Le serment de Koufra

vendredi 30 septembre 2011

Le général Leclerc avec un équipage de la 2e DB.

C’est avec beaucoup de plaisir et d’intérêt que nous accueillons ce texte de Jean-Pierre Mondy à Nouvelle Solidarité.

Personnellement, je me souviens de ce jour breton de 2007 où je l’ai rencontré pour la première fois dans sa mairie, représentant à la fois l’esprit de sa région, de notre pays et d’un citoyen du monde, avide de connaître le passé et d’éprouver le présent pour donner sens à l’avenir.

Son texte, aujourd’hui, m’interpelle de trois façons :

  • La première, il éveille en moi le souvenir de mon ami Jean-Gabriel Revault d’Allonnes, ce gueux par choix, noble et républicain, qui accompagna Leclerc dans sa route. Il me disait, à moi-même et à Lyndon LaRouche : « Lorsqu’une guerre éclate, il faut d’abord écarter les généraux qui se sont trop habitués à la paix, et les remplacer par des hommes prêts au combat. » Leclerc, Revault d’Allonnes : aujourd’hui, à leur exemple, une nouvelle génération doit prendre la relève.
  • La seconde, il rend vivant le texte du Préambule de notre Constitution, rédigé « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine ». Victoires de Leclerc, dont il est l’aboutissement, nous impartissant la mission, ici et maintenant, de faire à nouveau relire et respecter nos textes fondateurs.
  • Enfin, la troisième, il nous incite à « passer par où on ne nous attend pas », à maîtriser l’inattendu pour remporter la victoire. En portant notre pensée dans le futur.

Autant de leçons pour la campagne présidentielle, à l’intention des aveugles et des sourds qui ne veulent pas voir ni entendre la tempête qui se déchaîne.

Jacques Cheminade

Le serment de Koufra

Par Jean-Pierre Mondy, ancien maire de Plesder (35)

En cette année 2011 qui va maintenant sur sa fin, un anniversaire semble avoir été oublié alors que notre pays n’est jamais en reste de commémorations de toutes sortes. Mais il est vrai qu’en une période où la tendance est aux promesses oubliées et aux mémoires chancelantes, il eut été difficile de trouver quelqu’un pour évoquer, « droit dans ses bottes » selon la formule, un serment qui engageait la vie de ceux qui l’avaient prêté.

Il y a soixante-dix ans, ce 2 mars 1941 à 8 heures du matin, devant une poignée d’hommes, le drapeau français et la flamme à croix de Lorraine sont hissés solennellement au grand mât du fort de Koufra. Koufra, oasis situé à 500 km de tout autre point habité, au beau milieu du désert libyen, l’un des plus hostiles de la planète.

Face au drapeau, les soldats français présentent les armes : 101 Européens et 295 tirailleurs indigènes ont participé aux combats.

Puis, leur chef qui salue les couleurs, un homme mince, de petite taille, prononce d’une voix ferme une phrase aussi brève que lourde de sens, résumant l’engagement de tous ceux qui ont rejoint la France libre en juin 1940 ou qui la rejoindront ultérieurement.

Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg.

L’instant est grave pour cette poignée de militaires perdus dans les sables sahariens. Mais que vaut ce serment le jour où le capitaine Philippe de Hautecloque, mieux connu sous le nom de Leclerc, les prononce.

Si on le ramène à ses justes dimensions, l’évènement est insignifiant. Au mieux, pour l’adversaire, il est contrariant. La prise d’un fortin italien aux confins de l’empire germano-italien ne vient guère ébranler la puissance de l’Axe qui, à ce moment, est à son apogée. La Russie ne se trouvera en guerre que quatre mois plus tard et il s’en faut de dix mois pour que les Etats-Unis s’y trouvent précipités à leur tour et, grâce à leur puissance industrielle, se convertissent en « arsenal des démocraties ». Autrement dit, Koufra n’est qu’un accrochage mineur, un « détail », une anecdote au cœur de la tourmente mondiale.

Mais de Gaulle ne s’y trompe pas. De Londres, dès le lendemain, il téléphone à Leclerc :

Vous avez ramené la victoire sous les plis du drapeau. Je vous embrasse !

L’épopée de la 2e DB de Leclerc 1941-44.
2db.free.fr

Pour la première fois depuis le lamentable armistice de juin 1940, des unités françaises sous commandement français ont opéré victorieusement en territoire ennemi.

L’honnêteté historique oblige à préciser que les commandos néo-zélandais apportèrent leur concours à la réussite de l’entreprise. Mais c’était bien Leclerc qui avait donné l’impulsion et ses hommes qui avaient pris Koufra avec leurs modestes moyens. Ils ne disposaient que d’un malheureux canon, mais ils se sentaient portés autant qu’aiguillonnés par la volonté de leur chef.

Il leur avait fixé un objectif qui paraissait difficile à atteindre mais il était avec eux pour leur montrer que les difficultés étaient là pour être surmontées ; elles ne le seraient pas du jour au lendemain mais elles le seraient.

Je ne m’avancerai pas à généraliser abusivement et à écrire que cet état d’esprit était courant au sein de la France libre et combattante. Mais il était partagé par beaucoup. Leclerc fut sûrement l’un de ceux qui le portèrent au plus haut point, car il était animé par une volonté peu commune, comme le montre le général Jean Delmas :

Elle s’exprime totalement dès son arrivée au Tchad (25 novembre 1940) quand il annonce à ses proches (2 décembre 1940) : "Nous allons attaquer Koufra" sans chercher à savoir si une telle opération est réalisable. Cette volonté de fer est ensuite mise au service de l’acte de foi qu’est le serment de Koufra, tenu grâce à un magnétisme qui crée de fanatiques dévouements, à une ténacité, à une énergie qui donnent des coups de pouce au destin, éventuellement des coups de canif aux nécessités de la guerre de coalition, car seul compte l’objectif : atteindre Strasbourg.

Cette volonté hors norme, Leclerc en a fait preuve dès les premiers combats. Blessé le 15 juin 1940, il se retrouve le 25 juillet à Londres où il se présente au général de Gaulle. Philippe de Hautecloque est devenu Leclerc pour protéger sa femme et ses six enfants restés en France.

Le 6 août 1940, de Gaulle l’envoie en Afrique équatoriale avec mission de faire basculer les colonies françaises dans le camp allié. Le 26 août, il rallie le Cameroun à la France libre avant de partir pour la Tchad, d’où il montera l’expédition sur Koufra.

Fin 1942, la modeste « Force L » (L pour Leclerc) se bat aux côtés des Britanniques de Montgomery dans les derniers combats de la campagne de Libye puis en Tunisie, de février à mai 1943.

En juin 1943, Leclerc reçoit une nouvelle mission : former et instruire l’une des trois divisions blindées dont se dote la nouvelle armée française qui se reconstitue et se modernise en Afrique du Nord en vue de reprendre sa place au combat aux côtés des Alliés. Formée à partir d’unités issues des Forces françaises libres mais aussi de l’Armée d’Afrique restées fidèles au gouvernement de Vichy jusqu’en novembre 1942, la 2e Division blindée (2e DB) va acquérir un esprit, insufflé par son chef, qui va en faire un redoutable outil de combat.

Au mois d’avril 1944, la division au complet quitte le Maroc pour la Grande-Bretagne où elle est intégrée à la IIIe Armée du général Patton. Elle sera la seule grande unité française à participer, début août 1944, aux derniers combats de la bataille de Normandie dans le secteur d’Alençon.

Le 22 août, l’ordre de marcher sur Paris est donné. Trois jours plus tard, les premiers éléments de la division arrivent dans la capitale. Illustrant la diversité des origines de la 2e DB, les premiers véhicules sont ceux des Espagnols d’une compagnie d’infanterie coloniale. Ceux qui avaient fui l’impitoyable répression franquiste se retrouvaient métamorphosés en libérateurs de Paris.

Leclerc n’a pas oublié son serment. Certes, il a libéré Paris avec l’aide d’une division de l’US Army et reçu la capitulation du général von Choltiz. Mais l’objectif essentiel c’est Strasbourg.

Il est atteint trois mois plus tard, le 23 novembre, à l’issue d’une succession de manœuvres sur le plateau lorrain, dans le massif vosgien et dans la plaine d’Alsace. L’affaire est menée avec une telle efficacité que la garnison allemande de Strasbourg est totalement surprise de voir arriver les blindés français dans les rues de la capitale alsacienne.

Raymond Dronne, l’un des vétérans venus au Tchad, a écrit :

Le commandement allemand s’attend normalement à une offensive par la voie classique des invasions, par le passage normal, par la trouée de Saverne, qu’empruntent la route, le canal et le chemin de fer. Le général Leclerc passera par ailleurs, par là où on ne l’attend pas, par des itinéraires acrobatiques tellement difficiles qu’ils sont à peine défendus, par la route du Dabo, par exemple. Il trouvera et surprendra les défenseurs, les prendra à contre-pied…

Comme à Koufra, Leclerc est passé par où on ne l’attendait pas. Cette fois, ce n’était plus une piqûre d’épingle mais un coup de boutoir. L’audace et la volonté…

Trois hommes vont confectionner hâtivement un drapeau français, dont la partie rouge a été prélevée sur un drapeau allemand abandonné, et le hisser à la flèche de la cathédrale.

Ainsi fut accompli le serment de Koufra.

Le 25 novembre au soir, retrouvant l’un des compagnons d’armes de la première heure, Leclerc s’exclama :

Hein, mon vieux Dio. On y est cette fois ! Maintenant on peut crever tous les deux !

Des pistes sahariennes brûlées par le soleil aux pistes enneigées des Vosges, en passant par les Champs Elysées, un chef audacieux et volontaire avait guidé ses hommes pour accomplir une promesse tenue au prix du sang.

Après Koufra, Paris, Strasbourg, la 2e DB eut un ultime rendez-vous avec l’histoire le 4 mai 1945. Devançant une unité américaine, un élément léger fut le premier détachement allié à atteindre, à Berchtesgaden, le « nid d’aigle » du Führer.

On prête à Guillaume d’Orange la célèbre phrase :

Là où il y a une volonté, il y a un chemin.

L’itinéraire des hommes de la 2e DB, de Koufra à Berchtesgaden, en fut une vivante démonstration. Surgis de la défaite, rassemblés autour d’un idéal incarné par un homme d’exception, ils furent l’honneur de la France.

A l’heure où notre pays se trouve quelque peu désorienté par ceux qui devraient le guider, il est indispensable de se souvenir que le désespoir n’est pas de mise et que la volonté, intelligemment exercée, sera notre ressource majeure.