DSK : nous préférons ne pas

vendredi 20 août 2010


A quelques jours de l’Université d’été socialiste à la Rochelle, Solidarité & Progrès publie cet article en espérant que le PS retrouve sa gauche.


Par Z. Marcas


« I would prefer not to » (je préférerais ne pas)
Bartleby the scrivener, a Wall Street story (Herman Melville)



Bartleby, le héros de la nouvelle de Melville, oppose à un gnome de Wall Street son refus obstiné d’accomplir les travaux qu’il lui demande. De même, il est impératif que nous écartions, avec la même obstination, la candidature de Dominique Strauss-Kahn à la présidence de la République.

DSK constitue en effet la nouvelle référence des conglomérats financiers internationaux. Affirmant à qui veut l’entendre que « la mondialisation est une chance … », ayant soutenu la Constitution européenne en 2005, après avoir contribué à mettre le système financier français sous les fourches caudines du monétarisme, privatisant à tout va lorsqu’il était ministre, appliquant aujourd’hui à des pays européens, en tant que directeur du Fonds monétaire international (FMI), le régime d’austérité auparavant réservé aux pays du tiers monde, il a le parfait profil du Tony Blair français. Dans des circonstances beaucoup plus graves : dans la crise finale du système de capital fictif dans laquelle nous sommes plongés, il serait encore plus aberrant de suivre les pas d’un homme qui, sous l’étiquette socialiste, renie tout ce pour quoi Jaurès et Blum combattirent.

Reprenons une à une les contributions politiques de l’ex-maire de Sarcelles.

La période ministérielle

Ministre délégué à l’Industrie et au Commerce extérieur dans le gouvernement Cresson du 17 mai 1991 au 2 avril 1992, poste qu’il conservera dans le gouvernement Bérégovoy du 3 avril 1992 au 29 mars 1993, Dominique Strauss-Kahn devient le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie du gouvernement Jospin entre le 4 juin 1997 et le 2 novembre 1999, où, mis en cause dans des affaires judiciaires, il décide de démissionner avant d’être finalement mis hors de cause.

Entre 1991 et 1993, il est l’un des principaux acteurs de la politique sociale-libérale des derniers gouvernements socialistes de François Mitterrand, au cours d’une période féconde en scandales du monde de l’argent. C’est à cette époque que la Caisse des dépôts commence à se comporter comme une banque de marché, ouvrant en 1997 sa filiale CDC-Marchés à Londres, avec une gestion pour compte propre, puis logeant en 2000 l’ensemble de ses activités bancaires dans sa filiale Ixis. Il se crée au cours de ces années une véritable « coopérative de golden boys » sur le flanc de la Caisse, pratiquant une culture de « coups » sur les produits dérivés et structurés les plus spéculatifs. C’est lors de la prise de contrôle de 50 % du capital d’Ixis par les Caisses d’épargne, en 2001, que le phénomène spéculatif s’aggrave, avec une équipe d’Ixis travaillant seule et sans contrôle à New York, multipliant les opérations dans la titrisation des produits immobiliers (subprime) et plus généralement sur tous les crédits structurés les plus risqués. Lorsque les Caisses d’épargne prennent le contrôle total d’Ixis, en 2004, ses « traders doués » multiplient leurs spéculations sur les « produits complexes et sophistiqués » qui ont fait leur réputation. Finalement, le 8 décembre 2006, l’Ecureuil apportant Ixis et les Banques populaires Natexis, leur filiale commune est introduite en Bourse sous le nom de Natixis, une nouvelle banque universelle spécialisée dans les investissements. Lancée au cours de 19,85 euros, l’opération s’avère une catastrophe, en particulier pour les petits porteurs, qui perdent pratiquement tout lorsque le cours de l’action tombe à 0,80 euro, pour « rebondir » finalement, grâce à 2 puis 5 milliards d’euros (donc 7 au total) injectés par l’Etat dans le nouveau couple Banques populaires-Caisses d’épargne (BPCE) et à l’entregent d’un sarkozyste, ancien de la Banque Rothschild et ayant pris la direction de la nouvelle entité, François Pérol. De plus, la BPCE doit accorder sa garantie quasi-totale aux 35 milliards d’euros « d’actifs à risque » cantonnés par Natixis dans une structure ad hoc. Perdants ? Outre les petits porteurs, la BPCE, qui aurait dû drainer l’épargne populaire vers le logement social ou des activités économiquement utiles, et qui se retrouve avec un boulet au pied.

Cette catastrophe peut-elle être mise sur le compte de Dominique Strauss-Kahn ? Oui, par sa participation initiale à la culture du jeu du capitalisme financier. Non, dans l’exécution, encore qu’on trouve au premier rang des exécutants, à gauche comme à droite, d’anciens de son cabinet ou des proches. Ainsi Charles Milhaud, qui a pris la tête du Centre national des caisses d’épargne et de prévoyance en février 1999, doit à Dominique Strauss-Kahn la création du groupe des Caisses d’épargne, car il a fait voter par les députés la loi « Epargne et sécurité financière ». Ensuite, DSK ayant dû se retirer, c’est son collaborateur Matthieu Pigasse qui prend les choses en main. Resté à Bercy jusqu’en 2002, il aide Milhaud à prendre le contrôle de 50 % d’Ixis, puis, étant rentré à la banque Lazard, il permet aux Caisses de devenir actionnaires de la célèbre banque d’affaires et de s’introduire en Bourse.

C’est ainsi que des institutions irriguant l’économie ou orientant l’épargne populaire vers des activités sociales, se trouvent transformées progressivement en requins des marchés pour finalement s’effondrer en raison de leurs engagements à New York et à Londres. Nous devons encore mentionner ici le nom de Stéphane Richard, membre du cabinet de DSK en 1991, imposé à la tête de la Compagnie générale d’immobilier et de services (CGIS) qui a repris les actifs de la Sari dans le scandale de La Défense, avant d’entrer à Nexity où il fait fortune grâce à des LBO, puis devenu directeur général de Connex-Veolia Transport en 2003, directeur de cabinet de Christine Lagarde à partir de l’été 2007 puis dirigeant aujourd’hui France Télécom. Ajoutons en passant que dans ce monde incestueux, la CGIS a fait travailler occasionnellement un avocat du cabinet Arnaud Claude, un certain Nicolas Sarkozy.

(No comment)

Justement, comme lui, DSK a exercé le métier d’avocat d’affaires, mélangeant les genres, entre 1993 et 1995, au sein du cabinet DSK Consultants. En même temps, en 1994, il participe à la création du Cercle de l’Industrie, au sein duquel il côtoie une trentaine de dirigeants des plus grandes entreprises françaises et mène ses consultations privées d’avocat d’affaires. Il participe ainsi à la montée de cette corporation, comme aux Etats-Unis ou en Angleterre, qui se substitue à celle des énarques ou, plutôt, entame avec elle un cousinage intéressé. DSK fait alors engager sa secrétaire par Elf Aquitaine International, emploi fictif caractérisé.

Rappelons aussi que c’est DSK qui a organisé la privatisation de l’Aérospatiale, jouant un rôle clé dans la fusion avec Matra en 1998, puis l’année suivante dans la création d’EADS. C’est en grande partie grâce à lui que Jean-Luc Lagardère, partant de l’acteur mineur de l’industrie aérospatiale qu’était Matra, pourra rassembler autour de lui le mastodonte Aérospatiale. Arnaud Lagardère lui repassera les plats (cf. ci-dessous).

Vers la conquête du pouvoir ?

Le 28 septembre 2007, fortement recommandé par Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn est nommé à la tête du Fonds monétaire international (FMI). Il prétend en réformer la démarche, mais impose en fait à des pays européens comme la Grèce, la Hongrie ou la Roumanie la même austérité implacable et destructrice que subissaient auparavant les pays du tiers-monde : baisse des salaires et des retraites, coupes claires dans la fonction publique et les investissements sociaux, privatisations systématiques, bref tout ce qu’ont eu à endurer l’Argentine ou les pays africains sous la loi du consensus de Washington.

Là, DSK se trouve en position d’attente. Il gagne 420 930 dollars par an, plus une dotation de 73 350 dollars, le tout net d’impôts, plus la couverture de divers frais. Sans vouloir faire de démagogie populiste, comme le dirait DSK lui-même, on peut quand même s’étonner que dans de telles circonstances, à un journaliste de Paris Match qui lui demandait : « Peut-on encore être socialiste en possédant un appartement place des Vosges, un riad à Marrakech et un salaire de près de 500 000 dollars ? », il ait répondu : « Si j’aimais l’argent, j’aurais choisi un autre métier où je gagnerais peut-être des millions […] Mais il n’y a qu’en France que l’on connaisse ce complexe vis-à-vis de l’argent ». Peut-être pourrait-on lui conseiller de rester dans un pays qu’il juge plus compréhensif que le nôtre ?

Le plus grave n’est cependant pas là. C’est que, à l’image de Nicolas Sarkozy, qui a constitué une mafia de proches se surnommant elle-même « la firme », il ait réuni autour de lui un groupe de fidèles qui se fait appeler « le gang ». Ce groupe, comme son chef, se déclare non tenu par le programme du Parti socialiste. Ainsi, dans La Flamme et la Cendre (2002), DSK envisage l’ouverture du capital d’EDF, ce que son parti refusait à juste titre et que la droite a réalisé…

L’on trouve notamment en soutien à son action, comme il en bénéficia lors de ses malheurs personnels au FMI, l’agence de communication Euro RSCG. Son PDG Stéphane Fouks protège l’image de DSK et travaille avec l’équipe strausskahnienne, tout en ayant des liens étroits avec des personnalités de droite, comme Benoist Apparu, Valérie Pécresse ou Xavier Bertrand. Dans son carnet d’adresses figure également le très démocratique président du Cameroun, Paul Biya, ou Ehud Barak, le ministre de la Défense israélien. Il entretient les meilleures relations avec le visiteur du soir de Nicolas Sarkozy, le libéral pro-britannique Alain Minc, ainsi qu’avec Alain Bauer, Michel Pébereau et Manuel Valls : « Une maille à droite, une maille à gauche », mais toujours du côté de la finance.

Dans cette constellation, Gilles Finchelstein, spécialiste des études d’opinion à Euro RSCG, Anne Hammel, ancienne attachée de presse de DSK, embauchée à Euro RSCG après la présidentielle de 2007 et actuellement chargée des relations de presse du FMI, et Ramzy Khiroum, qui organise les sorties médiatiques de DSK et fut consultant occasionnel d’Euro RSCG, jouent un rôle moteur. Khiroum est aussi porte-parole du groupe Lagardère : DSK partage donc, juste retour d’ascenseur (cf. plus haut), le même communiquant avec Arnaud Lagardère, qui fut très proche de… Nicolas Sarkozy.

Mentionnons enfin le rôle majeur de Matthieu Pigasse, qui dirige Lazard frères, est propriétaire des Inrockuptibles et a acquis pratiquement le contrôle du Monde avec Pierre Bergé et Xavier Niel, fondateur de Free et argentier de Mediapart et de Bakchich. C’est le fameux groupe « BNP », en qui l’on voit les aménageurs de la piste de décollage de DSK – ou plutôt d’atterrissage, retour de Washington.

Dans ce contexte, nous ne nous étonnerons pas que DSK, tout comme Nicolas Sarkozy a jeté à la rivière les belles envolées de son discours de Toulon sur « la fin du capitalisme financier », ait abandonné ses réflexions sur un « socialisme de la production » incompatible avec ses accointances et ses réseaux.

En conclusion, à ce moment de l’histoire où il nous faut un président de la République capable de faire face à la tempête, de tenir en respect les forces du fascisme financier qui se met en place dans le monde et de défendre de grands projets de développement économique mutuel à l’échelle de l’Europe, de l’Eurasie et du monde, DSK nous apparaît pour le moins ailleurs. En tout cas, on ne peut lui faire aucune confiance pour relever le défi majeur : combattre l’ordre de la City et de Wall Street et changer la donne. C’est pour cela que nous ne le préférons plutôt pas.