Les analyses de Jacques Cheminade

Euro : rompre le pacte scandaleux des élites françaises

lundi 11 janvier 1999, par Jacques Cheminade

Depuis mars 1983 - le fameux « tournant de la rigueur » - les élites françaises ont truqué le débat européen. L’arrangement est le suivant : d’un côté, la droite et la gauche « libérales » suivent la même politique de rigueur et de renoncement, avec une simple différence d’étiquette ; de l’autre, leurs adversaires « souverainistes » se retranchent sur des positions chauvines, sans présenter de réelle alternative. Le résultat est désastreux. A une Europe devenue le relais du mondialisme financier ne s’oppose qu’une France sans âme et sans grandeur. Notre ambition est au contraire de casser une règle du jeu injuste et dégradante, en montrant qu’il y a aujourd’hui une occasion stratégique à saisir pour que la France retrouve un rôle digne d’elle en Europe et dans le monde. Nous accusons nos dirigeants, faute de vision et de courage, de laisser passer cette occasion.

La droite et la gauche « officielles » - singulières ou plurielles, mais officielles toujours - rejetteront bien entendu cette analyse et feindront d’être engagées dans un combat qui les oppose. Cependant, leurs actes et les déclarations de l’homme le plus puissant de notre pays, Jean-Claude Trichet, gouverneur de la Banque de France, portent témoignage contre elles, en constituant l’aveu d’un consensus plus fort que leur apparente opposition. C’est ce consensus qu’un Alain Minc appelle le « cercle de raison », et qui est en réalité soumission à la loi du plus fort.

La rigueur libérale de la gauche plurielle

Le programme français de stabilité, présenté par Dominique Strauss-Kahn au Parlement le 23 décembre, est révélateur des choix économiques de la « gauche plurielle ». C’est en effet le cap de la rigueur maintenue, pour ne pas dire renforcée, que le gouvernement a choisi.

D’ici 2002, l’objectif est de ramener les déficits publics de 2,3% du PIB en 1999 à 0,8% ou 1,2%. Les dépenses de l’Etat ne devront pas progresser de plus de 1% en volume au cours des années 2000, 2001 et 2002. Au cours de ces trois années, les crédits de l’Etat ne seront donc majorés en moyenne que de 0,33% par an !

Laurent Mauduit, dans Le Monde du 25 décembre 1998, constate honnêtement : « Autrement dit, le gouvernement de gauche a bel et bien pour cible le retour progressif à l’équilibre budgétaire, cible qui, autrefois, n’était visée, au nom de la neutralité économique de l’Etat, que par les libéraux. » On ne saurait être plus clair.

Une interview de Wim Duisenberg, président de la Banque centrale européenne, dans Le Monde du 31 décembre, met bien les points sur les i de ce que sera « l’Europe » telle qu’elle a été conçue par les banquiers et les financiers.

M. Duisenberg affirme d’abord que les Etats n’en font actuellement pas assez en matière de rigueur :  De 1993 à 1997, les déficits publics se sont réduits dans l’Euroland de 1% par an en moyenne, pour atteindre 2,5% du PNB. En 1999, nous aurons une baisse supplémentaire de 0,4%, ce qui est significativement moins que les années précédentes. Selon les prévisions de la Commission, la réduction devrait tomber en l’an 2000 à 0,2%. Cette réduction des déficits ne va pas assez vite dans la direction de l’équilibre. » Cependant, le grand argentier néerlandais, si précis en matière de rigueur budgétaire, refuse absolument de s’engager en matière d’emplois et même de taux de change ! Son « analyse » est que « le chômage est dû au manque de flexibilité du marché du travail ». Celle-ci doit être imposée par les gouvernements et les partenaires sociaux. Ecoutons M. Duisenberg : « Très souvent, le ministre des Finances a ses contre-pouvoirs au sein du conseil des ministres, et il trouve dans le banquier central un allié, qui appuie son action budgétaire. » En clair, Duisenberg / Strauss-Khan, même combat, même austérité budgétaire, même flexibilité salariale.

M. Strauss-Kahn et le gouvernement de la gauche plurielle répondent qu’il n’y a pas d’alternative à leur rigueur, et qu’au moins elle est « sociale ». C’est se moquer du monde. Il n’y a pas de rigueur pour les banquiers, qui spéculent à tout va sur les marchés des produits dérivés : les huit plus grandes banques françaises y ont misé 13 900 milliards de dollars, sur un total mondial de 103.540 milliards, et elles sont secondes après les banques américaines ! Il n’y a pas de rigueur pour les boursiers : sous le gouvernement de la gauche plurielle, les fonds de pension anglo-saxons ont continué à prendre le contrôle des valeurs du CAC-40, alors que l’indice a augmenté de 31,5% en 1998 (la plus forte hausse de la décennie) et le volume des transactions de 40% ! Depuis la naissance de l’euro, la hausse a été de 8%. Il n’y a pas eu de rigueur pour LTCM : ce fonds hyper-spéculatif américain, qui ne pouvait pas faire face à ses échéances, a été sauvé par l’argent des plus grandes banques du monde - y compris les françaises - car ses activités menaçaient de provoquer des krachs en série : le fonds passait jusqu’au quart des contrats sur le CAC-40 et sur le MATIF (le marché français des options sur les taux d’intérêt) ! Il n ’y a pas de rigueur pour les cadres supérieurs, qui vont bénéficier grâce au gouvernement de la gauche plurielle de retraites par capitalisation et de fonds de pension « sociaux », et, en outre, pourront faire fortune avec des stocks-options (options sur action, possibilité de revendre les actions de leurs entreprises sans prendre le moindre risque à un prix bien plus élevé que leur prix d’achat, consenti dès le départ avec une « ristourne ») à des conditions bien meilleures que celles prévues par les dispositions Juppé de 1996 ! (1) L’on se moque donc bel et bien du monde. Le discours public n’est qu’un masque dissimulant - mal - la réalité.

Le « pari » est de rendre la majorité de la population incapable de comprendre les magouilllles d’en haut, par exemple en créant l’actuel climat d’« europhorie ». Encore que, là aussi, les choses soient claires : l’informatique n’a pas fonctionné pour les RMistes et les chômeurs ayant besoin de leur argent pour manger en début de mois, mais tout s’est au contraire très bien passé, merci, pour les opérateurs des marchés financiers ayant besoin de leurs jetons virtuels pour parier.

Le consensus selon M. Trichet

Les faits portent donc témoignage. Ecoutons maintenant l’explication donnée par M. Jean-Claude Trichet, dans une intervention faite lors du colloque Pierre Bérégovoy, le 25 avril 1996, au Conseil économique et social :

« La politique monétaire française de stabilité et de crédibilité est issue d’un consensus multipartisan, et je crois que la présence de M. Sapin et de M. Alphandéry le prouve. Et si je remonte plus loin - M. Delors me le permettra - le témoin de la politique monétaire a été passé par M. Delors à M. Bérégovoy, par M. Bérégovoy à M. Balladur, par M. Balladur à nouveau à M. Bérégovoy, et ensuite à ceux qui sont autour de cette table. Et je trouve que c’est quant màme assez remarquable que ce consensus ait pu unir de facto, dans la conduite de la politique monétaire, les grandes sensibilités politique de notre pays. Comment ne pas voir d’ailleurs que ceci correspond probablement à un axe stratégique encore plus profondément ancré politiquement puisque, au-delà même des ministres des Finances que je viens de citer, la même ligne stratégique était évidemment assumée par François Mitterrand, par ses Premiers ministres Michel Rocard et Edith Cresson pour la sensibilité socialiste, par MM. Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre pour la sensibilité libérale, et enfin par Jacques Chirac, Edouard Balladur et Alain Juppé. « Cette convergence de la stratégie monétaire, alors même que notre démocratie est restée extraordinairement active dans tous les autres domaines - ainsi que les ministres l’ont rappelé -me semble très importante. (...)

« C’est ce même consensus de facto qui, je crois, a conduit à confier, au nom d’un consensus multipartisan, à la Banque de France, au Conseil de la politique monétaire, la garde de la monnaie. Et cette garde de la monnaie, la Banque de France doit l’assurer pour le compte de tous les Français dans le cadre de ce consensus qui unit les grandes sensibilités politiques de notre pays.(...)

« (...), j’ai été témoin du moment où le ministre Pierre Bérégovoy a changé sa ligne, au nom d’un argument européen qui venait renforcer tous les autres. Je me souviens de l’émotion qu’il y a eu au sein des partenaires européens lorsque le ministre français a dit : "J’ai bien réfléchi, finalement je considère qu’il est approprié que notre pays puisse accepter l’indépendance de la Banque de France d’abord, l’indépendance de la Banque centrale européenne ensuite". Je pense que, au niveau des ministres des Finances, ceci fut un très grand moment, un moment assez bouleversant et qui fut certainement décisif pour que puisse ensuite progresser le cheminement vers le traité de Maastricht. »

A ce même colloque, M. Edmond Alphandéry, ancien ministre de l’Economie du premier gouvernement Balladur, ajoutait, à propos des premiers gouvernements socialistes : « (...) puis, face aux déficits et au décrochage du franc, ce fut le tournant de la rigueur en mars 1983. Mars 1983, c’est aussi le choix de l’Europe, qui porte en germe dix ans plus tard Maastricht et l’Union monétaire. (...) Alors, mesure après mesure, la politique dite de rigueur, demandée sous le gouvernement de M. Mauroy par M. Jacques Delors, se met en place. Lutte contre les déficits, désindexation des salaires, réhabilitation de l’entreprise et des marchés financiers. » A bon entendeur, salut !

L’illusion technocratique de l’union politique

Aujourd’hui, M. Delors semble conscient de ce à quoi on a abouti. Ne vient-il pas de déclarer : « Si l’Union se réduit à la monnaie unique, ce sera Adam Smith et l’hyperlibéralisme sur le plan économique, et Metternich et la loi du plus fort sur le plan politique. » Fermez le ban.

Cependant, lui-même se nourrit d’illusions, comme en témoigne son interview à La Vie du 10 décembre 1998. D’abord, il croit que la récente décision des banques centrales de baisser leurs taux directeurs - de 0,5% en moyenne ! - rend possible une stratégie commune de relance. C’est aussi l’idée de M. Fitoussi. Ils oublient que M. Duisenberg, à qui ils ont donné un pouvoir monétaire indépendant, s’y oppose. Ils oublient que l’oligarchie financière qui a voulu Maastricht, le pacte de stabilité et Amsterdam, s’y oppose encore davantage. Ils oublient qu’un changement de logique et de politique suppose une mobilisation sociale.

Pire encore, M. Delors cite l’économie américaine en exemple : « Le bon dosage entre politique monétaire et politique budgétaire pratiqué par les autorités de Washington, le plein usage du progrès technologique - notamment des technologies de l’information - et le développement des emplois de service, y compris dans les services aux personnes ». Et il refuse absolument de considérer - c’est le plus grave - que nous entrons dans la deuxième phase de la crise du système financier et monétaire international. La vérité est qu’il circule, à l’échelle mondiale, plus de 150 000 milliards de dollars de contrats sur produits dérivés, constituant des créances financières de fait irrécouvrables. Cette somme est en effet plusieurs fois supérieure à la totalité des produits intérieurs bruts de tous les pays du monde, et plusieurs dizaines de fois supérieure à la part physique (hors services) de ces mêmes PIB. Chaque jour, en outre, plus de 1.500 milliards de dollars circulent sur les marchés des changes et environ 3.000 milliards sur les marchés financiers, alors que les échanges physiques de biens représentent moins de 1% du total.

Comment opérer une « relance » sans apporter un commencement de solution à tout cela ? L’Europe n’est pas un îlot isolé du monde, au contraire. La hausse des Bourses européennes montre qu’après l’Asie, elle est devenue la cible de la spéculation internationale et le lieu de fixation - temporaire - d’une partie des capitaux « flottants ». Ce qui accroît sa vulnérabilité, même si c’est à court terme un bol d’oxygène ! Quant à l’économie américaine, ce n’est pas aujourd’hui une économie « saine »", mais l’exemple ultime du mal spéculatif : les 2/3 des investissements en Bourse des personnes privées s’y font à crédit, les banques multiplient leurs investissements sur produits dérivés à fort effet de levier, les mégafusions suivent une logique financière et non industrielle, le taux d’épargne est devenu négatif et la production physique de biens par tête décroît depuis une vingtaine d’années, alors que le secteur des services et des activités spéculatives croît beaucoup plus vite. Voilà le modèle que nous offre M. Delors ! Celui-ci ne veut d’ailleurs pas d’une « nouvelle architecture » du système monétaire et financier international, il rêve « de faire fonctionner celle qui existe, via une meilleure répartition des rôles entre le Fonds monétaire international et la Banque mondiale ». C’est faire appel aux coupables du mal pour tenter de le guérir ! C’est le comble de l’absurdité !

Enfin, M. Delors et ses semblables espèrent, en ce qui concerne l’Europe, sortir du dilemme par le haut. Ils proposent en effet de constituer un « noyau dur » de pays, prêts à mettre en commun leurs compétences et à harmoniser leur politique, pour imposer une orientation plus sociale à la Banque centrale européenne et donner à l’Europe un dessein généreux. Pur rêve ! A cela, M. Wim Duisenberg, toujours dans Le Monde du 31 décembre, répond : « Nous ne fuirons jamais aucun dialogue, avec les gouvernements, les partenaires sociaux, les parlements. En revanche, je n’accepte pas qu’il faille un contre-pouvoir, comme on l’entend souvent en France... Mais en tant que banquier central, je ne suis pas d’accord avec la thèse selon laquelle une union monétaire n’est pas possible sans union politique. »

Voilà qui a le mérite d’être clair. Le problème majeur de Jacques Delors et de ceux qui pensent comme lui, au sein du PS ou ailleurs, et que nous croyons sincères, est qu’ils raisonnent en technocrates, sans comprendre le rapport de forces politique actuel. Les intérêts bancaires et financiers qui exercent leur tutelle sur des organisations internationales, n’ayant pas de comptes démocratiques à rendre, n’accepteront jamais leurs conceptions. Ce n’est qu’au sein des Etats-nations, en partant d’un engagement commun en vue de politiques de développement communes, en s’attaquant aux intérêts financiers, sous contrôle des citoyens, qu’une autre politique - la fameuse politique de « relance » ou de « reprise » - pourra être menée. Pour accomplir un acte politique, on ne peut prétendre y parvenir avec ceux qui y ont mis l’obstacle. Il faut d’abord élliminer l’obstacle avec l’appui de ceux qui y ont intérêt - ici, les peuples et les Etats-nations souverains.

Des « souverainistes » sans dessein

Le malheur est que ceux qui, en France, défendent, à juste titre, la souveraineté des peuples et des Etats-nations, le font au nom d’un chauvinisme qui les réduit à l’impuissance. L’on voit ainsi MM. de Villiers, Pasqua, Hue et Le Pen, chacun à sa façon, chacun avec des intentions plus ou moins estimables, défendre la « souveraineté » sans lui assigner d’objectif. Tous veulent la défendre, mais sans rien proposer qui permette de donner un sens à son existence, sans projet, sans dessein mobilisateur.

Tous se retranchent derrière une conception de l’Etat qui n’est pas celle de l’Etat-nation. M. Le Pen avec ses accents racistes et xénophobes, M. de Villiers avec ses illusions passéistes, M. Pasqua confondant gaullisme et opportunisme à la Don Camillo et M. Hue ne trouvant pas ses marques entre le socialisme dans un seul pays et un libéralisme universel. Ils sont donc tous vulnérables à l’accusation de « passéisme » lancée à tout bout de champ par les cabris des marchés et de l’Europe monétariste. Donner une substance à la souveraineté

L’Etat-nation ne se définit pas par la conservation d’un modèle passé, par une tradition, par la défense d’un « patrimoine », mais par ce qui dans le passé a été créateur et apporte un élan permettant de faire face au défi de l’avenir. C’est une idée qui se développe dans le temps, l’hypothèse supérieure d’hypothèses toujours nouvelles qui en enrichissent le sens.

En termes clairs, cela signifie aujourd’hui défendre les peuples contre l’oligarchie financière, ses banquiers et tous ceux qui veulent les opprimer. Défendre les peuples signifie à son tour recréer les conditions d’une croissance de l’économie physique, dans leur intérêt mutuel : c’est autour de cette conception que doivent àtre reconstruites l’économie mondiale et l’Europe.

Trois objectifs doivent être fixés pour accomplir cette tâche :

1) sauver l’économie réelle, c’est-à-dire l’éducation nationale, la santé publique, la recherche et développement, l’épargne populaire, les infrastructures et les biens de production et de consommation de l’effondrement de la bulle financière ;

2) mettre un terme à la loi de la jungle, c’est-à-dire à la loi du plus fort, prévalant sur les marchés internationaux et européens, en rétablissant des lois, des règles et une reprise du contrôle par les Etats-nations de l’émission de monnaie et de crédit ;

3) Réorienter l’argent, c’est-à-dire des crédits à long terme et à faibles taux d’intérêt émis par les Etats, vers l’économie réelle (physique), en favorisant à l’échelle du monde une stratégie de grands travaux Est-Ouest et Nord-Sud, à entreprendre pour le bénéfice mutuel de tous les pays suivant une démarche comparable à celle du plan Marshall, mais devant le dépasser de plusieurs ordres de grandeur.

En termes actuels, cela s’appelle le pont terrestre eurasiatique, un projet de développement de l’Atlantique à la mer de Chine, de nature à donner une allonge à l’Europe qui la rende digne de son passé. A Pékin, à Moscou et à New Delhi, l’on montre aujourd’hui un vif intérêt pour ce grand dessein : d’ores et déjà, les autorités chinoises ont apposé une plaque commémorative à leur « terminal » du pont terrestre, à Lianyungang.

Au lieu de partir de la monnaie, c’est-à-dire de l’instrument, l’Europe devrait partir de ces projets, c’est-à-dire de la cause, et définir l’émission de crédit et de monnaie nécessaire pour les mettre en place.

Il n’est certainement pas trop tard pour le faire. De toutes façons, le château de cartes de l’euro est condamné à s’écrouler sur ceux qui l’ont construit, en raison de la crise du système monétaire et financier international. L’euro n’est pas une défense active, ce n’est qu’une ligne Maginot minée de l’intérieur. Déjà, une crise de change entre le dollar et l’euro apparaît inéluctable, dont les grands perdants, si par malheur elle se produit, seront les peuples.

Il n’est pas trop tard pour bâtir une Europe donnant l’exemple au-delà d’elle-même. Trois conditions sont cependant nécessaires à cela :

1) Il faut revenir à une logique de banque nationale. Les banques centrales autonomes, qu’elles soient dans un pays ou, comme la BCE, au niveau européen, sont en effet soumises à des impératifs financiers et monétaires ; elles sont vouées à la défense de la bulle financière. Seules des banques nationales sont, au contraire, de nature à émettre de l’argent à long terme et faible taux d’intérêt en vue de grands projets, car elles représentent l’intérêt des citoyens-électeurs de leurs pays et sont soumises à leur contrôle. Aujourd’hui, ce sont les banques privées qui émettent de la monnaie, et non les banques nationales ; la BCE est, de fait, une mégabanque couronnant un système de banques privées. C’est intolérable.

2) Les agents financiers surendettés et surexposés doivent être mis en règlement judiciaire et la « bulle » des produits financiers dérivés éliminée. Il s’agit ici d’annuler systématiquement les créances de nature spéculative (prédatrices de l’économie réelle) et de ne conserver que celles qui sont liées à la production, au travail et à des opérations commerciales sur biens physiques. Les créances actuelles du système financier et monétaire international sont irrécouvrables, il faut annuler de manière ordonnée tout ce qui est spéculatif pour libérer l’initiative du productif. Sans cela, le chaos deviendra incontrôlable.

3) C’est seulement un « noyau dur » de pays européens - ici, M. Delors a raison - constitué essentiellement par la France, l’Allemagne, l’Italie et peut-àtre le Benelux, qui est susceptible de prendre une telle initiative.

La France, en particulier, a un double rôle de catalyseur à jouer : en Europe même, et entre la Russie, la Chine et l’Inde d’une part, les Etats-Unis de l’autre. Pour cela, ses dirigeants doivent comprendre que la voie dans laquelle nous nous sommes engagés depuis une trentaine d’années - en particulier, depuis le « tournant de la rigueur » de mars 1983 - mène au désastre.

La France doit également saisir l’importance du combat politique qui se déroule aux Etats-Unis, et qui a pour enjeu la présidence américaine. Elle doit mesurer la catastrophe que serait une présidence Gore et la nécessité pour les Etats-Unis, dans l’intérêt du peuple américain, de changer de politique. L’alternative, c’est les conceptions que nous défendons ici, c’est tout ce que représente aujourd’hui Lyndon LaRouche.

Son nom est respecté à Moscou, à Pékin et à New Delhi par tous les opposants au mondialisme financier. Son projet de pont terrestre eurasiatique et de nouveau Bretton Woods y est l’objet d’un débat intense et animé. Il serait temps que les responsables français s’y intéressent. D’autant plus que cette logique de développement physique s’inscrit bien entendu dans celle du New Deal de Franklin Roosevelt, mais aussi dans celle de nos cinq premiers plans : une économie ni dirigiste au sens soviétique, ni néolibérale au sens de Tony Blair ou de la dictature financière actuelle, mais pleinement volontariste.

La France et les pays européens ont besoin d’un grand dessein. Celui-ci, comme tout autre, demande, pour exister, que nous relevions une grande querelle. Alors que le système financier et monétaire international est en voie d’implosion, c’est le moment d’affronter Wall Street et la City de Londres - la matrice de tous ce qui est opposé à l’idée même de « France ». Non de manière impuissante, doctrinaire, mais avec des amis et des alliés.

Sans cela, nous nous condamnerons à la déchéance, au renoncement et à cette impuissante amertume que Jacques Chirac exhibait de manière si pathétique après les bombardements anglo-américains sur l’Irak.

(1) Lionel Jospin a décidé, le 7 janvier, de faire machine arrière en ce domaine. Cependant, l’entourage de Dominique Strauss-Kahn ne s’estime pas battu et assure qu’un nouveau texte « sera adopté dans l’année ».