AG 2011 de Solidarité et Progrès

Henri Sterdyniak : Brisons la domination des marchés financiers !

lundi 24 octobre 2011

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Intervention d’Henri Sterdyniak lors de la table ronde des économistes à l’Assemblée générale 2011 de Solidarité & Progrès.


Henri Sterdyniak est directeur du Département économie de la mondialisation à l’OFCE. Il est, avec Philippe Askenazy et Thomas Coutrot, à l’origine du mouvement des Economistes atterrés lancé en septembre 2010 et qui milite contre les politiques d’austérité brutales imposées en Europe.


Je parle ici en mon nom personnel, et pas au nom de l’OFCE.

Pourquoi la situation est particulièrement importante cette année, l’année prochaine ? On assiste à une crise grave qui est celle du néo libéralisme, qui est le modèle de croissance qui domine le modèle mondial depuis 1980.

C’est une crise financière, économique et social eet nous, les citoyens français et européens, avons le choix entre deux stratégies : soit continuer à faire plus, soit, au contraire, reconnaître que l’économie mondiale s’est engagée dans une impasse et il faut prendre des mesures extrêmement fortes pour sortir de cette impasse. C’est l’enjeu du débat électoral de l’année prochaine en France et dans d’autres pays européens.

Qu’est ce qui caractérise le néo libéralisme ? C’est la globalisation financière et la mondialisation commerciale, où tout le capital peut mettre en concurrence les classes ouvrières du monde, le capital va produire là où c’est moins cher de produire, ce qui s’est traduit par un triomphe du capital sur le travail, qui fait que dans la plupart des pays, la part du capital a augmenté au détriment de celle du travail.

Les classe dominante font du chantage. Elles disent aux Etats « si vous ne diminuez pas les impôts, on ira produire ailleurs » et du coup on a eu une diminution des taux d’imposition sur les entreprises et sur les plus riches.

Résultat, des masses énormes de capitaux sont disponibles : le capital des classes dirigeantes, celui des fonds de pension dans les pays anglo-saxons où il y a peu de protection sociale et où les classes moyennes sont obligées d’avoir recours aux marchés financiers pour leurs retraites, pour leur santé, pour l’éducation de leurs enfants. Cela fait des masses énormes de capitaux disponibles et des fonds spéculatifs, des fonds de placement, qui promettent des rentabilités fabuleuses : 10 – 15%, obtenues généralement au moyen de bulles financières.

Le principe des bulles financières est : on lance des rumeurs. Les valeurs Internet sont des valeurs d’avenir, les pays de l’Asie du Sud-est sont des pays d’avenir, résultat ça fait monter les cours. Ceux qui ont acheté ces valeurs sont extrêmement contents, ils ont gagé de l’argent, ceux qui n’ont pas acheté se disent j’ai été bête, donc ils en achètent.

Tout cela fait que la valeur de ces titres monte, monte. Tout le monde est content, tout le monde est plus riche, il y a des bonus, des dividendes. Puis, un jour on s’aperçoit que tout cela repose sur du vent, que les valeurs internet sont surévaluées et brutalement ça retombe, on a un crack et on est en permanence, avec la globalisation financière, dans des alternances de bulles et de cracks. On a des institutions financières qui gagnent leur argent avec de la volatilité. S’il n’y a pas de volatilité, il n’y a pas d’occasion de profit.

C’est dans cette ambiance de casino que se développe l’économie mondiale. Dans les pays anglo-saxons les inégalités ont augmenté puisque que la mondialisation permet de faire pression sur les salaires, et comme on a soutenu la demande par la bulle immobilière, le prix du logement a augmenté, la bulle financière, l’endettement des ménages. Mais tout cela arrive à un terme, l’endettement des ménages ne peut pas augmenter sans cesse, un jour il faut rembourser, les bourses ne peuvent pas continuer à augmenter. A un moment donné, quelqu’un s’aperçoit que la valeur des bourses est totalement extravagante, le prix du logement ne peut pas continuellement augmenter. Et donc, ça s’effondre.

Le problème qu’on a, dans tous les pays développés, est comment on sortir de cette situation. Comment faire repartir la machine ? Le néo libéralisme est bloqué.

Les marchés financiers ont contaminé les banques, qui avaient jadis des occupations saines, fait crédit aux ménages et aux entreprises, des banques spécialisées qui connaissaient bien les différents secteurs. Eh bien, elles se sont aperçues que ces petits métiers étaient finalement peu rentables et qu’on pouvait gagner beaucoup plus d’argent en allant sur les marchés financiers. Elles se sont de plus en plus investies sur les marchés financiers, pour gagner une grande part de leurs profits la-dessus, en utilisant l’argent des déposants pour spéculer sur les marchés financiers ou pour prêter aux spéculateurs.

On parlera tout à l’heure de l’exemple le plus comique qui est Dexia, mais c’est pareil pour la Société Générale. Le Crédit Agricole en a eu marre de prêter aux paysans, il est allé acheter des sociétés financières aux Etats Unis en pensant qu’il allait gagner des sommes fabuleuses et a eu les pires ennuis au moment de la crise.

Puis, le métier le plus rémunérateur est devenu trader. Quelqu’un qui spécule sur les marchés financiers, un jeune qui sort des grandes écoles, gagne cent fois plus que son collègue qui fait de la recherche scientifique, développe des moteurs à énergie électrique, des choses utiles. Non, c’est mille fois moins valorisé que le métier de trader dont l’utilité en tant que métier est totalement douteuse. (…)

Deuxièmement, il y a l’Europe, qui a été pervertie. Au début, l’idée de l’Europe sera une zone qui va pouvoir développer une stratégie économique autonome, défendre la protection sociale, lutter pour un ordre mondial plus juste. En fait, l’Europe depuis une trentaine d’années est dominée par une technocratie libérale, dont l’objectif est, au contraire, de briser le modèle social européen pour adapter l’Europe au modèle Anglo-saxon.

C’est la tragédie de l’Europe actuellement. Il faudrait une Europe forte pour changer l’évolution économique mondiale et chaque fois qu’on donne plus de pouvoir à l’Europe, elle l’utilise pour imposer plus de libéralisme : Il y a eu des directives européennes pour réduire les dépenses publiques, réduire les dépenses sociales, contrôler les Etats, réduire le droit du travail. (…)

Il faut aussi changer l’Europe. Ce qui est pire, c’est qu’on a fait la zone euro sous influence de l’Allemagne et de l’Angleterre, les deux génies maléfiques, on a mis sur pied une constitution complètement farfelue, dans laquelle il y a une banque centrale indépendante qui ne garantit pas les dettes publiques des Etats, des états qui ne sont pas solidaires les uns des autres, de sorte qu’ils sont nus face aux marchés, et les marchés s’en sont aperçus depuis 2007. Depuis cette époque, les marchés spéculent contre la dette publique des Etats de la zone euro. Ça permet un nouveau jeu. Les CDS, comme l’a dit François Morin, se sont massivement développés, et les traders jouent sur le fait que l’Italie et l’Espagne vont faire défaut, qu’elles ne pourront pas rembourser ses dettes. Et ses jeux sont auto-réalisateurs. Je me pointe un matin et je dis « vous savez l’Italie ne va pas rembourser sa dette » et du coup je vais inquiéter mon voisin qui va vendre ses titres italiens, va faire monter le coût de la dette italienne et ça va encore fragiliser l’Italie, et je peux dire que j’ai eu raison, j’ai gagné de l’argent. Chaque jour, on invente une nouvelle rumeur… (…)

Entre l’Europe libérale et les marchés hystériques, la zone euro va à la catastrophe et les marchés se suicident eux-mêmes, puisque j’ai gagné de l’argent en racontant que l’Italie allait faire faillite et parce que j’ai été le premier à spéculer là-dessus… (…)

Et que fait l’Europe actuellement ? Elle met en œuvre des stratégies suicidaires : appeler tous les pays à se lancer dans des politiques d’austérité. On demande à la Grèce de faire 15 points d’effort, au Portugal, à l’Espagne, à l’Irlande 10 points d’efforts, et aux autres 1 ou 2 points d’effort par an.

Résultat, la croissance est brisée dans la zone euro, il y a des troubles sociaux, il y a des gouvernements impopulaires qui se font battre à chaque élection, les marchés ne sont pas rassurés et continuent à spéculer, et la situation s’aggrave.

Comme les dettes publiques sont fragilisées, les banques qui la détiennent sont elles aussi fragilisées, et on dit « il faut recapitaliser les banques », mais pour cela il faut que les Etats s’endettent, ce qui va fragiliser les Etats, ce qui va fragiliser les banques…

Il n’y a pas de solution si on ne sort pas de ce système. Il faut dire non aux politiques d’austérité, non à la recapitalisation libérale des banques.

Que doit faire l’Europe ? Il faut une rupture franche, il faut dire clairement que le néo libéralisme ne marche pas. Notre objectif est de briser la domination des marchés financiers et de prendre des mesures dans ce but.

D’abord, il faut garantir les dettes publiques. Il faut que la BCE devienne une banque qui garantisse les dettes publiques, qui finance les Etats si nécessaires, il faut que les Etats européens soient solidaires, sinon la zone Euro ne peut pas fonctionner.

Il faut diminuer l’importance des marchés financiers : interdire les CDS nus, interdire aux banques de spéculer pour leur compte propre, interdire de prêter aux spéculateurs. Il faut réduire fortement l’attrait du métier de trader. Il faut des taux d’imposition sur les revenus dépassant de 20 fois le SMIC. Quand j’étais jeune, c’était 7 fois le SMIC, dans le programme du parti auquel j’appartenais.

Puis il faut retrouver le caractère des banques de service public, au service des déposants, des entreprises et des ménages. Il faut un secteur garanti des banques de dépôts, qui a le droit de se refinancer mais qui en contre-partie n’a pas le droit d’aller sur les marchés financier, n’a pas le droit de prêter aux spéculateurs. Il faut avoir une liste extrêmement précise de ce que les banques de dépôt ont le droit de faire.

Par ailleurs, il peut y avoir des banques d’investissement, il peut y avoir des spéculateurs, mais ils prennent le risque. Ce qu’on a vu en Islande, en Irlande, en France, est complètement aberrant, lorsqu’une banque a des problèmes car elle a spéculé, ce n’est pas aux contribuables de rembourser. (…)

C’est important d’avoir cette rupture. Et puis, dernier point, on est en situation de dépression, l’Europe a perdu 8 points de PIB à cause de la crise. L’objectif donc, ne doit pas être de réduire la consommation, mais de relancer l’industrie. Pour cela il faut de grands programmes européens, avec de l’industrie innovante, des industries de main d’œuvre.

Il faut des banques pour le développement industriel, où on dit aux ménages « donnez-nous votre argent, on vous rémunère a 3% ». Ce n’est pas beaucoup mais finalement sur dix ans cela serait mieux que ce que perdez en bourse. Avec cette argent on pourra financer des programmes importants, une partie dans les pays du sud désindustrialisés depuis dix ans. On en fera un peu partout en Europe.

Il faut donc une rupture, briser la domination des marchés financiers, reconstituer un service bancaire publique, au service de l’économe, et relancer l’activité productive en Europe.


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