Le bond en avant de Louis Pasteur

vendredi 1er juillet 2011

Par Yannick Caroff

Sommes-nous soumis à la nature ? La nature nous est-elle soumise ? Ou alors : la question est-elle mal posée ?

La vie s’est au fil du temps étendue, diversifiée. Elle a colonisé de plus en plus d’espaces. Des océans, le vivant s’est rendu progressivement maître des continents.

Les hommes, la sphère du pensant, se sont étendus géographiquement, développant en même temps leurs arts et leur habileté.

Nous sommes arrivés à une situation – et ce, si nous progressons, ce qui est avant tout un choix culturel – où la sphère du vivant est devenue dépendante de l’espèce humaine pour se développer hors des frontières de la Terre. Cette vie extra-terrestre, futur bond du vivant grâce à l’humanité, sera le fruit unique de la volonté humaine comprenant mieux sa tâche dans l’univers et ses principes générateurs.

Plus nous progressons dans notre connaissance du monde, moins nous sommes soumis aux aléas de la nature. Plus nous découvrons, plus notre pouvoir d’action rayonne sur terre et dans l’univers. Et plus nous prenons en mains le destin du monde.

Le regain et l’intensité des activités volcaniques et sismiques qui, au Japon, ont dépassé le maxima de l’échelle de Richter (9,0), nous ont brutalement rappelés à l’ordre : un nouveau défi se pose à l’humanité, congruent avec notre rôle dans l’univers. Ce défi nous interpelle sur nous-mêmes : si nous avions poursuivi l’élan de l’exploration spatiale lancé il y a plus de quarante ans, nous aurions pu prévenir bien à l’avance et l’évènement et son intensité. Il n’y a pas de fatalité dans cette histoire, mais dérapage culturel. Voilà donc une occasion à saisir pour la pensée humaine, une occasion de se refaire une santé !

Je vous propose ici de revisiter certaines des découvertes du chimiste du vivant, Louis Pasteur (1822-1895), à la lumière de cette responsabilité que ma génération et celles qui suivront doivent prendre. Puisse l’âpre joie d’être responsable s’éveiller en vous, ce que Pasteur dénommait « l’enthousiasme, qui signifie dieu intérieur ».

Un engagement

Que ressentons-nous face à notre incapacité de soigner une maladie à laquelle un proche vient de succomber ? Ce sentiment d’impuissance qui nous submerge, Pasteur le ressentit lorsque qu’il perdit une amie chère, l’une de ses sœurs, Joséphine, qui mourut de la tuberculose à l’âge de 25 ans, puis sa fille aînée Jeanne, morte de la fièvre typhoïde à l’âge de 9 ans. Ce fut pour lui le départ d’un engagement pour éviter que d’autres ne ressentent cette impuissance. Pasteur se promit de contribuer par ses recherches aux progrès que devait accomplir l’art de soigner. D’autres auraient rendu les armes de la pensée.

Cette capitulation de l’esprit face à l’adversité fut toujours recherchée par une oligarchie qui, pour se hisser au pouvoir et s’y maintenir, a besoin de l’abdication de l’esprit humain. Son identité ne reposant que sur la domination de l’autre, il ne faut pas que la population entrevoie sa capacité à sublimer des situations en apparence inextricables, il faut l’affaiblir moralement en lui faisant croire à sa propre faiblesse. C’est le sens du bourrage de crâne médiatique autour du tsunami qui vient de ravager les côtes du Japon, provoquant l’accident de Fukushima. Les médias corrompus jouent le jeu d’une oligarchie aux abois face à l’effondrement de leur système.

Les découvertes de Louis Pasteur sont l’exemple de la puissance de l’esprit transformant le monde pour le bien de l’espèce humaine. C’est bien ce sens de Prométhée moderne que saluèrent les agriculteurs, les vétérinaires, les viticulteurs, les médecins lorsque Pasteur mettait ses découvertes en application devant de larges publics. Hier comme aujourd’hui, les détracteurs de Pasteur – conscients ou non d’être les jouets d’une oligarchie rageuse – détestent cette puissance de l’esprit qui domine son environnement. L’une des critiques les plus récurrentes consiste à dire que Louis Pasteur niait le rôle et l’importance du milieu. Rien n’est plus faux !

Toutes ses découvertes reposent sur l’étude de l’interaction d’un ou plusieurs éléments ou phénomènes avec leur milieu. L’une de ses premières découvertes en 1849, alors qu’il était étudiant en cristallographie, repose sur l’interaction spécifique entre le vivant et son milieu, dont il fit la nouvelle définition du vivant. Ayant travaillé sur certains de ses travaux, je ne peux que m’étonner puis dénoncer le manque de sérieux des détracteurs de ce scientifique, qui ne comprennent rien à ses découvertes fondamentales et le ferait passer pour un agent avant l’heure de François Sarkozy, patron de Biogaran-Servier.

Reconstituons le fil des découvertes de Louis Pasteur. Une réponse à une question en amenant souvent une autre, regardons comment la sphère de la connaissance s’étendant, celle de la responsabilité de l’homme l’accompagne fidèlement.

Figure 1.
En constatant l’existence de formes géométriques spécifiques, Pasteur identifie l’asymétrie comme marqueur du vivant. D’abord, la cristallisation de l’acide para tartrique (crée en laboratoire) fournit deux sortes de cristaux, semblables mais d’une symétrie parfaite...

En 1849, Pasteur étudie la « polarisation » de la lumière [1] et l’interaction de cette lumière polarisée avec les cristaux de certaines substances chimiques. Héritier d’un ensemble de travaux sur le comportement de la lumière et son interaction avec différentes matières, et plus spécialement de travaux révolutionnaires d’anciens étudiants ou professeurs de l’École polytechnique (dont le professeur Jean-Baptiste Biot, son « mentor scientifique »), l’esprit de Pasteur, qui travaille sur différents problèmes de chimie, avait été éveillé par une note de Eilhard Mitscherlich (1794-1863, chimiste et minéralogiste allemand) sur la ressemblance entre le tartrate (sel d’acide naturel) et le para tartrate (sel d’acide créé uniquement en laboratoire) d’ammoniac et de soude : même poids, même composition chimique, même structure mais réagissant différemment à la lumière. [2]

Étudiant les cristaux de ces deux substances, il constate au microscope l’existence de formes géométriques spécifiques. D’abord, la cristallisation de l’acide para tartrique (créé en laboratoire) fournit deux sortes de cristaux, semblables mais d’une symétrie parfaite (Figure 1).

Figure 2.
...Comme pour nos mains, leurs formes sont une image miroir mais ne sont pas superposables (principe de chiralité). Ensuite, la cristallisation de l’acide tartrique (acide naturel) donne un seul type de cristal (appelé cristal hémiédrique, à gauche sur la figure 1) orienté exclusivement à droite. Ainsi, bien qu’elles possèdent la même formule chimique, les deux substances ont des propriétés différentes.

Comme pour nos mains, leurs formes (gauche ou droite) se reflètent en image miroir mais ne sont pas superposables (principe de chiralité, Figure 2).

Ensuite, la cristallisation de l’acide tartrique (acide naturel) donne un seul type de cristal (appelé cristal hémiédrique) orienté à droite (le cristal de gauche dans la Figure 1).

A partir de cette dissymétrie géométrique, Pasteur formule l’hypothèse de l’existence d’une dissymétrie moléculaire, trace d’une organisation spécifique appelée le vivant, distincte du non vivant et ordonnant le chimique. L’interaction spécifique du vivant avec la lumière était ainsi mise sous nos yeux, ce qui suppose une relation spécifique avec la lumière [3], avec son environnement. Cette spécificité permet à Pasteur de distinguer clairement la chimie du vivant de celle du non vivant, donc de redéfinir le vivant sous un jour nouveau. Car après tout, qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce qu’un être vivant ? Un être se mouvant par lui-même ? Un être qui respire ?

De là, Pasteur peut distinguer s’il y a activité du vivant en constatant l’interaction d’une substance avec la lumière polarisée. Cette première découverte va lui permettre très vite de résoudre des débats de son temps, avec une longueur d’avance sur ses contemporains. Dans l’un de ses livres sur la science, Claude Allègre se demande pourquoi ce n’est pas Galilée (qui possédait une lunette astronomique) mais Kepler (qui n’en posséda jamais) qui découvrit les principes d’organisation de notre système solaire au début du XVIIe siècle. De la même façon, Allègre pourrait se demander pourquoi c’est Pasteur qui allait découvrir l’organisation des micro-organismes et les moyens de combattre leur virulence, alors que le microscope ayant été inventé [4] au XVIIe siècle, les scientifiques auraient donc pu observer à loisir ces micro-organismes depuis deux siècles ?

Le mythe de la pomme tombant d’un arbre provoquant le « eurêka » du financier Newton n’a sûrement pas aidé Allègre dans sa quête… Remettons donc l’histoire dans le bon ordre : Pasteur détermine d’abord s’il y a ou non activité du vivant dans le phénomène qu’il tente de comprendre. Et c’est l’interaction du vivant avec l’environnement extérieur qui le lui indique. Ensuite, après avoir déterminé qu’il y a une activité du vivant, il prend son microscope et cherche l’agent de vie : champignon, bactérie, microbe… C’est donc bien la première découverte de Pasteur dans ses études de cristallographie en 1849 qui l’amène à la découverte des micro-organismes. C’est l’esprit qui découvre, pas le microscope.

L’un de ses premiers succès intervint en étudiant les ferments et les fermentations (dès 1852). A l’époque, la fermentation est pensée comme le chimiste Liebig la concevait, c’est-à-dire une altération de la matière ou du liquide au contact de l’air (une oxydation, en somme). L’idée d’une force de contact (avec l’air ou avec le mouvement de l’air communiqué à la matière ou au liquide fermentescible) était connue comme la cause de la fermentation. Ainsi certains scientifiques avaient corrélé (et validé) cette explication à l’observation au microscope de micromouvements des particules « pressurisées » par l’air ambiant. Louis-Joseph Gay-Lussac [5], comme d’autres scientifiques au début du XIXe siècle, valide l’hypothèse en faisant un bain-marie d’un élément putrescible (le moût de raisin), enfermé dans une cloche hermétique (vide d’oxygène).

Pendant un an, la matière n’évolue pas : elle ne fermente pas. Au bout d’un an, Gay Lussac ouvre la cloche : très vite, la fermentation se produit ! Le lien entre l’air et la fermentation est donc établi… La fermentation était donc conçue comme une réaction physico-chimique, liée au contact entre l’air et la matière ou liquide fermentescible. Au contraire de Liebig, Pasteur montre que la fermentation est un simple phénomène de nutrition de micro-organismes. Dans ses études sur les fermentations, Pasteur apprend à connaître ces micro-organismes, non pas en leur demandant leur ADN ou leur adresse de domicile mais bien en étudiant leur interaction avec le monde extérieur.

C’est ainsi qu’il appréhende l’apparition, le développement, l’intensité et la disparition ainsi que les caractéristiques de ces micro-organismes. Pasteur définit deux types de micro-êtres : les anaérobies, qui sont des êtres vivants se développant à l’abri de l’air, sans besoin d’oxygène, l’air les faisant mourir. Ce sont par exemple les « vibrions » que Pasteur met en évidence en 1861 qui sont la base du ferment butyrique (présent dans la fermentation du sucre). Les aérobies sont au contraire des êtres vivant en présence d’air, ayant besoin de lui pour se développer. La plupart des moisissures sont produites par des champignons qui sont la plupart du temps des êtres aérobies. Ainsi l’aérobiose est la vie en présence d’air, l’anaérobiose est la vie en absence d’air.

De nouveau : qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce qu’un être vivant ?

Dans ses études sur les fermentations, Pasteur nous dit :

Tout ce qui a vécu doit mourir, et tout ce qui est mort doit se désagréger, se dissoudre ou se gazéifier : il faut que les éléments qui sont le substratum de la vie puissent entrer dans de nouveaux cycles de vie. Si les choses se passaient autrement, la matière des êtres organisés encombrerait la surface de la terre et la loi de la perpétuité de la vie serait compromise par un épuisement progressif de ses matériaux. Un grand phénomène préside à cette grande œuvre : le phénomène de la fermentation. (…) A la vie qui (…) a abandonné [l’être vivant] va succéder la vie sous d’autres formes. Les uns s’occupent d’abord de la décomposition du corps (putréfaction), d’autres s’occupent de la combustion lente. Ainsi (…) c’est la vie qui préside au travail de la mort.

Comme toute espèce animale ou végétale, les micro-organismes ont besoin de certaines conditions pour exister et se développer. De succès en succès, de découverte en découverte, Pasteur explore le vaste champ qu’il vient de mettre en lumière. D’où viennent ces micro-organismes ? Qu’est-ce qui les engendre ? A quelle température se développent-ils ? Que se passe-t-il lorsque deux micro-organismes se trouvent en un même lieu ? Coopèrent-ils ? L’un prend-il l’autre de court ? En progressant, Pasteur redéfinit le rôle et la relation du vivant avec son milieu. Dans les années 1870, il établit clairement le lien entre la virulence d’une maladie et la température. Travaillant sur la maladie du charbon [6], il constate qu’elle se développe peu chez le chien et le porc, beaucoup plus chez le mouton ou la vache. Elle est par contre absente chez la poule.

En collaboration avec Jules-François Joubert (physicien, 1834-1910) [7]) et Charles-Édouard Chamberland (biologiste 1851-1908), Pasteur découvre pourquoi : c’est une question de terrain ! Le développement de la maladie est lié à la fois à la température du corps et à sa capacité de résistance à l’agent infectieux [8].

A 44°, le microbe du charbon ne s’active pas. La température interne de la poule (et des oiseaux en général) se situe entre 41 ° et 43°. Le terrain de prolifération du microbe lui est donc peu propice. Pasteur montre que l’apparition de la maladie chez la poule n’est pas impossible mais qu’elle est assujettie au milieu. Il prend des poules et leur met les pattes dans un bac d’eau à 25° pendant quelques heures. Il inocule l’agent infectieux. La température du corps de la poule ayant été artificiellement baissée, le micro-organisme peut proliférer, prenant de court l’organisme de la poule, qui succombe à la maladie. Pasteur apprend et nous enseigne à mieux connaître les interrelations entre les processus vivants et leur environnement. Il n’a de cesse d’influer sur les milieux, d’en modifier les paramètres pour étudier les réactions. A aucun moment, il n’y a pour lui de séparation entre l’être vivant et son milieu.

Pasteur a pu faire ces découvertes parce qu’il se concentrait non sur les choses en tant que telles, mais sur les relations dynamiques entre les phénomènes, comme le montre l’exemple de ses travaux sur la maladie du charbon. Alors qu’il étudiait ce fléau inquiétant de nombreux éleveurs de moutons, il fut amené à expliquer comment la maladie perdurait en dépit des mesures d’hygiène prises par les éleveurs. En effet, après avoir repéré dans le troupeau les animaux malades et mourants, il était courant d’assainir le cheptel en éliminant les individus contaminés. Leurs carcasses étaient alors enterrées entre cinquante centimètres et un mètre de profondeur. Malgré ces précautions, la maladie réapparaissait quelques semaines plus tard. Pasteur reconstitua les éléments du puzzle. Les germes de la maladie présents dans la tombe du mouton contaminé utilisent la terre comme milieu propice à leur développement. Les vers de terre qui s’y nourrissent en deviennent les messagers, remontant l’agent pathogène à la surface du sol où paissent des moutons sains, favorisant ainsi la contagion.

Ces découvertes successives ne se passèrent pas sans polémiques, et souvent avec une mauvaise foi de la part des contradicteurs de Pasteur. Car, hier comme aujourd’hui, on considère trop souvent comme évident que ce qui n’est pas perçu par le témoignage des sens n’existe pas. Or, ce qui n’est pas accessible au monde des sens ne veut pas dire inaccessible au microscope, à la lunette astronomique ou à toute autre instrumentation artificielle. Cela veut dire qu’il existe des principes découvrables qui organisent ce que nous voyons, sentons, touchons, observons par nos sens ou nos alliés artificiels. Les plus butés furent sans conteste les scientifiques et académiciens de son temps. Pasteur consacra beaucoup de temps à expérimenter devant de larges publics pour gagner l’opinion publique et scientifique à sa cause.

En 1881, à Melun, il vaccine en masse vaches, des bœufs, des moutons contre la maladie du charbon. Il convie vétérinaires, agriculteurs, éleveurs, médecins ou simples curieux à constater les résultats. L’expérience, qui se déroulera sur plusieurs mois, aura un retentissement important. Pasteur administre à certains animaux des doses de micro-organismes affaiblis, à échéances variées et avec des souches de plus en virulentes. Les autres animaux ne sont pas vaccinés. Les résultats sont probants :

  • Mortalité en 1881 des moutons non vaccinés : 1 sur 78
  • Mortalité en 1881 des moutons vaccinés : 1 sur 740
  • Rapport vaccinés/non vaccinés presque 9,5 fois moins de décès
  • Mortalité en 1881 des vaches et bœufs non vaccinés : 1 sur 88
  • Mortalité en 1881 des vaches et bœufs vaccinés : 1 sur 1254
  • Rapport vaccinés/non vaccinés d’un peu plus de 14 fois moins de décès  [9]

Tel un Prométhée moderne, défiant le destin par ses découvertes, Louis Pasteur permet à l’humanité de s’armer face aux épidémies et attaques microbiennes en faisant appel à la mémoire immunitaire du corps. Il étend ainsi l’action de l’homme dans son environnement et c’est bien cela qui cause un réel tracas aux tenants d’un ordre féodal, où la seule politique est l’usage habile du bâton et de la carotte pour tenir les masses, et non une politique d’éducation où l’être humain est conscient de ses pouvoirs créateurs, revivant les découvertes des grands scientifiques qui élargissent le champ des possibles dans l’intervention de l’être humain sur son environnement, en même temps que la responsabilité de l’être humain sur le monde.

Comme nous l’avons vu précédemment, un être vivant peut succomber au développement d’un autre être vivant, le microbe. Le micro-organisme peut aussi être un hôte néfaste [10].

Par la connaissance de Pasteur et de ses disciples, l’humanité a acquis un nouveau pouvoir : celui de pouvoir affaiblir jusqu’à l’extinction ou de faire fleurir certains micro-organismes. Et ce, dans son propre intérêt. Cette interaction croissante de l’être humain avec son environnement lui permet de réduire la mortalité de son espèce et d’augmenter son potentiel démographique. Pour résumer : un être vivant (le microbe) peut succomber au développement (culturel/intellectuel/économique) d’un autre être vivant (l’homme). Ceci est évidemment folie, irresponsabilité sans nom pour tout malthusien qui se respecte.

Pour Malthus, Pasteur mérite l’inquisition et le bûcher puisqu’il précipite le moment où arrivera le manque de ressources, provoqué par l’incompatibilité entre croissance géométrique de la population humaine et croissance arithmétique des ressources. Bien sûr, Malthus nous ment, puisqu’il omet le développement anti-entropique de la nature. Il omet aussi que les ressources ne sont limitées qu’à un moment donné, une découverte humaine redéfinissant le champ des possibles et ouvrant de nouvelles frontières. Paysagiste, jardinier, agriculteur, ingénieur de la biosphère… l’être humain acquiert un nouveau droit qui est aussi une nouvelle responsabilité : dompter l’infiniment petit.

Notre engagement

Faisons un bond de quelques décennies et voyons comment l’un des continuateurs de Pasteur pose la question de la responsabilité de l’homme. Charles Nicolle (1866-1936), l’un de ses disciples enthousiastes, reprit l’aventure pasteurienne pour combattre les épidémies et les maladies infectieuses à travers le monde. Ce médecin et microbiologiste français qui dirigea l’Institut Pasteur de Tunis de 1903 à 1936, est connu pour avoir mis en évidence le rôle du pou comme agent vecteur du typhus.

Dans son ouvrage, Naissance, vie et mort des maladies infectieuses, écrit en 1930, Nicolle met en relief l’importance du rôle croissant de l’homme. Il est l’un de ceux qui comprennent le mieux la pensée de Pasteur et ses découvertes. Il ne s’agit pas pour lui de répéter des formules toutes faites, comme ces experts qui polluent nos vies ou ces médecins du symptôme qui ne cherchent pas les causes de la maladie, mais d’être l’héritier et le continuateur d’une pensée vivante découvrant le monde pour le bien de son espèce. En scientifique prométhéen, son écrit pose la question de la responsabilité de l’homme par rapport au vivant. Douze ans après la boucherie de 1914, il nous exhorte à « avoir plus de foi en nous-mêmes ».

Après avoir étudié la vie des maladies infectieuses, Nicolle pose la question de leur disparition, ce qui implique que tous les agents pathogènes sont touchés. Nous n’avons aucun document nous renseignant sur l’extinction naturelle des maladies. Si nous voulons parler de la mort d’une maladie infectieuse, dit-il, nous parlerons donc d’un évènement qui sera le fait de l’Homme. De là, il décrit la disparition de certaines maladies infectieuses comme possible uniquement s’il y a une action économique et sociale globale. Syphilis, fièvre typhoïde, typhus exanthématique, rougeole, paludisme, lèpre, poliomyélite, tétanos, choléra, méningite, maladie du charbon, grippe A… seront éradiqués si la paix par le développement mutuel est instaurée.

Il prend l’exemple du typhus pour expliciter cette interaction entre l’éradication des maladie et le progrès social. Si le pillage financier ne laisse pas place à une politique de développement mutuel avec transferts de technologies et de savoirs, alors le typhus aura toujours un terrain propice à son développement. Si, au contraire, une politique de développement économique définit la base des relations entre pays, alors on coupe l’herbe sous le pied du typhus : le milieu lui est hostile car les peuples se développent ! Et Charles Nicolle de prévenir que les seuls « colons » autorisés, dans ce contexte, sont l’instituteur et le savant.

Il définit là une dynamique de développement où l’avantage d’autrui est consubstantiel avec son propre avantage, tandis qu’une relation contraire a les conséquences inverses : avec le commerce d’esclaves africains, l’Europe apporte la variole et le typhus sur le continent américain. Du continent américain, viendra la syphilis, d’Afrique viendra la fièvre jaune. L’auteur décrit ce processus « comme une punition de la traite des noirs ». L’avenir des maladies contagieuses, conclut-il, dépend de l’avenir de nos choix. Deux scénarios sont envisageables :

Soit l’être humain rétrograde, et il y aura moins de maladies mais elles seront plus mortelles, soit l’humanité se développe et il y aura plus de maladies présentes mais elles seront beaucoup moins mortelles et notre système de prévention et de défense ne sera que plus efficace.

Ce lien qu’il établit entre développement économique et virulence des maladies infectieuses nous ramène aux découvertes de Pasteur sur l’interconnexion entre le vivant et le milieu, mais sous un jour nouveau, avec une dimensionnalité renouvelée. Et c’est bien là que réside notre responsabilité, dans la dimensionnalité du pensant agissant sur son environnement.

Au défi posé par le regain d’intensité des activités volcaniques et sismiques, nous répondons par plus de science. Ce qui ne signifie en rien plus d’empirisme, de logique, de formules, de déductions, d’inductions ou d’ennui, mais de plus en plus de femmes et d’hommes travaillant aux frontières de la connaissance, permettant à une culture humaine de faire des bonds en avant, de véritables découvertes qui relèvent les défis présents et futurs.

Je conclurai par quelques mots de Nicolle, afin de mettre en évidence l’intention destructrice derrière le véritable lavage de cerveau sur les récents évènements du Japon, et surtout ce qu’elle vise à détruire en nous – cela pour rendre plus intime l’engagement de Pasteur et de Nicolle.

La logique, basée sur l’observation, permet de se rendre compte d’un problème, d’en faire le tour, de le délimiter, de chercher des rapports, des analogies avec des questions déjà résolues. Le fait nouveau acquis, la logique le clarifie, le complète, marque sa place dans le chapitre nouveau. Par la comparaison, le report, le décalquage d’une acquisition, faite dans un domaine, sur un autre, elle permet des acquisitions parallèles. Grâce au raisonnement, nous pouvons grouper des faits isolés, estimer des lacunes, nous donner des aperçus d’ensemble, préparer par conséquent d’autres conquêtes. [Mais] S’il s’agit d’un bond en avant, d’une véritable découverte, c’est l’imagination, l’intuition qui nous le donneront.


[1Ces études sur la polarisation de la lumière sont à mettre en parallèle avec les travaux révolutionnaires de l’Ecole polytechnique de Lazare Carnot sur la lumière et son interaction avec les corps, à la fin du XVIIIe siècle, avant le saccage de l’école par Augustin Cauchy. On peut consulter à ce sujet l’article de Pierre Bonnefoy : Avec Huygens, rendons la lumière moins obscure, paru dans la revue Fusion n°78. Précisons seulement que la lumière non- polarisée est la lumière naturelle (le soleil) ou celle d’une ampoule électrique, où les ondes lumineuses se propagent dans tous les sens à partir de la source d’origine. La lumière polarisée est composée d’ondes lumineuses qui vont dans une direction unique grâce un polarisateur de lumière. Pasteur utilisait comme polarisateur de lumière l’appareil de Nörrenberg, composé de miroirs et de cristaux tel le spath d’Islande.

[2Il existe plus de 950 acides connus à ce jour. Certains sont des acides naturels, présents dans la nature comme l’acide tartrique (ou racémique comme il était dit à l’époque de Pasteur), connu depuis l’Antiquité et présent dans les plantes, ou encore comme l’acide formique (présent dans le dard des abeilles, les crocs des fourmis ou les poils des orties). D’autres sont soit dérivés d’acides naturels (comme l’acide para tartrique découvert en 1820, obtenu en chauffant l’acide tartrique naturel), soit obtenus par mélange en laboratoire (l’acide chlorhydrique par exemple).

[3La photosynthèse fut découverte à la fin du XVIIIe siècle.

[4Les historiens des sciences ne s’accordent pas sur l’inventeur, plusieurs scientifiques en ayant revendiqué la paternité, notamment Galilée.

[5(1778-1850) polytechnicien, élève de Biot ; chimiste et physicien français, il est connu pour ses travaux sur les propriétés des gaz, qui permirent des avancées dans le domaine de l’industrie, de l’alimentation et de la médecine.

[6Étude sur la maladie charbonneuse, Pasteur et Joubert, 1878.

[7Surtout connu et reconnu à son époque pour ses travaux sur l’électricité et le magnétisme.

[8Résistance du corps, corrélée, entre autre, avec le temps qu’il lui faut pour organiser sa défense, en fonction, notamment, de la température du corps qui nuit, freine ou stimule le développement de l’agent infectieux. Pensez-le comme une dynamique d’ensemble et non une mécanique d’éléments.

[9Observez qu’à chaque espèce correspond une réponse différente à l’agent pathogène : voyez là encore la question du terrain.

[10La digestion des aliments est un exemple opposé