Les analyses de Jacques Cheminade

Le combat de Jean-Claude Duret contre l’oligarchie affairiste

mercredi 22 février 2012, par Jacques Cheminade

J’ai rencontré pour la première fois Jean-Claude Duret après l’élection présidentielle de 1995, et nous avons tout de suite sympathisé. Ce bagarreur intellectuel et humaniste me parut alors l’un des contrepoisons si nécessaires à notre pays, dans lequel triomphaient les affairistes. Dans cet étrange partenariat public/privé de l’époque, il a représenté l’honneur du syndicalisme et du droit, au péril de se trouver bafoué par les juges et abandonné par son syndicat.

C’était cependant sans compter avec son courage et sa ténacité. Malgré un cancer, malgré des moments de découragement, il a tenu. J’ai simplement regretté de n’avoir pas eu moi-même les moyens me permettant de le soutenir davantage.

C’est à lui que l’on doit l’ouverture du procès du 1% logement, le 6 février 2012, devant le tribunal correctionnel de Nanterre. Jean-Claude Duret était en 1999 administrateur salarié du CIL-Habitation française, organisme collecteur de la participation des entreprises à l’effort de construction dans les Hauts-de-Seine. Il y constata une gestion peu orthodoxe : contrats « bâclés mais dûment ficelés », procès-verbaux tronqués, désaccords jamais actés, train de vie des dirigeants inhabituel au très chic polo de Bagatelle ou dans des restaurants étoilés. Un audit de l’Inspection générale des finances dévoila qu’une partie de l’argent collecté aurait financé des subventions ou des prêts accordés à des sociétés immobilières dont les deux dirigeants, Thierry Gaubert et Philippe Smadja, étaient actionnaires. Les enquêteurs en ont conclu que « les modalités d’organisation […] se sont traduites par des transferts financiers vers des patrimoines privés ».

L’affaire paraît claire à quiconque examine le sujet. Cependant, Jean Claude Duret, qui avait porté plainte en 1999, ne fut entendu pour la première fois par un juge d’instruction qu’en 2007, soit huit ans après. C’est ce juge, Richard Pallain, qui, par son opiniâtreté et son courage, a permis que l’affaire aille enfin devant les tribunaux. Entre-temps, Jean-Claude Duret avait été lâché par son syndicat et contraint à une retraite forcée avant 60 ans par son employeur, Thalès, dont le secrétaire général entretenait d’excellentes relations avec Thierry Gaubert.

Aujourd’hui, nous voilà donc devant le très particulier tribunal de Nanterre, qui a été le champ de bataille entre le procureur Philippe Courroye et la juge Isabelle Prévost-Desprez. L’on sait par ailleurs que Philippe Courroye et Thierry Gaubert ont pour dénominateur commun d’être des proches de Nicolas Sarkozy.

C’est dans ce contexte de notoriété publique que, dans l’affaire qui nous intéresse, le réquisitoire de la jeune substitut du parquet, dépendant hiérarchiquement de Philippe Courroye, a été fondé sur une argumentation relevant d’un sophisme juridique abracadabrantesque. Elle a d’abord constaté que « les prévenus ont fait de l’argent dans un secteur dit social … ils ont basculé dans un autre secteur pour prendre leur part du magot. On peut les condamner d’un point de vue moral, mais qu’en est-il d’un point de vue juridique ? Ont-ils franchi la ligne rouge ? » et de conclure : « Faire des affaires n’est pas illégal ». Pour enfin éliminer la prise illégale d’intérêts, l’escroquerie, le faux et usage illégal de la profession de banquier et ne retenir qu’un seul abus de bien social, aboutissant à ne demander contre M. Gaubert qu’un an de prison avec sursis et 50 000 euros d’amende, et deux ans avec sursis contre M. Smadja et 100 000 euros d’amende.

Ce qui fait dire à Michel Deléan, dans Mediapart du 16 février : « Il faut donc croire que le fait de détourner l’argent du 1% logement dans le département le plus riche de France, sur fond de spéculation effrénée et de copinage politique, n’a aucune signification particulière. Et seuls de méchants esprits oseraient comparer cette mansuétude touchante du parquet de Nanterre, dirigé par le procureur Courroye, avec la sévérité implacable exigée chaque jour contre les petits délinquants, envoyés en prison sans états d’âme ni égards particuliers ».

Le délibéré est fixé au 3 mai, quelques jours avant le deuxième tour de l’élection présidentielle. Il faut espérer que les juges auront le courage de servir le droit sans compromissions.

En tous cas, cette affaire confirme, s’il le fallait, la justesse de ma proposition de faire de la justice un réel « troisième pouvoir », avec un Procureur général de la nation indépendant et inamovible, et non qu’elle demeure une « autorité » sujette aux tentations de l’exécutif.

Il y a cependant plus dans l’affaire Duret. Toujours avec le même courage, Jean-Claude Duret avait réclamé des comptes et des explications à la direction de Thalès sur l’affaire des frégates de Taïwan, dont Me Roland Dumas est un expert. Cela a contribué à son malheur. Cependant, l’histoire se venge en poussant au dessus de la tête de ceux qui ont failli ce que le grand poète germano-français Friedrich Schiller appelle les « grues d’Ibykus ». C’est-à-dire les signes de leur culpabilité. Il est révélateur de notre époque que ces grues ont aujourd’hui pour noms Takieddine, Djourhi ou Bourgi, et que leur vol soit alourdi de mallettes et de valises.