Le poète Edgar Poe à notre secours dans le Maelstrom de la crise actuelle

jeudi 20 septembre 2012, par Christine Bierre

Pourquoi évoquer sur ce site le conte d’Edgar Allan Poe, Une descente dans le Maelström , alors que nous traversons la pire crise financière de l’histoire humaine et que cette crise menace de se muer en guerre et en fascisme ?

N’est-ce pas là une fuite romantique ou, au mieux, une simple frivolité ? C’est ne pas connaître le rôle de la métaphore dans la politique et dans la recherche de la vérité.

Si telle est votre réaction initiale, elle est parfaitement justifiée, car seul un petit nombre, même parmi les plus lettrés, sait vraiment qui était le poète et écrivain américain Edgar Allan Poe (1809-1848).

En attendant la traduction complète d’un texte d’Allen Salisbury, un ancien collaborateur aujourd’hui décédé, « Edgar Allan Poe – The lost soul of America (L’âme perdue de l’Amérique) », voici la substantifique moelle de ce mystère qu’est Edgar Allan Poe.

Malheureusement, avant l’excellente édition présentée par Claude Richard en 1999, Edgar Allan Poe n’était connu en France que par la traduction de ses œuvres par Charles Baudelaire, ou par les analyses psychologiques folles de Marie Bonaparte. Or, ces auteurs et d’autres ont contribué à créer l’idée qu’Edgar Poe serait un écrivain du fantastique, des contes d’horreur ou de psychés malades. Des adversaires lui ont aussi fait une réputation d’alcoolique.

La réalité est réellement fascinante et il nous a fallu un C. Auguste Dupin moderne, Allen Salisbury, pour lever le mystère. Salisbury développe l’hypothèse qu’Edgar Poe, né en 1809 et mort en 1849, fut une figure majeure des réseaux de défense de la jeune République américaine, toujours menacée par son ancienne puissance coloniale, l’Angleterre.

En effet, très jeune, sa vie tombe sous l’influence de Lafayette et de ses réseaux au sein de la Société de Cincinnati, et notamment de deux personnalités : John Marshall, juge de la Cour suprême, et le général Winfield Scott. Fondée par Lafayette, George Washington et Alexander Hamilton, cette société avait pour but de soutenir la République américaine.

Ainsi, Poe adolescent fut choisi parmi l’association de « Volontaires juniors » de Richmond pour faire partie de la garde d’honneur qui accompagna Lafayette dans sa tournée triomphale des Etats-Unis en 1824. L’objectif de cette tournée organisée par la Société de Cincinnati était de promouvoir la candidature du grand républicain John Quincy Adams à la présidence des Etats-Unis, et en même temps, d’aider Lafayette à tenter une nouvelle aventure républicaine en France. C’est sous la houlette du général Scott que Poe fut admis en 1830 à la prestigieuse académie de guerre américaine de West Point, explicitement fondée sur le modèle de l’Ecole polytechnique.

Mais c’est aussi vers la France que se tournent les activités d’Edgar Poe, selon Salisbury. On dit généralement que Poe n’aurait jamais quitté son pays. Or, Salisbury abonde dans le sens de l’hypothèse d’un voyage de Poe en France, qui aurait été en liaison avec le projet de ces cercles et de leurs amis en France d’amener Lafayette dans une situation de pouvoir.

Lors de la Révolution de Juillet, en 1830, Lafayette refusa finalement d’être porté au pouvoir par cette faction républicaine, se désistant en faveur d’une monarchie constitutionnelle dirigée par Louis Philippe. Mais il continua à défendre les valeurs républicaines, en tant que député, dans les quatre années de crise qui suivirent l’accession de Louis Philippe au pouvoir.

Plaident en faveur de cette hypothèse, les faits suivants. D’abord l’existence d’une lettre d’Alexandre Dumas à un officier de la police italienne, qui évoque l’arrivée chez lui d’un américain dénommé Edgar Poe, qui venait recommandé par James Fenimore Cooper, autre auteur américain connu, actif lui aussi dans les réseaux de la République américaine en France.

Dumas situe l’arrivée de Poe « vers l’année 1832 » et décrit l’auteur en détail, notant entre autres qu’il survit grâce aux seuls 300 francs d’un crédit donné par Jacques Laffitte, un célèbre banquier de l’époque, proche aussi de Lafayette. Dans son célèbre conte, « Meurtres dans la rue Morgue », publié quatre ans plus tard, Poe affuble son « détective », C. Auguste Dupin, au détail près, des mêmes qualités que lui prête la lettre d’Alexandre Dumas.

Par ailleurs, il nous reste une lettre de Poe au commandant Sylvanus Thayer, dirigeant de West Point, peu après son départ de l’académie, lui annonçant « son intention d’aller à Paris, avec l’espoir d’obtenir de Lafayette, un poste (si possible) dans l’armée polonaise » et lui demandant « un certificat » de sa présence à West Point et peut-être même une « lettre » de recommandation « à un ami – ou même au Marquis ».

Quant au détective des contes de Poe, C. Auguste Dupin, pour Salisbury, aucun doute, il ne peut s’agir que de Charles Dupin, un proche de Lazare Carnot à l’Ecole polytechnique, fondateur avec l’Abbé Grégoire du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM). Il faut savoir aussi que l’un des parrains de Poe, le général Scott, s’est rendu à l’Ecole polytechnique à la recherche de nombreuses thèses et recherches qu’il ramena à West Point, qui entretenait avec la France de cette époque une collaboration privilégiée !

Métaphore et politique

Venons-en maintenant à la méthode de composition de Poe. La lecture d’œuvres telles que l’Art du conte, La Philosophie de la composition, La genèse d’un poème, mais aussi de contes tels qu’Eureka et Mellonta Tauta, nous révèlent un Edgar Allan Poe conteur et poète, mais aussi profondément philosophe, dans la même tradition que Jonathan Swift, l’auteur républicain irlandais des Voyages de Gulliver, et, dans l’intention, que notre François Rabelais.

Comme les associations de Lyndon LaRouche et de Jacques Cheminade après lui, Poe rejette avec polémique et humour les méthodes inductive et déductive de pensée, auxquelles il préfère l’imagination créatrice.

Savez-vous, dit-il dans Mellonta Tauta, qu’il n’y a pas plus de mille ans que les métaphysiciens consentirent à débarrasser les gens de la singulière chimère selon laquelle il n’y avait que deux chemins possibles pour atteindre la vérité ! (…) Il apparaît qu’il y a longtemps, très longtemps, dans la nuit des temps, vivait un philosophe turc (ou peut-être hindou) nommé Aries Tottle [Aristote, ndla]. Ce personnage introduisit le premier, ou en tout cas propagea, ce que l’on appela le mode de réflexion déductif ou a priori. Il partait de ce qu’il affirmait être des axiomes ou "vérités évidentes par elles-mêmes", et de là procédait "logiquement" jusqu’aux résultats. Ses plus grands disciples furent un certain Neuclide et un certain Cant [ironie sur Euclide et Kant, ndla]. Eh bien ! Aries Tottle régna sans rival jusqu’à l’avènement d’un certain Hog [Porc en français, pique décochée au philosophe empiriste britannique Francis Bacon] surnommé "le Berger d’Ettrick" et qui prêchait pour un système entièrement différent, qu’il nommait le système a posteriori ou inductif. Son plan se référait entièrement à la sensation. Il procédait par observation, analyse et classification des faits (…) en lois générales. La méthode d’Aries Tottle, en un mot, s’appuyait sur les noumènes ; celle de Hog sur les phénomènes.

Poe s’en prend à ces deux voies, celle des « tortues », tellement le raisonnement déductivo-logique est laborieux, et celle des « escargots », tellement le raisonnement inductif, fondé uniquement sur la perception sensorielle, oblige l’homme à ramper à quatre pattes comme un animal ! « La réflexion a été ôtée aux taupes fouineuses pour être confiée comme mission aux vrais et seuls penseurs, les hommes à l’imagination ardente » et qui font appel à une cohérence métaphysique, dit Poe, mettant dans cette catégorie des hommes tels que Johannes Kepler, qui découvrit les trois grandes lois de l’astronomie, et le grand Champollion qui décrypta les hiéroglyphes égyptiens.

Pourquoi les contes de Poe, comme Une descente dans le Maelström, sont-ils si importants pour nous dans la période actuelle ? Car dans ces contes, dont il stipule qu’ils doivent pouvoir être lus en une seule séance et être écrits de telle sorte que la tension du lecteur ne se relâche un seul instant du début à la fin, Poe nous plonge dans des crises existentielles, où les perceptions sensorielles et les jugements tout faits, les a priori, ne nous sont d’aucun secours, et où seule notre faculté d’imagination et de raison peut nous tirer d’affaire !


Lecture : Une descente dans le Maelström, une nouvelle d’Edgar Allan Poe publié en 1841, traduction de Charles Baudelaire.