Les éditoriaux de Jacques Cheminade

Arrêter la trahison

samedi 28 août 1999

La principale caractéristique de notre vie politique est devenue le mensonge par omission. Nos dirigeants parlent beaucoup, ils parlent de tout, sauf de l’essentiel. Aucun débat sérieux ne se déroule - à part celui entretenu par ATTAC - sur la crise financière internationale. Aucune discussion digne de ce nom n’a lieu sur la stratégie de l’OTAN. Surtout, personne n’établit le lien entre les deux, hormis dans ces colonnes.

Sur la scène hexagonale, le krach qui vient et la guerre qui menace ne sont pas pris en compte. L’on extrapole comme si toutes choses allaient être éternellement égales par ailleurs.

De ce point de vue, la gauche qui « enregistre de bons sondages » et des « rentrées fiscales exceptionnelles » peut prétendre avoir « réussi ». Qu’elle ait trahi son message en privatisant à tour de bras et en livrant les grandes sociétés françaises aux fonds mutuels anglo-américains n’est considéré que comme un épisode fatal : de toutes façons, tout le monde en aurait fait autant. Au bout du rouleau, un Dominique Strauss-Kahn ayant renoncé à tout grand projet peut lancer : « Le choix qui s’ouvre est entre la réduction du déficit et la réduction des impôts et des charges . »

A cette gauche doublement et pluriellement réductrice, répond une droite qui surenchérit dans le même sens : plus de libéralisme, plus de marché, moins d’impôts, moins d’Etat. Le RPR, en particulier, a jeté à la rivière tous les principes de base du gaullisme : Etat-arbitre des affaires privées, réforme de la société par la participation et Europe des nations. Sans qu’une apparente nécessité vienne, comme pour M. Jospin, couvrir la trahison.

Tout le monde applaudit aux restructurations et aux mégafusions en cours, dans la banque, dans l’aluminium, le pétrole, partout. La complicité générale est bien illustrée par le fait que M. Strauss-Kahn ait, dans l’affaire de la SBP, appelé en renfort et en secret M. Balladur pour tenter de convaincre MM. Pébereau et Bouton de s’accorder.

Tout cela serait dérisoire, et l’on pourrait rire du mauvais feuilleton, si la France n’avait pas une place à tenir dans le monde, une place que ces petits jeux nous font perdre. En effet, les autres pays prennent de moins en moins au sérieux un pays qui se soumet, et les Français eux-mêmes croient de moins en moins que ceux qui les gouvernent puissent changer quoi que ce soit au monde.

Il nous faut établir un parti du mouvement, qui rétablisse l’honneur et l’efficacité du politique en mettant au premier rang ce qui compte, c’est-à-dire le combat pour un nouveau Bretton Woods et pour une France qui, avec l’Allemagne et l’Italie, retrouve un rôle moteur dans les affaires du monde. Il revient en particulier à notre pays d’être le répondant européen de ceux qui entendent résister à la mondialisation anglo-saxonne, comme l’Inde, la Chine et la Russie, en rejetant énergiquement le modèle anglais de Ramsey MacDonald-Tony Blair, c’est-à-dire en cessant de fermer des hôpitaux, des gares ou des écoles et en refusant de réduire les prestations sociales. Les Français attendent une politique qui permette de renouer avec le meilleur d’eux-mêmes.

L’histoire va désormais très vite. Le temps est compté pour saisir l’occasion.