité de Maastricht), en faveur du bien public et du respect des droits inaliénables et des principes définis dans le préambule de notre Constitution, qui sont aujourd’hui bafoués.
  • Les établissements financiers doivent être soumis à une procédure de banqueroute organisée. Le paiement de toutes les créances en cours (plusieurs dizaines de fois le montant cumulé des PIB de tous les pays du monde) est devenu impossible. Il faut donc mettre en règlement judiciaire systématique les agents financiers surendettés et éliminer, en particulier, la bulle des produits financiers dérivés.
  • Il faut ensuite revenir à une régulation permettant d’établir une parité stable entre monnaies et, si nécessaire, à un contrôle des changes et des mouvements de capitaux, à un contrôle des échanges commerciaux et à la mise en place de mesures protectionnistes intelligentes en faveur des industries naissantes et contre les pratiques de dumping.
  • Il faut sauver l’économie réelle, c’est-à-dire l’éducation nationale, la santé publique, la recherche et développement, l’épargne populaire, les infrastructures et les biens de production et de consommation. L’on doit immédiatement mettre un terme au renflouement sans contrôle du système financier qui, dans le sommeil de la raison, ne pourrait engendrer que de nouveaux monstres.

Seul, au minimum, le retour aux conceptions économiques qui, de Franklin Roosevelt à Charles de Gaulle en passant par Pierre Mendès-France, ont inspiré les politiques de croissance forte du New Deal aux Etats-Unis et d’après-guerre en Europe, nous permettra d’éviter la désintégration économique et sociale et de créer une nouvelle ère de développement mutuel. Jacques Cheminade a annoncé cette perspective dès 1993-1995 et l’histoire lui a donné raison. Aujourd’hui, pour éviter le pire, pour ne pas inviter les pandémies, les émeutes et la faim à la table du monde qui vient, il faut s’y mettre de toute urgence. Les dirigeants ont failli, le peuple doit donc entrer en scène, sans violence et avec la perspective du bien commun et de l’avantage des générations futures. Pas demain, mais ici et maintenant. Le reste n’est que bavardage sur le pont du Titanic.


Les Ides d’octobre

La reprise boursière face à la désintégration économique

par Jacques Cheminade

Les bourses ont grimpé durant tout cet été. Pourtant, rien dans l’économie réelle, dans la production, l’emploi ou les infrastructures ne justifie cette hausse. En réalité, toutes les annonces d’un rebond, d’une reprise ou d’une réduction des risques de dépression ne font que refléter autre chose : le gonflement des actifs financiers par des établissements (banques, compagnies d’assurance, hedge funds ou véhicules nouveaux) qui jouent sur les marchés grâce aux énormes sommes d’argent que leur ont fournies les Etats pour les renflouer. Plus que jamais, dans ce jeu qui s’effectue désormais de plus en plus sur des plateformes alternatives ou dark pools, de gré à gré et sans contrôle public, l’économie financière se trouve découplée de l’économie réelle. Actions, matières premières ou toute autre forme d’actif sont poussées à la hausse avec les mêmes effets de levier qui ont provoqué la crise, sur des durées courtes ou très courtes pour permettre l’encaissement de bénéfices rapides. La pyramide qui s’est ainsi reconstituée ne repose sur aucune substance physique, pas plus et même moins que précédemment.

En réalité, c’est le démantèlement du modèle dominant depuis l’Administration Roosevelt et la reconstruction d’après la seconde Guerre Mondiale qui entre dans sa phase finale.

Début octobre, lors de l’échéance de l’année fiscale américaine, le « nouveau modèle » ne peut qu’éclater de toutes parts. En effet, aujourd’hui les joueurs se regardent les yeux dans les yeux, essayant de gagner un maximum très vite, mais dès que certains donneront des signes de vouloir se retirer, il se produira une réaction de fuite incontrôlée de tous. Car la pyramide ne tient que par l’assistance des Etats, qui eux-mêmes ne peuvent pas s’endetter indéfiniment pour soutenir les établissements financiers, et par la confiance entre établissements dont les intérêts dépendent les uns des autres, tous craignant, au moment où certains demanderont à voir le jeu des autres, que leurs partenaires ne puissent couvrir leurs pertes. En jargon professionnel, cela s’appelle la défaillance des contreparties. Et dans toutes les crises majeures de l’histoire, c’est la crainte de ces défaillances qui a toujours entraîné la chute du système. L’échéance d’octobre, qui contraindra précisément à abattre certaines cartes, exposera les dettes des uns et l’absence de liquidités des autres. Rappelons qu’en sauvant le premier assureur du monde, AIG, qui aura reçu 175 milliards de dollars, l’Etat américain a permis le remboursement de contrats de produits dérivés pour lesquels AIG était perdant. Goldman Sachs a vu ainsi sa « contrepartie » lui verser 12,9 milliards de dollars et la Société générale 11,9 milliards, passés des poches des citoyens et des contribuables américains à ces deux banques, ainsi que pour des sommes moindres à de nombreuses autres. Cependant, dans le climat économique et social qui règne aux Etats-Unis, l’ambulance ne pourra repasser une seconde fois pour sauver les imprudents et les délinquants, qu’ils soient américains ou étrangers.

L’inéluctabilité de ce que nous affirmons repose à la fois sur un examen de la nature de la hausse boursière, sur l’incapacité des Etats et des banques d’irriguer l’économie réelle de crédits et, plus fondamentalement, sur une analyse de l’état des économies mondiales. La seule solution, comme nous l’avons affirmé et réaffirmé à plusieurs reprises, consiste à changer de système. Car contrairement à ce que pensent les économistes qui n’ont pas vu venir la crise et annoncent aujourd’hui la reprise, ou à ceux qui comme Paul Krugman, Nouriel Roubini ou Dominique Strauss-Kahn, ont vu venir cette crise (bien après nous) mais restent dans les paramètres d’une économie monétariste (libérale ou keynésienne), estimant maintenant que « les réactions agressives et créatives de la banque centrale américaine ont significativement réduit les risques d’une prochaine dépression » (Nouriel Roubini, le 25 juillet), cette crise n’est pas cyclique, au sein du système existant, mais est une crise de désintégration de tout le système.

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I. La nature fictive de la récente hausse boursière

Tout d’abord, les marchés ont poursuivi une hausse pratiquement sans précédent depuis le printemps et le début de l’été, mais avec un très faible courant d’échanges. La situation est absolument inédite si on la compare à toutes les périodes précédentes de forte hausse. Les volumes auraient dû grimper de 20% à 25%. C’est en effet normalement l’accroissement des investissements qui « fait » la hausse. Or depuis le début du mois de juillet, alors que la hausse s’est accélérée, ils ont perdu 40% par rapport à la moyenne des trois mois précédents. Même chose si l’on compare les volumes d’échanges en juillet avec la moyenne en période d’annonce des résultats financiers. Ils auraient dû être en hausse de 10%, alors qu’ils se sont littéralement effondrés.

S’il y a peu d’achats, si les investisseurs sont frileux et si même les fonds se retirent des marchés, comment une hausse a-t-elle donc été possible ? La réponse est simple : les marchés ont été manipulés, à l’aide de logiciels de trading automatisés. Ajoutons que si début juillet, l’autorité américaine de régulation des marchés boursiers, la SEC, a annoncé avoir mis au jour une vingtaine de fraudes de type Madoff, ici il s’agit de quelque chose de bien plus grave : de gains systématiques sans création de richesse physique ou sociale, et avec la complicité ou la passivité des autorités.

Ces trading à haute vitesse (high frequency trading) ou ordres flash représentent aujourd’hui 46% des ordres passés chaque jour à Wall Street. Leurs programmes « complexes » offrent un avantage incomparable à ceux qui en sont pourvus, soit quelque 400 des 20.000 sociétés de trading aux Etats-Unis. Les plus avantagés sont les deux banques d’affaires Goldman Sachs et JP Morgan Chase, formellement reconverties en banques de dépôt pour pouvoir bénéficier de l’aide publique.

Goldman Sachs, en particulier, a pu réaliser d’énormes bénéfices. Au cours du deuxième trimestre 2009, ses équipes de trading ont connu 46 journées de bénéfices supérieurs à 100 millions de dollars, le précédent record ayant été de 34 jours. Elles n’ont subi des pertes qu’au cours de deux séances seulement. Autant dire qu’elles ont pratiquement gagné à tout coup. Il a été mis de côté 11,4 milliards de dollars pour payer les bonus des traders en fin d’année, soit environ le tiers des avantages publics de toutes sortes dont la firme a bénéficié, sur le dos du contribuable et du citoyen, puisque par ailleurs les dépenses sociales et de soins médicaux ont été réduites.

Le scandale de la fuite du programmeur Sergey Aleynikov, suspecté d’avoir volé des algorithmes top secret à son employeur Goldman Sachs, a permis de faire connaître publiquement ce qui se chuchotait sous la table.

Goldman Sachs assiste le Groupe de travail sur les marchés financiers, créé par le Président Reagan moins de six mois après le krach du 19 octobre 1987. Cela signifie qu’il assiste ce groupe dans ses interventions sur les marchés et se tient à la disposition de la Bourse de New York pour fournir de la liquidité en cas de besoin. Pour cette raison, non seulement l’établissement obtient des commissions juteuses sur le renflouement du système financier que lui-même a en grande partie organisé, mais a accès à certains codes de sécurité, notamment sur le réseau du New York Stock Exchange (qui par ailleurs contrôle Euronext et donc la Bourse de Paris). Aleynikov, et il n’était pas le seul, travaillait sur un système permettant d’installer des logiciels capables de capturer des flux de texte passant par des serveurs informatiques.

Ainsi Goldman Sachs disposait avant le public et ses concurrents des informations sur l’achat et la vente de titres (actions, matières premières…) et des notifications d’exécution de transactions, comme un joueur de poker capable de voir un bref instant les cartes de ses adversaires avant qu’elles soient abattues. De plus, certains marchés comme le Nasdaq sont autorisés à communiquer certains ordres d’achat ou de vente aux traders avant tout autre intervenant, moyennant une commission !

En couplant ce délit d’initié « légal » et des interventions à la vitesse de la lumière, la martingale est pratiquement toujours gagnante. Seulement, c’est du jeu à très court terme (parfois quelques millisecondes pour bénéficier de différentiels, et en intraday c’est-à-dire au jour le jour, en fermant les positions chaque soir pour éviter les risques plus longs). Comment est-ce possible ? Tout d’abord, la Securities and Exchange Commission (SEC) a autorisé en 1998, l’année précédant l’annulation du Glass-Steagall Act séparant banques d’affaires, banques de dépôt et sociétés d’assurance, que des échanges électroniques puissent avoir lieu sur les marchés, sous prétexte de permettre « démocratiquement » l’accès aux transactions à quiconque disposerait d’un ordinateur. Profitant de son quasi-monopole sur un temps très bref, Goldman Sachs (d’autres grands du trading l’ont imité, mais à une moindre échelle) a mis au point des programmes automatiques d’ordinateurs visant à encaisser sur un temps de quelques millisecondes des différentiels entre le prix payé par des investisseurs plus lents et les siens, au besoin en les induisant en erreur. Les gains sont à chaque fois faibles, mais multipliés par un très grand nombre d’opérations par jour ils expliquent les résultats de Goldman Sachs.

Evidemment, nous ne sommes plus là dans le domaine de marchés financiers, rassemblant des fonds pour financer l’économie, mais dans des tripots de luxe !

C’est bien pire que ce qu’affirme Christine Lagarde, notre ministre de l’Economie : ce ne sont pas les « vieilles façons qui reviennent », mais une escroquerie sans précédent à l’échelle mondiale, inéluctablement condamnée à se fracasser contre le mur de la réalité.

Tant dans l’Administration Bush que dans celle d’Obama, les Goldman boys, juges et parties, ont joué et jouent un rôle déterminant. Le secrétaire au Trésor de l’Administration Bush, Henry « Hank » Paulson, ancien responsable de Goldman Sachs, a ainsi mis au point avec le PDG actuel, Lloyd Blankfein, les plans de renflouement des banques américaines. Ce partenariat public-privé a conduit à sauver…Goldman Sachs, à laisser Lehman Brothers faire faillite et à contraindre Bear Stearns et Merrill Lynch à des mariages forcés. Le scandale a récemment éclaté : Paulson, depuis le début 2008, avait promis de demander une autorisation officielle de la Maison Blanche pour rencontrer Lloyd Blankfein. Il le fit plusieurs fois sans autorisation, et ne présenta de demande officielle à la Maison Blanche que le 19 septembre 2008, pour obtenir un accord en trois heures. Depuis, « Tim » Geithner, le nouveau secrétaire au Trésor de Barack Obama, continue à se montrer très amical avec la vieille maison en général et « Hank » Paulson en particulier.

Soulignons pour terminer que les 12,9 milliards obtenus par Goldman d’AIG concernent deux établissements qui furent très actifs sur le marché de Londres dès octobre 1986, date de la grande dérégulation ou Big bang de Margareth Thatcher, qui précéda de plusieurs années celui de Washington.

Ajoutons trois choses encore sur le « phénomène » boursier récent.

1) Tout d’abord, la concentration auprès de la City des centres informatiques des bourses européennes. Ainsi, Nyse Euronext va transférer le centre informatique de sa plate-forme du marché « cash » (actions et obligations) européen d’Aubervilliers vers la capitale britannique. La bourse de Milan a elle aussi placé son système informatique sous la houlette de son propriétaire, le London Stock Exchange. Deux raisons à cela. D’une part, Nyse Euronext veut se battre à armes égales avec les nouvelles plateformes alternatives (cf. plus haut) Chi-X , Smart Pool (partenariat de JP Morgan, HSBC et BNP Paribas) et autres BATS qui ne cessent de prendre des parts de marché. Elles ont choisi Londres, centre de dérégulation et de lessivage financier, pour s’installer, entraînant un nouveau mouvement général, comme lors des années 80-90 du XXe siècle.

D’autre part, le projet de la Bourse transatlantique installée à Londres est de proposer à ses clients la palette complète de produits cotés, depuis les actions de la zone euro jusqu’aux dérivés du marché londonien Liffe, en passant par la nouvelle offre de négociation de blocs, Smart Pool, lancée en février, et son système multilatéral de négociation alternative, Nyse Arca, qui a débuté en mars.

Compte tenu de ce que nous venons d’expliquer sur les transactions en millisecondes de Goldman Sachs, il est intéressant de citer une remarque de Guy Mamou-Mani, président de Middlenext, porte-drapeau des valeurs moyennes : « Cette délocalisation s’inscrit dans la politique de Nyse Euronext en faveur des grandes valeurs pour lesquelles les temps de réponse sur les négociations sont primordiales. » Ici on voit bien que tout se tient : une concentration financière, pour des opérations de plus en plus à court terme, en contradiction chaque fois plus grande avec les contraintes de développement de l’économie réelle, qui sont à moyen et long terme. En se concentrant ainsi, la « finance folle » détruit l’économie, mais se fait également hara-kiri dans une fuite en avant de plus en plus insensée.

2) La hausse des bourses a été d’autre part accélérée par le phénomène de l’exécution des ordres stop à la hausse. Les divers intervenants estiment en effet qu’à partir d’un certain cours, généralement convenu entre eux (et moins ils sont mieux ça marche), leurs ordinateurs donneront des ordres d’achat. Ainsi la bourse monte pour leur profit, entraînant mécaniquement d’autres intervenants moins rapides ou moins bien informés, qui lors de l’inéluctable et brutal renversement de tendance seront fatalement perdants. Non seulement la bourse n’est plus un outil de croissance réelle de l’économie, mais au contraire tout se joue sur le court ou le moyen terme, en cherchant des décalages. On a ainsi vu sur la bourse de Paris les valeurs ayant le plus baissé (Peugeot, Lafarge, Renault, Michelin…) rebondir brutalement sans que rien ne justifie économiquement ce mouvement. Simplement, ce qui avait le plus baissé présentait mécaniquement le plus de possibilités de remonter, dans un jeu détaché de la réalité physique sous-jacente. La même chose s’est passée aux Etats-Unis ou sur la bourse de Shangaï : là-bas, les actions qui avaient baissé d’environ 70% ont rebondi de 80% depuis le début de l’année, alimentés par le plan de relance gouvernemental à tout va, injectant des fonds sous forme de billets de trésorerie sans garanties de solvabilité. Le « bol aux poissons d’or » est devenu une eau trouble dans laquelle les actions se paient désormais 35 fois les bénéfices annuels en moyenne.

3) Depuis quelque temps, de fortes incitations sont offertes au grand public pour jouer sur tous les marchés. On peut désormais jouer sur son ordinateur sur les marchés des matières premières, des changes ou en utilisant des effets de levier sur indice (« trackers » ou « warrants » permettant de jouer plusieurs fois sa mise). Les « marchés parallèles » se mettent de la partie, avec des produits exotiques comme les Contract For Difference (CFD), offerts sur les plates-formes de trading, en l’absence de cotations faisant foi, car celles-ci se poursuivent hors séance, sur les marchés de gré à gré. Ces dérives sont toujours un signe de vulnérabilité du système.

Il est clair qu’après l’échec du G20, dont même les modestes projets de régulation n’ont pas été appliqués, le degré d’instabilité des marchés est devenu quasi-absolu. Ils deviendront vulnérables lorsqu’un violent coup de projecteur sera jeté sur leurs pratiques, comprises par ceux qui en sont victimes. C’est ce que nous voulons dire lorsque nous évoquons les Ides d’octobre. Comme le dit Cassius à Brutus dans le Jules César de Shakespeare, ce n’est pas dans les étoiles que notre destin est inscrit, mais dans les faiblesses auxquelles nous ne parvenons pas à renoncer.

II. Incapacité des Etats et des banques à alimenter l’économie réelle

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Bien plus grave que tout ce que nous venons de décrire est l’incapacité des banques et des Etats d’alimenter en crédit l’économie réelle.

Les indicateurs monétaires montrent que le volume de crédit régresse depuis que la politique d’injection massive de monnaie a été lancée.

Les montants versés par les banques centrales en faveur des établissements financiers sont pourtant sans précédent historique.

Aux Etats-Unis, N. Barofsky, inspecteur chargé de surveiller le programme TARP d’aide aux banques, a évalué devant le Congrès le total des subventions, aides, garanties et cautions gouvernementales à 23.700 milliards de dollars. La Réserve fédérale (banque centrale) américaine achète pour sa part, tout comme les Banques d’Angleterre, de Suisse et du Japon, des bons du Trésor américain pour lui permettre d’aider les établissements financiers. On en est arrivé au stade de la planche à billets électronique. Interrogé par un congressiste, l’inspecteur général chargé de superviser la Fed n’a pu expliquer comment, depuis septembre 2008, le bilan de la banque centrale s’était accru de 1000 milliards de dollars, et pas davantage comment l’Agence Bloomberg avait pu écrire que 9000 milliards de dollars étaient apparus dans ses opérations de gré à gré. En tous cas, la base monétaire ajustée de la Fed a grimpé de 900% depuis 1985 et rien que cette année, elle a plus que doublé.

La hausse des déficits budgétaires et de l’endettement public est, en Angleterre comme aux Etats-Unis, vertigineuse. Le déficit budgétaire américain atteint 12% du Produit intérieur brut, soit deux fois celui de la France. Le marché de l’immobilier est artificiellement maintenu en pompant des fonds sur Fannie Mae, organisme de refinancement hypothécaire, qui a perdu 14,8 milliards de dollars au deuxième trimestre, après en avoir perdu 23,2 milliards au précédent. Elle provisionne face à la montée des impayés, alors que les banques, elles, se dégagent comme elles peuvent.

En Europe, le montant total des refinancements accordés aux banques est de l’ordre de 1.500 milliards d’euros. Après avoir annoncé la mise en place de « mesures non conventionnelles », consistant dans le rachat de 60 milliards d’euros d’obligations « sécurisées » (obligations privées émises par les banques et censées être sécurisées par des actifs immobiliers), la Banque centrale européenne (BCE) a prêté, le 2 juin, 442,24 milliards d’euros à 1121 établissements financiers. Non seulement le record de décembre 2007 (349 milliards d’euros) a été dépassé, mais les prêts accordés l’ont été sur un an, contre 6 mois maximum auparavant. Les montants accordés l’ont été avec un taux de prêt bloqué à 1% pendant l’année, un véritable cadeau (le fixing de l’Euribor à 12 mois s’était inscrit à 1,57% le mercredi 24 juin) « offrant l’occasion d’un gain exceptionnel », comme le notaient les experts de la Société Générale.

En France, le dispositif choisi apporte, en plus, des liquidités à long terme par le biais de la Société de financement de l’économie française (SFEF), qui émet avec la garantie de l’Etat des titres de dette d’une durée pouvant atteindre jusqu’à 5 ans et les reprête aux établissements de crédit pour un montant pouvant aller jusqu’à 320 milliards d’euros.

Les établissements financiers bénéficient donc de flux très importants d’argent, les banques centrales espérant encourager les prêts aux entreprises et à la consommation. Cependant, ces prêts ont ralenti et continuent à ralentir.

Ainsi, aux Etats-Unis, le volume des prêts aux particuliers et aux entreprises a reculé en moyenne de 3% au deuxième trimestre (-3,6% pour la Bank of America). Les investissements ont été très liquides (à court terme) et sur la part mobilisée, les 2/3 ont été destinés à refinancer les prêts hypothécaires tandis que les prêts correspondant à des investissements productifs ne représentaient qu’une fraction très marginale. Dans l’économie productive, les chefs d’entreprise n’anticipent pas de reprise.

En France, jamais les établissements financiers n’ont accordé aussi peu de crédit. Sur un an, les nouveaux prêts accordés aux entreprises et aux particuliers ont chuté de 20%. Une contraction du crédit qui n’empêche pas les banques d’annoncer pour les deux premiers trimestres 2009 d’excellents résultats d’exploitation. Moins de prêts et plus de marges pour des banques qui ont bénéficié de 5,1 milliards d’euros d’aides de la part de l’Etat. Comme aux Etats-Unis, les banques se « refont » au détriment de l’Etat, et donc des contribuables et des citoyens.

Cyniquement, les banques ont prêté aux gens à qui elles avaient emprunté, en emmagasinant la différence de taux d’intérêt. Ainsi en juin les banques ont acheté pour 75 milliards de dollars d’obligations gouvernementales et ont prêté environ 30 milliards de dollars directement aux gouvernements européens. Car si la Banque centrale européenne, contrairement à la Fed, n’est pas prêteur en dernier ressort et ne peut donc acheter les obligations publiques des Etats, elle peut très bien prêter à des banques qui à leur tour prêteront aux gouvernements ou achèteront leurs obligations, en réalisant un profit !

Les Etats, eux, arrivent bientôt au bout de leurs possibilités sans déclencher brutalement une hyperinflation. Les Etats-Unis doivent déjà autant à la Chine et au Japon que l’Allemagne à ses anciens ennemis après 1918, en équivalent de monnaie actuelle. Le total des dettes américaines (publique, des entreprises financières et non financières et des ménages) atteint 370% du PIB américain, presque deux fois plus qu’en 1929 et cent fois plus que toutes les dettes de l’Allemagne en 1923, en valeur constante.

Comme l’Allemagne de Weimar, les Etats-Unis n’ont aucun moyen acceptable sur le plan politique de rembourser leurs dettes croissantes, sinon en imprimant de l’argent.

En attendant, les banques de Wall Street, sous perfusion publique, gagnent à nouveau beaucoup d’argent, comme nous l’avons vu. Cependant, elles ne financent pas de nouvelles entreprises ou de nouvelles usines. Elles n’aident pas le processus de formation de capital et n’allouent pas de nouveaux crédits de manière à créer de nouveaux emplois et de nouvelles activités. Elles refinancent d’anciennes dettes et spéculent sur des actifs morts-vivants. Cela n’augmente en rien la richesse réelle de la planète, au contraire. L’argent ne fait que changer de poches, sans faire redémarrer l’économie, et en se concentrant de plus en plus dans celles de moins en moins d’individus.

Quel sera le prochain Etat en cessation de paiements ? se demandent certains. D’ores et déjà, 48 Etats américains, qui n’ont pas le droit de présenter de déficit budgétaire, sont en faillite virtuelle. La Californie a dû émettre des IOUs (reconnaissances de dettes) faute de pouvoir payer en dollars ses fournisseurs, les gouvernements locaux, ses fonctionnaires et les contribuables bénéficiant d’un crédit d’impôt. Ces IOUs, qui portent un taux d’intérêt annuel de 3,75%, se négocient sur des marchés parallèles ( par exemple, sur eBay) à 70 dollars seulement contre une promesse de paiement d’une valeur nominale de 100 dollars. Les plus grandes banques américaines refusent de les accepter, tandis que la Californie doit opérer des coupes claires dans ses budgets sociaux, ses dépenses d’éducation et d’infrastructure et le paiement de ces fonctionnaires, détruisant ainsi ses bases de fonctionnement comme un pays du tiers-monde sous la pression du FMI. En l’absence de salaires et de profits, les recettes fiscales vont s’effondrer et l’Etat aura toujours davantage de difficultés à se financer.

En Europe, des pays comme la Lettonie, la Slovaquie, l’Espagne et la Grande-Bretagne subissent déjà ou vont au devant de terribles difficultés.

L’on comprend que tout le mécanisme suivant lequel ce système fonctionne depuis plus de quarante ans se trouve enrayé, et qu’octobre sera une échéance financière décisive, mais également économique et sociale.

III. La multiplication des points de rupture

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Trois indicateurs manifestent la vulnérabilité immédiate du système.

Le premier concerne les signes annonciateurs d’une fuite des investisseurs hors des marchés américains. Les Etats-Unis ont ainsi enregistré en mai un déficit inattendu de 19,8 milliards de dollars de leur balance des capitaux à long terme. Les institutions étrangères, dont les banques centrales, ont été vendeuses nettes de titres américains à long terme pour 23,4 milliards de dollars.

Le deuxième est la forte hausse des faillites de banques américaines petites et moyennes. Leur nombre pour le premier semestre 2009 dépasse celui de toute l’année 2008. Pire encore, les établissements les plus vertueux non seulement ne bénéficient d’aucune aide publique, contrairement aux grandes banques qui ont spéculé, mais doivent contribuer auprès de la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC, une mutuelle d’assurance interbancaire) pour couvrir les déposants qui ne peuvent plus l’être par l’établissement où ils ont effectué leurs dépôts. Le FDIC lui-même se trouve pratiquement à bout de ressources, ses actifs n’étant plus que de 13 milliards de dollars contre 52 milliards en 2007. En fait, le FDIC se trouve protégé par une décision du Congrès autorisant le Trésor à lui prêter 500 milliards de dollars, mais cela n’en fait plus une mutuelle d’assurance financée par les banques mais un instrument de renflouement public financé par le contribuable. Le FDIC a de son côté accordé sa garantie sur des émissions bancaires, se transformant en une source supplémentaire de financement gouvernemental, alors qu’ainsi que nous l’avons vu, le gouvernement arrive au bout de sa capacité d’emprunter autrement qu’en émettant de la monnaie de singe ! Deux institutions importantes vacillent sur leurs bases. La CIT, groupe américain de services financiers représentant au bilan 75 milliards de dollars, n’a été très provisoirement sauvée que par un consortium disparate (le gérant d’actifs Pimco, des fonds spéculatifs et des sociétés de capital-investissement) qui a pris en garantie tous les actifs non gagés qui restent au groupe. L’Etat fédéral, qui lui a apporté sa caution pour 2,3 milliards de dollars de dettes en 2008, finira peut-être par se montrer plus généreux, mais une fois encore, en accélérant le mouvement vers l’hyperinflation.

A défaut, une faillite paraît probable, mais l’on se console en se disant que CIT ne représente que 4% du bilan de Citigroup. Avec cynisme, les banques d’investissement et leurs traders sont à la fête, mais dans les établissements bancaires traditionnels, en prise directe avec l’économie réelle, le risque s’accroît au fur et à mesure de l’insolvabilité des débiteurs. Un tel écart ne peut durer longtemps, avant que n’apparaisse la sentence sur le mur de la réalité. La Guaranty Bank d’Austin (Texas), qui a 13,4 milliards de dollars d’actifs et dispose de 160 agences au Texas et en Californie, a annoncé qu’elle ne parvient pas à réunir de nouveaux capitaux, et pourrait être contrainte à une reprise par les autorités fédérales car ses superviseurs ont exigé l’effacement de ses investissements sur le marché hypothécaire. En juin 2008, le « raider » Carl Icahn et le roi de l’hôtellerie texane Robert Rowling avaient pris des participations dans cette banque pour 600 millions de dollars : ceci montre que les gagnants d’hier sont devenus les perdants d’aujourd’hui.

Le troisième indicateur est une « décision préliminaire » de la Financial Accounting Standards Board de revenir à une évaluation des actifs « mark to market », c’est-à-dire à la valeur du marché. Annoncée le 15 juillet par Jonathan Weil, de l’agence Bloomberg, cette décision renverserait celle d’avril, autorisant les banques à ne pas procéder à ces évaluations mark to market. A l’époque, il était clair qu’en remplaçant cette évaluation par une juste valeur ou une « valeur équitable », la FASB permettait aux banques de surévaluer leurs effets toxiques et de présenter de meilleurs bilans. Par exemple, si la CIT devait aujourd’hui appliquer la règle du mark to market, elle devrait reconnaître que « ses prêts au 31 décembre valaient 8,3 milliards de dollars de moins que ce qui apparaît sur ces comptes, une somme supérieure à ses fonds propres » ! Cela montre que CIT n’était plus solvable depuis longtemps, sauf que ses documents comptables ne l’indiquaient plus. Alors, pourquoi revenir aujourd’hui au mark to market, puisque l’effet de cette évaluation serait de faire apparaître officiellement la banqueroute de la majorité des établissements financiers américains ? Parce que la situation s’est tellement dégradée que les autorités craignent que lors de l’extériorisation des choses, elles en soient tenues responsables et risquent la prison. De toutes façons, la situation des banques est désormais trop connue pour qu’il vaille la peine de la dissimuler !

Cependant, les trois indicateurs que nous venons d’analyser ne sont que l’expression d’un risque bien plus global, qui définit l’arrière-plan des Ides d’octobre.

Cinq points de rupture apparaissent à un horizon très rapproché.

Le premier est celui des crédits hypothécaires autres que les subprime. Il s’agit des défauts de remboursement sur les emprunts de type Alt-A, contaminés de proche en proche par les autres et par l’étranglement des emprunteurs, dont l’encours dans l’immobilier représente plus de deux fois celui des subprime. Un rapport de la Deutsche Bank établit qu’en 2011, si rien n’est changé, 48% des acquéreurs de logements américains verront le niveau de leurs hypothèques dépasser la valeur de leur bien.

Le second est l’immobilier commercial. Dans ce domaine, presque plus rien de ce que l’on a construit ne trouve preneur, étranglant les entrepreneurs et les banques qui leur ont prêté.

Le troisième concerne les cartes de crédit. Acculés, les Américains ont utilisé leurs cartes même pour payer les frais de scolarité de leurs enfants, plusieurs assurances scolaires des Etats ne pouvant actuellement suivre en raison de la perte d’une partie de leurs actifs en bourse (elles sont parfois allées au-delà des plafonds d’investissements boursiers autorisés, à l’époque où on gagnait pratiquement à tout coup, et elles aussi se trouvent maintenant étranglées, ce qui montre bien la gangrène du système). Le résultat est que sur les 1000 milliards d’encours de cartes de crédit, le taux de délinquance s’accroît et dépasse maintenant, suivant les cas, 6 à 8%.

Le quatrième porte sur les Leveraged Buy Outs (LBO), concernant les sommes prêtées par les banques aux prédateurs et que ceux-ci ne peuvent plus rembourser en se payant sur la bête, soit parce que les opérations ne peuvent avoir lieu, soit parce que la bête est devenue trop étique. A cela s’ajoutent les Credit Default Swaps (CDS) et tous les mécanismes d’assurance contre prime, un domaine où tout le monde sait que les choses vont mal mais dans lequel une chatte ne retrouverait pas ses petits.

Enfin, le cinquième est celui des effets de commerce (commercial paper) qui, dans de nombreux cas, ont servi de caution pour des titres émis sur des marchés de gré à gré.

Ajoutons que le système financier américain, basé sur la titrisation des créances, reste en survie artificielle quotidienne grâce au TALF (Term Asset Backed Securities Loan Facility), c’est-à-dire au programme public de rachats d’actifs de type ABS ou RMBS, un programme qui doit en principe expirer au début de l’automne.

La confusion est totale, et l’édifice ne tient que parce que personne ne demande de comptes à personne, tous espérant l’aide de l’Etat sans contrôle ni conditions. Or en octobre, il faudra bien montrer une partie des cartes, dans une situation explosive de crise sociale due au chômage toujours croissant et à l’opposition populaire à la réforme de santé voulue par l’Administration Obama, qui vise à réduire les dépenses (notamment à l’encontre des vieux, des malades chroniques et des handicapés) alors qu’en même temps elle a arrosé pratiquement sans limites les établissements financiers.

Il faut donc bien voir que le dénouement approche non seulement sur le plan financier, nous l’avons vu, mais sur les plans économique et social, en raison de la tromperie dont les Américains se sentent victimes. On leur avait dit que leurs salaires n’augmentaient pas et que leurs assurances étaient médiocres, mais que cela serait compensé par le crédit, la hausse de leurs actions en bourse et du prix de leur bien immobilier, leur revenu supplémentaire étant obtenu en « rechargeant » leurs hypothèques en fonction de la hausse du prix. Tout cela s’est effondré, et l’on mesure encore mal en Europe le mécontentement et la rage des classes moyennes américaines qui se sentent « flouées » par tous les gouvernements qui se sont succédés depuis plus de trente ans.

En Europe, précisément, la même chose arrive avec un effet de décalage, bien que les protections sociales soient plus élevées dans des pays comme le Danemark, la Suisse ou la France. Les Pays baltes, l’Espagne, la Hongrie, la Pologne et jusqu’à la Grande-Bretagne sont frappés de plein fouet. De plus, nous l’avons vu, la multiplication des textes permettant la spéculation et la fuite en avant des financiers vers Londres vont accélérer le mouvement. Citons simplement le cas du transfert du centre d’informatique de Nyse Euronext à Londres. Cette décision est une conséquence perverse de la directive européenne MIF (marchés d’instruments financiers), qui a libéralisé, à partir de novembre 2007, le marché de tous les services financiers. C’est cette directive européenne qui a autorisé l’émergence des plateformes alternatives, mentionnée plus haut. Celles-ci viennent concurrencer les bourses traditionnelles, sans pratiquement aucune contrainte de régulation, et se localisent à Londres. Voilà, sous une forme irréfutable, l’effet de l’Empire de la City britannique dans l’Europe telle qu’elle est définie aujourd’hui.

IV. L’effondrement économique et social

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L’économie réelle est en crise sans espoir de reprise au sein de ce système, qui tarit le développement de l’économie productive et répand le chômage, diminuant la capacité de consommation des ménages : ceux qui perdent leur emploi n’ont plus de quoi, et les autres qui craignent de le perdre préfèrent se désendetter (le taux d’épargne américain est passé de 0 ou même moins à plus de 6%, ce qui est encore très faible par rapport aux taux de l’Europe continentale). Or la consommation des ménages représente plus de 80% de l’effet croissance aux Etats-Unis. Les recettes fédérales ont, quant à elles, diminué de 18% par rapport à l’année fiscale précédente, et encore s’agit-il d’une estimation de mi-juillet, sans doute trop optimiste.

L’Administration Obama pense, ou du moins elle le dit en public, que son plan de renflouement a marché car le PIB n’a diminué que de 1% au deuxième trimestre, contre une chute de 6,4% au premier. Or, d’une part le PIB n’est pas vraiment une référence : il rassemble les biens physiques et les services qui sont une charge pour l’économie et non un surplus réel, et il est évalué en dollars et non en unités physiques. D’autre part et surtout, si nous examinons les données sur la production industrielle et l’emploi, la dynamique est à l’opposé de ce qu’affirme la Maison Blanche.

La production industrielle est tombée de 17% depuis que Lyndon LaRouche a constaté la « mort du système » le 27 juillet 2007. La production de biens durables est, elle, tombée de 32%. Les ventes d’automobiles et de véhicules de transport légers ont diminué de 56% depuis octobre 2001. Alors que les banques gagnent des milliards en papier, les profits de l’industrie lourde chutent. Ainsi Caterpillar a vu ses profits chuter de 66% au deuxième trimestre. En d’autres termes, alors que les banques faisaient des profits avec l’argent des contribuables fourni par l’Etat, Caterpillar essayait de fabriquer des choses et des choses qui aident les entreprises à fabriquer d’autres choses. Des choses de grande taille, avec des moteurs, qu’on utilise pour creuser des trous et transporter de la terre, des choses dont on a besoin si on veut une vraie reprise économique. Malheureusement pour Caterpillar et pour l’économie, ces choses ne se vendent pas.

On parle aussi de la hausse des ventes de nouvelles maisons, de 11% en juin. Il s’agit là du chiffre mensuel. Si l’on en croit les chiffres annuels, elles sont en baisse de 21% par rapport à l’année précédente, le deuxième chiffre le plus bas depuis 1963 en valeur absolue. Dans la mesure où la population américaine est bien plus importante qu’il y a 52 ans, il s’agit, en termes relatifs, du pire mois de juin de l’histoire pour les ventes de nouvelles maisons, et encore, beaucoup de celles-ci sont vendues à des prix bradés. Les banques qui saisissent les maisons dont les propriétaires ne parviennent pas à payer les hypothèques doivent les revendre à bas prix ou, plus simplement, les casser et les désosser pour récupérer ce qu’elles peuvent.

Les importations et les exportations s’effondrent, avec une chute plus rapide des importations, révélatrice de la crise de consommation. Les importations de biens ont ainsi chuté de 27% depuis juillet 2007, et de 39% par rapport à leur sommet d’il y a environ un an. Les exportations de biens, pendant les mêmes périodes, ont diminué de 14% et 30% respectivement.

En termes d’emploi, le plan de relance d’Obama était censé juguler le chômage à 8%. Officiellement, il est à 9,4% en juillet, en recul de 0,1% par rapport à juin. Et l’Administration se félicite publiquement de ce petit recul ! En fait, ce « bon » chiffre est dû à une sortie exceptionnellement importante de salariés sans emploi des statistiques ! En fait, tout le monde admet que le taux de chômage réel américain dépasse les 20% (si l’on ajoute aux 14,5 millions de chômeurs officiels n’ayant exercé aucune activité les 8,8 millions travaillant à temps partiel non choisi et sans bénéficier d’allocations et les 9 millions ayant disparu des statistiques parce qu’ils ne se sont pas inscrits à la recherche d’un travail depuis plus d’un an). A cela il faut encore ajouter les travailleurs pauvres, souvent dans des mini ou micro-entreprises au seuil de la faillite et abandonnées par les banques locales en difficulté.

L’emploi potentiel non satisfait dépasse les 30%, et seulement le tiers de ces 30%, c’est-à-dire 10% de la population active totale, reçoivent des allocations pendant de très courtes durées. Les autres ne perçoivent rien, hormis des aides d’urgence. Ainsi, 34,4 millions d’Américains relèvent du régime d’aide alimentaire d’urgence (foodstamps), c’est-à-dire plus d’un Américain adulte sur huit. Leur nombre a augmenté de 2% en mai.

Les entreprises suppriment les postes encore plus rapidement que prévu. Elles ne font pas que licencier le personnel qu’elles jugent « en trop » ; elles se débarrassent aussi de ceux qui seraient normalement épargnés. De plus, ceux qui restent travaillent moins. On n’a jamais constaté aux Etats-Unis si peu d’heures travaillées par semaine : 33,1 heures en moyenne.

Parmi les entreprises entrant dans la composition de l’indice Standard and Poor’s 500, plus du tiers ont publié leurs résultats pour le deuxième trimestre. Leurs bénéfices n’atteignent qu’aux deux tiers leur niveau de 2008, mais plus des trois quarts des sociétés ont fait mieux que ce que les analystes attendaient. On a crié victoire. En fait, ces sociétés non financières sont parvenues à améliorer leurs résultats uniquement en comprimant les coûts. C’est-à-dire d’abord en licenciant, puis en n’investissant pas et enfin en ne reconstituant pas leurs stocks. Or ceci ne peut durer sans provoquer une implosion. Les stocks ne peuvent continuer à baisser sans compromettre à un moment ou à un autre le fonctionnement des entreprises. Celles-ci ne peuvent opérer sans employés. Et enfin, il leur faut des clients. Or la reprise de la consommation des ménages et des entreprises américains, qui devrait relancer les chiffres d’affaire, ne peut pas se produire à brève échéance au sein du système. Selon une enquête récente de la National Association of Business Economics, les sociétés vont encore réduire leurs effectifs et leurs investissements, ce qui signifie que les ventes vont encore baisser. En outre, nous l’avons dit, particuliers et professionnels tentent d’épargner leurs liquidités, lorsqu’ils le peuvent, pour rééquilibrer leur budget.

Une équipe de journalistes enquêteurs, Propublica, a calculé le nombre réel d’emplois nets créés par les programmes de stimulation financière de l’Administration Obama : elle est arrivée au chiffre de 9000, sans tenir compte des emplois occasionnels de quelques jours ou de semaines. Par le passé, les travailleurs américains déménageaient rapidement là où ils pouvaient trouver un emploi. Le Sun Belt, de la Californie à la Floride, était traditionnellement la première région à rebondir. Aujourd’hui cependant, la Californie, le Nevada, l’Arizona, la Géorgie et la Floride ont encore plus souffert que le reste du pays, avec un nombre record de saisies hypothécaires, de réductions budgétaires et de faillites.

Désormais, les sans-emploi restent où ils sont, inscrits au chômage, ou errent à travers le pays, de camp de caravanes en camp de caravanes, pratiquement sans suivi médical.

Actuellement, « l’excès de capacité » des Etats-Unis est vertigineux. L’utilisation de cette capacité n’est que d’environ 65%. En théorie, la production pourrait augmenter de 25 à 30% avant que de nouveaux investissements soient nécessaires. On voit donc bien que l’argent de l’Etat est allé aux établissements financiers et y est resté, tournant dans un manège autodestructeur.

Alors, qui pourrait défendre l’idée qu’une reprise est possible sans création d’emplois, sans accroissement de la consommation, sans investissements dans les secteurs productifs mais en créant du chômage et en étranglant les entreprises non financières ? Seulement les économistes « comportementalistes » de l’Administration Obama, qui croient ou feignent de croire aux contes de fées financiers. En fait, nous l’avons vu, toutes les conditions sont réunies pour l’avalanche d’octobre, et le mécontentement social ne pourrait être autrement retenu que par des mesures d’exception, une répression que personne ne souhaite, bien que les responsables des études de l’armée américaine explorent d’ores et déjà l’éventualité d’une intervention contre le risque d’émeutes à l’intérieur des Etats-Unis, ce qui lui est en principe interdit.

Nous ne nous étendrons pas sur l’Europe, dont nos lecteurs connaissent mieux la situation.

Notons cependant qu’en France, les défaillances d’entreprises ont progressé de 15% sur un an au deuxième trimestre 2009, touchant en particulier les PME-PMI : +57% sur les entreprises de 3 à 19 salariés, +70% sur celles de plus de 20 salariés et +100% pour la tranche de 100 à 199 salariés. Quant au chômage, le nombre de « chômeurs officiels » a reculé de 0,7% en juin. Cependant, en même temps, les sorties du Pôle emploi pour « cessations d’inscription pour défaut d’actualisation » ont progressé de 19,3% sur le mois et concernent 33.300 personnes de plus qu’en mai, ce qui explique les 18.600 d’inscrits en moins présentés comme une victoire !

De plus, il s’agit du nombre de personnes « disponibles de suite et n’ayant exercé aucune activité », dont la progression annuelle reste tout de même de 25,7%. Si l’on prend aussi les demandeurs d’emploi « ayant exercé une activité réduite » et les mal nommés « dispensés de recherche » (seniors en retraite anticipée), on obtient un chiffre total de 4.097.800 d’inscrits au Pôle emploi, soit 29.700 personnes de plus et non 18.600 en moins sur un mois.

Nous avons présenté ces chiffres pour montrer qu’on peut faire dire aux statistiques tout et leur contraire, en sélectionnant les données, par corrections et ajustements successifs, etc. Ici nous avons considéré l’économie physique et la capacité de travail réellement employée. Là se trouve la vérité économique, dans la dynamique de la croissance physique, et non dans la statique de chiffres plus ou moins arrangés.

V. Conclusion

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Avec 50% de chaque dollar dépensé provenant de l’emprunt, la stimulation de l’économie américaine n’a pu fonctionner car on ne peut sauver un système qui ne produit plus de richesse réelle. Aux Etats-Unis comme en France, l’industrie ne représente plus qu’environ 12% du PIB, ce qui conduit à l’illusion de pouvoir fonctionner de plus en plus avec une société de services et des « banques universelles ». On est aujourd’hui arrivé au bout de ce modèle post-industriel, devenu un monstre financier prédateur du travail qualifié et de la production réelle.

On ne peut regretter la fin de ce système lorsqu’on sait que le nombre de gens qui souffrent de la faim dans le monde vient de dépasser 1 milliard, en hausse de 11% sur un an, et que sur les misérables 3,7 milliards de dollars promis pour faire face à ce « problème », seulement 1,8 milliard ont été débloqués. Oublions même la morale ; il s’agit de plus d’un milliard d’êtres humains absolument exclus, qui constituent un énorme potentiel, pour eux-mêmes et pour nous tous, qui se trouve gâché ou détruit. Une telle bêtise économique écoeure. Le Président Obama déclarant à Business Week que le renflouement des banques lui paraît le plus grand succès de son Administration n’écoeure pas moins.

Plus que jamais, les solutions que nous proposons sont immédiatement nécessaires :

  • arrêter un renflouement financier qui empire chaque jour la situation, en la rendant de plus en plus toxique ;
  • mettre en place la banqueroute organisée, civilisée, des effets spéculatifs et de ceux qui les ont promus, pour assainir le terrain en vue de grands projets de développement mutuel à l’échelle internationale ;
  • substituer à cet effet aux régimes monétaristes, qu’ils soient libéraux ou keynésiens, des systèmes de crédit productif public, avec des banques nationales qui reprennent le contrôle réel de l’émission de monnaie-crédit aux banques et aux compagnies d’assurance qui les en ont dépossédées avec la complicité avouée des dirigeants politiques ;
  • établir entre Etats un nouveau système économique international, un Nouveau Bretton Woods, fondé sur l’ordre de crédit productif public, en vue d’un avantage mutuel dans la réalisation de grands travaux, et des parités fixes entre monnaies, pour que toute spéculation à leur encontre devienne impossible. Les Etats-Unis, la Chine, la Russie et l’Inde doivent participer à ces accords, le dollar redevenant la monnaie de l’Etat-nation Amérique et non plus l’instrument des spéculateurs.

Utopie (cf. introduction) ? Non, car c’est le système actuel qui va dans le mur, avec beaucoup de choses pouvant devenir irréversibles à l’échéance d’octobre si l’on ne change pas de direction. Le système dans lequel nous vivons est condamné de toutes façons. Le choix est entre un chaos économique, financier et social, débouchant inéluctablement sur des régimes d’exception à l’intérieur des Etats et des guerres de tous contre tous à l’extérieur, ou un nouvel ordre économique international fondé sur le développement mutuel, reprenant au minimum ce qui marcha dans les politiques de l’Administration Roosevelt et les plans de reconstruction de l’Europe de l’après-guerre. Sans cela, le sommeil de la Raison engendrera de nouveaux monstres.

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