Brèves

Quand le lait nous fait bouillir le sang

vendredi 25 septembre 2009, par Jacques Cheminade


Déclaration de Jacques Cheminade,
président de Solidarité et Progrès


Depuis le 10 septembre, des dizaines de milliers de producteurs français et européens mènent la grève du lait. Aujourd’hui, ils ont suspendu leur action (mais sans pour autant l’arrêter), dans l’attente d’une solution politique. Deux choses doivent être dites haut et fort. La première est qu’on continuera à se moquer cruellement d’eux et de nous, producteurs comme consommateurs, tant qu’on ne changera pas la règle du jeu libéral et libre-échangiste. La seconde est que le problème du lait ne peut être résolu qu’en changeant les priorités de toute l’économie, passant d’une société de financiers prédateurs à la priorité du travail humain.

Nicolas Sarkozy, parlant depuis Pittsburgh, a tenté de rassurer les grévistes en déclarant que « de la même manière que je me bats pour une nouvelle régulation financière, il faut se battre pour une nouvelle régulation agricole ». « Moi, je plaide (…) pour que nos éleveurs et nos producteurs puissent vivre. »

Pourtant, c’est bien sous la présidence française de 2008 que l’UE a acté la fin annoncée depuis longtemps du système de quotas, provoquant ainsi des baisses de 30 à 50% des prix ! Alors que personne ne conteste qu’en dessous de 320-350 euros la tonne (1000 litres) de lait, un agriculteur produit à perte, on ne lui en donne qu’entre 260 et 280 euros.

Soyons sérieux. Quand Sarkozy et Le Maire, après avoir persisté dans la dérégulation ultra-libérale (France Télécom, La Poste, SNCF, etc.), nous parlent de « nouvelle régulation », sont-ils crédibles ? Ce qu’ils proposent nous permet de répondre cinq fois non.

  • (1er non) Contractualisation. D’abord, sonnant le glas d’une vraie politique agricole « commune », Le Maire affirme, y compris dans la « proposition » commune (une lettre co-signée avec la ministre allemande de l’Agriculture, Ilsa Aigner), qu’il faut organiser « une réflexion globale sur la volatilité des marchés, ainsi que sur l’organisation des filières, par exemple dans le cadre de relations contractuelles ». S’il est évident qu’un producteur individuel sera laminé dans tout face à face avec les cartels de l’agro-alimentaire, Le Maire promet que l’Etat veillera à ce que tout se passe bien… Cela prêterait à rire s’il ne fallait en pleurer.

  • (2ème non) Marché à terme. Très heureuse que la France capitule en rase campagne, Mariann Fischer Boel, la commissaire européenne chargée de l’Agriculture, vient d’affirmer qu’elle défendra la proposition française prévoyant d’organiser une commission d’experts qui examinera les sujets présentés par Le Maire, notamment la création d’un « marché à terme pour les produits laitiers ». C’est noyer le poisson ou le laisser crever le ventre en l’air. Rappelons que la bulle des produits dérivés a été créée à partir des marchés à terme des produits agro-alimentaires de Chicago.

  • (3ème non) Baisses de salaires. Au cours du même entretien à Pittsburgh, Sarkozy affirme que la nouvelle régulation agricole se préoccupera notamment « de répondre à la question des fruits et légumes, du déficit de compétitivité horaire entre le travail saisonnier qui coûte 6 euros en Allemagne et 10 en France ». Sur la même longueur d’onde, Le Maire affirma que « tant qu’on sera à 11 ou 12 euros de l’heure pour des produits dans lesquels 60% du coût dépend de la main d’œuvre, nous n’y arriverons pas. Il faut donc y remédier. »

  • (4ème non) Stocks privés. Lorsqu’il préconise des mécanismes d’intervention « plus souples et plus efficaces », Le Maire pense surtout au « stockage privé ». Les stocks de l’UE, qui lui permettait de réguler les prix en vendant certaines productions dont le prix flambait trop, sont de plus en plus éliminés. Cette politique soulève un autre problème, celui des aides alimentaires auxquelles l’UE s’est engagée. Le président de la Fédération européenne des banques alimentaires, Jean-Marie Delmelle, note dans La revue politique et parlementaire, que « l’UE met à disposition des tonnages importants de denrées alimentaires excédentaires telles que le lait, pâtes, farines, riz, sucre, etc. En 2009, les surplus étant quasi inexistants, l’UE achète des vivres pour les redistribuer via les Etats… » Voilà donc la vérité : dépourvue de stocks constitués à bas prix auprès des agriculteurs, l’UE achète de la nourriture au prix fort pour honorer ses engagements !

  • (5ème non) Endettement. Pour venir en aide aux producteurs, Le Maire leur facilite un prêt de 250 millions d’euros au taux de 3%. C’est leur dire « endettez-vous pour ne pas mourir », devenez encore davantage esclaves de la dette, comme un pays du tiers-monde !

La solution n’est pas dans une mort subite – la dérégulation absolue – ni dans une mort à petit feu – une adaptation plus ou moins progressive aux « lois du marché ». Elle est dans un changement politique : la protection des producteurs et des consommateurs dans un ordre de développement économique mutuel qui permette des prix justes pour le producteur et des salaires élevés pour le consommateur.

Cela veut dire rompre avec le régime monétariste de l’argent-roi et revenir à un ordre de crédit public pour la production et la consommation. Contre l’ordre de Wall Street, de la bourse de Chicago et de la City de Londres, cela signifie donner à ceux qui produisent les moyens de nourrir leur pays et le monde, en doublant la production agricole partout.
Prendre le taureau par les cornes, c’est lutter contre la malnutrition et la famine dans le monde et pour une production de qualité. C’est arrêter le renflouement sans condition ni contrôle des banques, c’est arrêter de laisser mourir les producteurs dans l’indignité. C’est un choix politique. Pour l’instant, l’Europe fait le choix inverse et la France s’y soumet. Quant à Nicolas Sarkozy, il a jeté à la rivière son discours de Toulon et s’est placé dans le camp de ceux qu’il dénonçait.


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Vidéo :
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