Parti Socialiste : rompre avec Wall Street ou sombrer

mercredi 9 septembre 2009, par Christine Bierre


Lire aussi le compte-rendu de notre intervention à La Rochelle


Par Christine Bierre

Le calme apparent rétabli par Martine Aubry à La Rochelle ne doit pas tromper. En décrétant la rénovation du Parti, la Première Secrétaire a déminé deux des principaux dossiers en interne, celui des primaires et du non-cumul des mandats ; elle a aussi mis la barre un peu plus à gauche au niveau des problèmes économiques et sociaux, ce qui a calmé, pour l’instant, les militants.

Mais face aux turbulences à venir de la deuxième phase de la crise financière qui frappera fin septembre et vis-à-vis de laquelle Martine Aubry n’a rien proposé, ces victoires apparaîtront bientôt comme dérisoires.

Au fond, c’est toujours la survie du Parti socialiste qui est en jeu, face à des adversaires redoutables comme Nicolas Sarkozy, Daniel Cohn-Bendit et François Bayrou, bien déterminés à enfourcher le cheval de la crise pour provoquer l’implosion du Parti socialiste et en sortir gagnants. Tels des vautours, ils volent déjà autour de leur possible proie.
Et comme François Mitterrand avait joué jadis la carte Le Pen contre une droite qu’il a maintenue divisée durant son mandat, aujourd’hui Sarkozy joue à fond l’écologie pour plaquer à terre ses adversaires socialistes. D’abord ce fut la victoire d’Europe/Ecologie de Cohn Bendit et des Verts, à laquelle son ami Yann Arthus Bertrand a contribué avec son film Home. Depuis, ce sont les divisions du camp socialiste sur la taxe carbone qui ont permis à Sarkozy de mettre de l’avant Cécile Duflot.

Quelle refondation du PS par temps de tempête ?

Face à ce défi existentiel, deux voix s’ouvrent au Parti socialiste.

D’abord faire ce que ce parti, plus mitterrandien que socialiste, n’a jamais fait : s’inspirer de Jean Jaurès, pour fonder un parti vecteur de réelles lumières envers le peuple. Ceci veut dire non pas un matérialisme de plus – le néo-libéralisme nous a déjà assommés ! – mais un immense idéal de créativité humaine s’appuyant sur un véritable progrès culturel, scientifique et technique pour tous.

Cet idéal s’inscrit d’ailleurs dans les meilleures traditions de notre République qui, depuis Charlemagne jusqu’au programme du Conseil national de la Résistance, tracent les pistes d’une éducation de qualité pour tous, une amélioration constante de la nature sauvage au profit des hommes grâce aux sciences et à la technique, un travail productif, et une assurance santé et vieillesse pour tous.

L’autre voie consisterait à écouter les sirènes d’Europe Ecologie et du Modem et accepter une implosion de la gauche en faveur d’une alliance prétendument au centre, mais dominée en réalité par deux partis réactionnaires : une écologie néo-libérale qui rejette l’idée même de progrès (voir notre article ci-dessous), et un parti « centriste », aux abois, dont la préoccupation essentielle est de faire payer à tout le monde une dette dont responsables sont les politiques spéculatives de l’oligarchie financière !

Le Parti socialiste, celui non pas uniquement des éléphants, car au-delà de ces lourds pachydermes, il y a surtout des milliers d’élus qui consacrent leur vie au bien public dans toutes les régions, saura-t-il répondre à ce défi ?

Pour l’heure, ses dirigeants, tous issus de la maternelle de François Mitterrand, semblent emprisonnés dans le bocal de cet héritage politique, incapables de chercher une inspiration ailleurs que dans les recettes de ce Prince, souvent plus proche de celui de Machiavel que du Prince humaniste d’Erasme ! Ainsi préfère-t-on les petites phrases assassines et les rapports de force, qui masquent bien l’absence de remise en cause de l’ordre établi, aux grands desseins qui à long terme doivent éclairer le chemin de la vie des peuples.

C’est ainsi qu’à La Rochelle, devant la crise financière la plus grave de l’histoire du monde, plutôt que d’élaborer les fondements d’un nouveau système économique, Martine Aubry, qui semble à ce stade larguée par ces questions, a choisi plutôt quelques mesurettes radicales dans l’arsenal du mitterrandisme.

Elle a d’abord gauchi son discours, façon Pierre Mauroy au début des années 80, avec quelques mesures redistributives de pouvoir d’achat telles que le remboursement de 200 euros de TVA pour les 16 millions de Français non imposables, qui n’ont pas bénéficié du remboursement des deuxièmes et troisièmes tiers de l’impôt sur le revenu, ou le maintien des allocations familiales pour les plus de 20 ans, le temps que dure la crise.

Par un certain radicalisme institutionnel ensuite, telle l’entrée de l’Etat dans les conseils d’administration des banques refinancées par la puissance publique. A défaut d’une mise en redressement judiciaire des banques en faillite, seule solution à la crise, Martine Aubry a proposé une procédure semblable mais à l’échelle d’une entreprise en bon état qui, sous prétexte de la crise, licencierait ou fermerait ses portes. Un administrateur judiciaire pourrait être nommé, sur saisine des salariés, pour gérer l’entreprise le temps de faire cesser les pratiques contraires aux intérêts de l’entreprise et de ses salariés.

Un radicalisme écologique, enfin, qui permet d’attirer une jeunesse en quête d’idéal tout en masquant l’absence de combat contre l’oligarchie financière nationale et internationale. Car les propositions pour 150 000 emplois verts et une relance de la production industrielle via des projets dans les renouvelables, les transports propres et autres investissements fétiches du développement durable, sont tout à fait compatibles avec les politiques de l’oligarchie en France et à l’international.

Autre vieille recette remise en honneur, du jospinisme cette fois-ci, la gauche plurielle. La Rochelle a fait le grand écart entre les verts les plus radicaux et le pro-nucléaire Jean-Pierre Chevènement, en passant par le Parti communiste.

Rompre avec l’oligarchie financière ou alliance avec Barney Franck

Le dilemme au PS reste toujours le même mais le choix n’est pas, comme il le croit, entre gouverner ou être en dehors. Le choix est celui d’être une force d’opposition à l’oligarchie financière au moment où le monde peut chavirer une fois de plus dans le pire, ou de se contenter d’être un parti de gouvernement, au sein d’un système dominé par cette même oligarchie.

Pour l’heure, Martine Aubry, Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn, qui dominent la majorité actuelle, ne semblent pas du tout enclins à se battre pour la nécessaire création d’un nouveau système économique et monétaire international devant sortir des cendres de l’actuel, en faillite. A La Rochelle, seul François Hollande qui avait appelé l’année dernière en faveur d’un nouveau Bretton woods, et ses proches, comme Michel Sapin, ont abordé ces problématiques.

Si Martine Aubry s’est aventurée sur le terrain de la réforme internationale du système, c’est pour faire alliance avec ceux qui, dans la social-démocratie, font tout pour sauver le capitalisme financier, après l’application de quelques rustines régulationnistes. C’est ainsi qu’elle a demandé à « Poul Rasmussen, le président du Parti socialiste européen (PSE), de lancer une grande campagne des socialistes européens pour imposer une régulation financière. Il a déjà pris contact avec les démocrates américains qui veulent aussi se joindre à ce mouvement ». Marianne ajoute que cette dernière phrase de Martine Aubry a « provoqué des gloussements ». Sans doute est-ce parce que, comme l’a déclaré Philippe Cordery, du PSE, qui depuis un an associe des démocrates américains et japonais à leurs travaux, leur contact auprès d’Obama « est Barney Franck, le président de la Commission économique de la Chambre des représentants ». Or Barney Franck, et la présidente démocrate de la Chambre, Nancy Pelosi, avec qui il coordonne ses politiques, sont les deux personnages qui ont organisé le soutien de la machine démocrate au plus immense renflouement de Wall Street jamais connu dans l’histoire : 23 000 milliards de dollars selon les statistiques officielles du TARP !

On le voit clairement, entre la trompe et la queue, un pachyderme peut parfois perdre tout sens de l’orientation ! Il prétend se battre en France contre Sarkozy, tout en soutenant la politique encore pire d’Obama et de ses conseillers, Larry Summers, Tim Geithner et Peter Orszag, tous issus du sérail de Wall Street ! Laurent Fabius semble avoir perdu, lui aussi, le sens de sa gauche et de sa droite, en déclarant après La Rochelle que les socialistes demanderont à Dominique Strauss-Kahn, qui fut de toutes les bulles financières, d’être présent aux primaires du Parti. Et d’ajouter qu’à la tête du FMI, il aurait fait la même politique que lui !

Rompre avec les vieilles habitudes ou mourir, affronter le réel ou disparaître, voici le choix pour les socialistes. Pour Jacques Cheminade qui appelle ses amis socialistes à changer, cette période de tous les dangers est aussi, cependant, celle de toutes les chances !


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