Lettre ouverte aux militants et aux responsables socialistes sur le nucléaire

mardi 21 juin 2011, par Jacques Cheminade

Par Jacques Cheminade


Pourquoi j’adresse aux responsables et militants socialistes une Lettre ouverte sur le nucléaire

La réélection de Nicolas Sarkozy à la présidence, ou l’élection de tout autre candidat de la droite financière, serait désastreuse. Non en raison de ce qu’ils sont, mais par ce qu’ils représentent : un système monétaire international en voie d’effondrement, une Europe de l’euro qui a trahi le rêve des fondateurs de l’Europe, une politique de saccage social dont la Grèce n’est que la première victime.

L’alternative consiste à sortir de ce système en redonnant priorité aux capacités créatrices de l’homme et à l’équipement de la nature. Afin d’y parvenir, une clef et un levier sont nécessaires. La clef est la mise en œuvre d’un Glass-Steagall global, abolissant la dictature impériale de la City et de Wall Street. Le levier consiste à investir dans les technologies du futur, capables de produire davantage par être humain et par unité de surface. En matière énergétique, cela signifie avoir recours au nucléaire, non pas à un moment donné de son développement, mais comme source de types d’énergie de plus en plus denses : la maîtrise par l’homme d’un principe physique universel, dans les conditions de justice sociale permettant son application et sa réalisation pour le bien commun.

Aujourd’hui, les candidats du Parti socialiste ne sont de toute évidence pas à la hauteur de cette mission et se condamneront à un échec politique s’ils continuent à sacrifier à l’opportunisme électoral et à la soumission face à l’oligarchie européenne et au Fonds monétaire international.

Timides sur le Glass-Steagall, dont ils refusent à la fois l’urgence et la conséquence, qui est le nettoyage des écuries d’Augias, c’est-à-dire la mise en faillite ordonnée des spéculateurs, ils ont choisi de sacrifier le futur du nucléaire à une alliance avec le mouvement écologiste, par laquelle ils espèrent parvenir au pouvoir.

Dans l’hypothèse où ils réussiraient dans ces conditions, ils se condamneraient à appliquer une politique aussi désastreuse que la précédente dans ses principes, et plus désastreuse encore dans ses conséquences car elle s’inscrirait alors dans une phase plus avancée de décomposition du système existant et de destruction des acquis sociaux.

Plus grave encore, c’est dès aujourd’hui, ici et maintenant, que leur attitude démoralise, égare et décourage le ferment de révolte qui se lève en Europe et dans le monde. Ce n’est en effet pas à la date de l’échéance électorale que se joue le destin de notre pays et du monde, mais dans la dynamique qui y conduit, alors que des décisions sont à prendre dans la situation d’extrême urgence que nous vivons.

C’est pourquoi je lance aux responsables et aux militants socialistes cet appel à se ressaisir sur la question fondamentale du nucléaire, qui n’est pas principalement un choix technologique mais un reflet de l’idée que l’on se fait du rôle de l’être humain dans la biosphère et par rapport à ses semblables, un choix de civilisation .


Lettre ouverte aux militants et aux responsables socialistes sur le nucléaire

Votre ambition de substituer au pouvoir de Nicolas Sarkozy celui du peuple, par le peuple et pour le peuple, est non seulement légitime mais nécessaire. Cependant, vous creusez votre propre tombe et celle du monde en promouvant la sortie du nucléaire.

Commençons par l’essentiel. Décider de sortir du nucléaire revient à arrêter de comprendre les principes physiques qui gouvernent l’univers et de les appliquer pour le nécessaire développement de la biosphère et de la noosphère. Ces termes peuvent vous surprendre. Ils signifient que c’est de la responsabilité de l’homme vis-à-vis des plus dépourvus et des générations futures dont il est question, l’esprit même de tout le combat de Jean Jaurès, des Curie, des Langevin et de tous ceux qui, en 1946, définissaient le Socialisme comme « la science au service de l’homme » . Renoncer aujourd’hui à appliquer les découvertes relativement les plus avancées de la science serait comme si les premiers hommes avaient renoncé au feu par peur animale de ses dangers. Au contraire, c’est la dynamique de la création humaine qui doit être notre pari. Sans elle, nous en serions restés à l’âge de pierre ou, plus probablement, nous aurions disparu de la planète Terre. Au sens propre du terme, il est donc irresponsable de vouloir « sortir du nucléaire », comme si on pouvait abdiquer face à la connaissance et à ses applications.

C’est par cette considération fondamentale que nous devons commencer pour ne pas nous laisser entraîner dans un faux débat, voulu par les forces financières et leurs médias, qui entendent semer le trouble émotionnel et le pessimisme pour tétaniser leurs ennemis et les amener à une servitude volontaire. Il s’agit d’un culte anti-progrès, par nature anti-humain.

Les oligarchies ont toujours voulu bloquer les découvertes de la science et leur communication au plus grand nombre, par peur de voir se lever contre elles une exigence de justice, de liberté, d’égalité et de fraternité. De même, aujourd’hui, elles entendent limiter le nucléaire à un moment donné de son développement, pour en faire un instrument de leur volonté de puissance, en jouant sur la peur. Elles ne cachent pas leur malthusianisme, version Ayn Rand et sa Vertu d’égoïsme , François Flahault et son Crépuscule de Prométhée ou leurs inspirateurs britanniques dans la tradition de Bertrand Russell et Francis Galton. Leur succès aurait pour conséquence d’arrêter de peupler la terre, puisque l’homme se trouverait alors défini à leur image comme un animal nuisible épuisant son environnement par son activité. Le mouvement écologiste se fait leur complice idéologique, consciemment ou non. Il est, pour reprendre une expression qui vous dira quelque chose, l’idiot utile d’un univers malthusien voué à sa dépopulation, faute de moyens de subsistance mais surtout par renoncement aux conséquences des effets de la pensée sur le monde réel.

Dans un univers en création continue, l’homme doit au contraire toujours découvrir des principes nouveaux et les appliquer pour vivre. Sans cela, il se trouverait contraint de réduire fortement la consommation d’énergie, d’essayer d’obtenir du gaz de schiste par fracturation hydrique et du pétrole à partir de sables bitumineux ou d’accroître le recours au charbon. C’est-à-dire, soit un désastre humain avec cette réduction criminelle de population voulue par certains, car sans énergie il ne peut y avoir de développement, soit un désastre écologique et humain par un recul technologique en tentant d’exploiter des sources d’énergie moins denses. Pour assurer un futur à une espèce humaine en développement, la géothermie, les éoliennes, le solaire ou les marées ne peuvent être une solution, car la densité de flux d’énergie qu’ils procurent, par être humain, unité de surface et quantité de matière utilisée, n’est pas suffisante pour accroître le potentiel de densité démographique pour une société future. Sans les moyens d’accroître ce potentiel, qui ne peuvent être fournis aujourd’hui que par un nucléaire en développement continu, passant aussi rapidement que possible au nucléaire de la quatrième génération et à la fusion thermonucléaire contrôlée, il ne pourra y avoir de générations futures. En ce sens, refuser de progresser dans la voie que les Curie et les Langevin ont ouverte revient à renoncer au futur humain, notamment dans les pays les plus pauvres, qui devraient être les premiers à en bénéficier dans un monde délivré de la chape de plomb financière.

Cependant, direz-vous, le monde n’est plus le même après Fukushima. Martine Aubry, comme ses amis écologistes, entend « sortir du nucléaire » en « fonçant sur les énergies renouvelables » et François Hollande propose de « réduire de 75 % à 50 % la production d’électricité d’origine nucléaire » . Martine Aubry salue la politique d’Angela Merkel et François Hollande se vante d’exiger « exactement le même effort que les Allemands, qui vont passer de 22 % à 0 % en quinze ans » . Il veut abandonner le projet EPR de Penly et espère que les sociétés françaises, telles des vautours affamés de profits, obtiendront les « nouveaux marchés » autour du « démantèlement d’une centaine de centrales dans le monde » . A l’optimisme scientifique et à la compétence des socialistes « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine » , se substitue une idéologie de l’adaptation au bourrage de crâne des médias sans se demander pourquoi elle est promue par les intérêts financiers qui les contrôlent.

Ajoutons que sur ce point fondamental, Marine Le Pen rejoint la meute en déclarant : « La sortie du nucléaire est un objectif qu’il faut avoir à l’esprit parce que c’est une énergie énormément dangereuse. » Jean-Luc Mélenchon et le NPA entendent eux aussi « sortir du nucléaire maintenant ». Troublante coïncidence, mais eux sont cohérents avec leurs extrémismes respectifs, qui en viennent à enrégimenter l’homme sous une bannière et non à l’élever par l’éducation de ses facultés créatrices. Est-ce une raison, électorale ou/et idéologique, pour les socialistes de suivre le troupeau ? Car le troupeau est bel et bien conduit à l’abattoir par les nouveaux joueurs de flûte exécutant la partition de ceux qui veulent moins d’Etat et plus d’experts en statistiques et en comptabilité financière à court terme. Nicolas Hulot, dans son Syndrome du Titanic , dit tout haut ce que les autres sont incapables de comprendre ou ne veulent pas assumer : « Les jours du monde, tel que nous le connaissons, sont comptés… Si nous tous, riches comme pauvres, ne modifions pas immédiatement notre comportement pour ‘faire mieux avec moins’ et mettre l’écologie au centre de nos décisions individuelles et collectives, nous sombrerons inéluctablement. » On a bien entendu, « riches comme pauvres » , comme si nous étions tous coupables. Car cette opération de bourrage de crâne et de culpabilisation générale vise en fait à couvrir les crimes bien spécifiques des spéculateurs et de leur économie casino qui entraînent, eux, bien réellement le monde à sa ruine. En fait, c’est la « natalité galopante » des pays en développement qui est visée, comme si en deux siècles, la population mondiale ne s’était pas multipliée par six ou huit, avec une augmentation constante du niveau de vie dans le monde industriel comme dans le monde en développement.

Que l’on s’entende bien : nous défendons ici le nucléaire comme une étape nécessaire du développement de l’humanité, en tant que principe, et non telle ou telle technologie, comme celle des réacteurs à eau bouillante de Fukushima, à un moment de l’histoire. Le nucléaire n’a de sens qu’en progrès constant et sous contrôle citoyen, un « nucléaire citoyen ».

L’on pourrait dire un certain nombre de choses concernant Fukushima. Que la vague était cinq mètres plus haute que le mur de béton protégeant la centrale, et que le problème scientifique est de prévoir les tsunamis et non de baisser les bras en disant qu’on n’y parviendra jamais. Que dans les mêmes circonstances, avec des réacteurs de type EPR, l’alimentation du refroidissement de secours ne serait pas tombée en panne grâce à ses diesels placés en hauteur et intégrés dans un système imperméable et parasismique. Enfin, qu’avec des recombineurs d’hydrogène dont nous disposons en France, les explosions d’hydrogène qui ont eu lieu là-bas ne se seraient pas produites ici.

Cependant, l’essentiel est ailleurs. Ce qui s’est produit au Japon a été dû au blocage du nucléaire à un stade de son développement, celui des réacteurs de fission de type Westinghouse, et surtout à la destruction systématique et voulue de l’esprit scientifique par l’action conjuguée de l’Empire monétariste britannique de la City et de Wall Street et du pessimisme culturel répandu par un écologisme dévoyé, promouvant la nature contre l’homme. On n’a pas avancé scientifiquement et technologiquement, donc on a reculé. La véritable leçon à tirer de ce qui s’est produit à Fukushima est de lancer rapidement, comme le fait la Chine, les réacteurs de quatrième génération, comme les réacteurs à haute température et à lits de boulets, qui sont à sécurité intrinsèque : lorsque la chaleur s’accroît, la réaction s’arrête. Mieux encore, de pousser les recherches sur la fusion thermonucléaire contrôlée qui produira de l’énergie à coût pratiquement zéro et sans déchets, sans se limiter à la piste ITER de la fusion magnétique mais en explorant la voie de la fusion par laser, dite à confinement inertiel.

Réfléchissons un instant : il est admis, même par les écologistes, que la fin des centrales nucléaires à fission prendra vingt à trente ans.

Pendant ce temps, ou bien on arrête le nucléaire et on se limite aux énergies renouvelables. C’est alors à l’industrie que l’on renonce, faute de sources d’énergie suffisamment denses et donc physiquement rentables (c’est-à-dire fournissant beaucoup plus d’énergie libre par rapport à celle fournie au système). Or un pays qui, pour les pires ou les meilleures raisons du monde, accepterait sa désindustrialisation est un pays qui sortirait de l’histoire. Et si tous les pays faisaient le même choix, c’est toute l’humanité qui sortirait de l’histoire. Ajoutons qu’un nucléaire progressivement abandonné, sans surplus suffisant fourni par d’autres sources, pourrait devenir une réelle source de dangers. Déjà aujourd’hui, la soumission à un critère de rentabilité financière (obtenir le plus possible de revenu monétaire en moins de temps possible) condamne le nucléaire à recourir à des sous-traitances en cascade au détriment de la sécurité et du savoir-faire. C’est ce qui est arrivé à Chinon, c’est en partie la cause des retards de l’EPR d’Areva en Finlande.

Ou bien, durant le temps où dépérit la fission, on pousse les feux des réacteurs de la quatrième génération et de la fusion, en commençant dès aujourd’hui. Tout en maintenant la construction d’EPR plus sûrs comme solution transitoire car on ne peut pas bâtir sur du vent. Alors on construit réellement un fondement pour un univers en peuplement, avec une population se qualifiant au cours du développement des projets. Car avec ce type de développement énergétique, l’on pourra effectuer de grands projets dans le monde, de grands travaux constituant des plateformes de développement pour tous, y compris et surtout les pays les plus pauvres, intégrant, désenclavant et nous donnant les moyens sur terre d’une politique spatiale à venir. C’est cet impératif de justice, associé au progrès de la connaissance et à ses applications en faveur de tous les êtres humains, qui suscitait l’enthousiasme des Jaurès et des Rosa Luxemburg. Et c’est seulement dans ces conditions que des changements révolutionnaires dans les modes de pensée et d’être seront possibles. Le reste est un bavardage fondé sur des préjugés, au mieux du temps perdu, au pire une collaboration avec l’oligarchie destructrice.

Ne pas faire ces changements aujourd’hui revient à condamner l’avenir. La conséquence qu’il faut tirer du blocage actuel est de ne plus laisser la science aux bureaucrates, technocrates, nucléocrates et autres comptables, mais de la redonner à ceux qui servent les générations à naître et inspirent les peuples. Pour pouvoir investir dans ce sens, avec les yeux du futur, il faut des investissements lourds et à long terme. C’est impossible dans le système financier actuel, fondé sur le court terme et en cela même criminel, à la fois économiquement destructeur et socialement injuste.

C’est pour cela qu’il faut en changer. Et comme il n’y a pas d’issue qui ramène au passé, en l’espèce vers des types d’énergie moins denses, ce que tout socialiste devrait proposer, ce sont ces investissements qui seuls peuvent ouvrir les portes de l’avenir, vers des types d’énergie plus denses. Il est temps de comprendre que l’univers change en passant de phases inférieures d’énergie et d’action à des phases relativement supérieures. Le culte de l’entropie écologique et financière est un culte de la mort. Seule l’action volontaire des pouvoirs créateurs de l’esprit humain est révolutionnaire en organisant ces changements de phase.

Répétons-le : y renoncer revient à creuser sa propre tombe. Nous le disons ici sans prendre de gants aux responsables du Parti socialiste et à leurs militants. Il n’y a pas de compromis possible sur cette question, car il s’agit d’une erreur sur la nature même de l’être humain, une question de vie ou de mort, comme les Curie, Langevin et Einstein l’ont en leur temps compris.