Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Le ridicule tue

lundi 6 septembre 1999

Face à la crise financière et monétaire internationale et à l’accroissement brutal des injustices dans le monde, les nouvelles lues dans la presse ou vues sur nos écrans de télévision apparaissent comme un décor ridicule, sans aucune relation avec la réalité.

Après le massacre de Littleton, dans le Colorado, en avril, la folie continue à gagner les Etats-Unis. Là, un spéculateur boursier malchanceux exécute douze personnes à Atlanta : armé d’un fusil et d’un pistolet, il entre dans un bureau spécialisé où l’on se livre à l’achat et à la revente d’actions dans la même journée, et ouvre le feu après avoir dit : « J’espère que cela ne va pas gâcher votre journée de business . » On nous confie en passant que ces « day trading centers » sont ouverts à tous, très fréquentés et emploient des psychanalystes pour prendre soin de leurs clients. On croit rêver, et l’on apprend qu’Al Gore, candidat démocrate à la présidence, a fait déverser 2 milliards de litres d’eau dans une rivière asséchée pour pouvoir y être vu en canot. Tant pis pour ses convictions écologiques, pour l’environnement naturel et les réserves d’eau pourvu qu’on ait l’image. Son rival George Bush, qui s’est spécialisé dans un « libéralisme de compassion », apparaît lui-même comme un objet de synthèse virtuel.

Chez nous, on nous annonce le Tour de France du renouveau, et le vainqueur l’emporte à une vitesse impossible à atteindre sans dopage. On réduit les taux du livret A, frappant l’épargne populaire, alors qu’on peut gagner dix fois plus en Bourse. On apprend en même temps que la France vient d’être condamnée pour torture par la Cour européenne des droits de l’homme. Comment notre société pourrait-elle prétendre combattre la délinquance et réhabiliter ses délinquants dès lors qu’elle donne la pire image d’elle-même ?

Il n’y a pas d’argent pour l’Afrique ni pour le Kosovo, pas d’argent pour de grands travaux infrastructurels en Europe, pas d’hébergements pour les sans abris, mais on livre sans scrupules de l’or, comme en Angleterre, ou les principaux secteurs de notre économie, comme en France, à des intérêts privés. Ces intérêts-là savent bien qu’un effondrement du système est inévitable et s’emparent d’actifs pour se couvrir, avec la complicité des gens en place.

Les nouvelles sont ridicules parce que personne n’a le courage d’arrêter la machine infernale. Il reste le décor virtuel, auquel de moins en moins de gens croient. Cependant, ce n’est pas le vide, parce que - voir plus haut - le ridicule tue. Il tue par défaut ; à nous d’en rire et de rétablir les droits du monde