Les Editoriaux de Jacques Cheminade

Féodalités II

mardi 6 avril 2010, par Jacques Cheminade


Les éditoriaux de Jacques Cheminade sont publiés tous les quinze jours dans le journal Nouvelle Solidarité, sur www.solidariteetprogres.org ainsi que www.cheminade-le-sursaut.org.


Là où l’Etat disparaît, s’abaisse ou se corrompt, l’illusion de la liberté et de la souveraineté individuelle se dissipe. Il faut alors faire acte d’allégeance à plus puissant que soi pour tenter de survivre. C’est ce qui se produit aujourd’hui dans le monde et au sein de l’Union européenne (UE). C’est bel et bien ce que l’on exige de la Grèce. Celle-ci, condamnée à emprunter sur les marchés internationaux à un taux d’intérêt qui est pratiquement le double de celui de la France et de l’Allemagne, ne sera secourue par l’UE et le Fonds monétaire international (FMI) qu’en dernière instance, au bord de la tombe. Elle devra alors faire acte d’allégeance à ces deux institutions, en présentant un programme d’austérité encore pire que celui exigé aujourd’hui par les marchés. La Grèce n’est évidemment que le bouc émissaire et le maillon le plus faible de la chaîne ; le Portugal suit, puis l’Espagne et l’Italie, et enfin tout le monde, si la machine infernale n’est pas arrêtée.

Car le renflouement des mégabanques par l’endettement public a entraîné une situation de faillite généralisée des monnaies et des États. Toutes et tous : déjà les machines à imprimer électroniques fonctionnent à tout va. La spirale de création d’actifs par la dette s’emballe : les banques centrales achètent ou prennent en pension des actifs toxiques des mégabanques, qui utilisent les fonds ainsi obtenus comme garantie pour emprunter et spéculer plus encore sur des marchés parallèles, les « piscines opaques » dont parlent les « experts ». La Grèce est la vache à lait de banquiers, surtout « français » et « allemands », qui obtiennent de l’argent à 1 % auprès de la Banque centrale européenne et prêtent à la Grèce à 6 ou 6,5 %, avec la bénédiction de Paris et de Berlin !

Une véritable piraterie mondiale, dont l’UE est un élément, se trouve ainsi constituée. La matrice de ces réseaux est un conglomérat de féodalités opérant depuis la City, Wall Street et leurs paradis fiscaux. Tout le monde s’y installe, y compris les sociétés françaises et européennes de tous les secteurs de l’économie, avec l’assentiment hypocrite des gouvernements. C’est ce réseau de liens de dépendance qui constitue « l’Empire britannique ». Jusqu’en Chine, menacée par un krach de l’immobilier, qui a dû laisser se constituer une bulle car elle ne pouvait faire autrement au sein du système.

Comme l’explique très bien Alain Supiot dans L’esprit de Philadelphie, le féodalisme s’inscrit alors dans le droit. Ce n’est plus la soumission de tous à une même loi qui prévaut, mais la conformité du comportement de chacun à la place qu’il occupe dans le réseau. Nos Etats continentaux sont inféodés, par les Traités européens et le système de l’euro, à une UE dépourvue elle-même des attributs essentiels de la souveraineté. D’où l’appel, pour terminer le travail destructeur, à une « gouvernance mondiale » du FMI, imposant d’en haut l’allégeance financière et l’austérité dans un univers féodal de guerre de tous contre tous.

Ce que nous exigeons ici, l’application de la séparation des banques de crédit, de dépôt et d’affaires, comme cela existait à partir de 1945 dans notre pays, et le retour à un principe de banque nationale servant le travail et les infrastructures, est ce qui permettrait de sauver le monde du mælström dans lequel il est en train de sombrer. Edgar Allan Poe a bien décrit comment y échapper dans la nature en appliquant un principe physique. Cela n’est pas différent dans l’économie, qui est physique et non monétaire.