De nouveaux yeux pour mieux comprendre le ballet céleste

dimanche 31 mars 2013, par Sébastien Drochon

Photo originale :
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Le passage de l’astéroïde 2012 DA14 à seulement 27000 km de la Terre ainsi que la désintégration d’une autre météorite au dessus de la ville de Tcheliabinsk en Russie le 15 février 2013, furent deux événements certes exceptionnels mais qui nous montrent clairement combien il est impératif que nous améliorions la détection et le calcul des trajectoires de ces objets géocroiseurs voyageant proche de la Terre.

Estimons-nous heureux que par sa petite taille - une quinzaine de mètres environ - la météorite frappant le ciel de Russie n’ait pu traverser l’atmosphère et se soit contentée d’exploser à 20 km d’altitude. Car si sa taille avait été plus conséquente, les dégâts dus à l’impact sur Terre auraient été catastrophiques.

D’un autre coté, il aurait été plus facile de la détecter et de prévenir ainsi de son arrivée. C’est vrai dans un certain sens, mais pas totalement. Car si cette météorite de Tcheliabinsk était en effet trop petite pour qu’on puisse facilement l’observer, il n’en demeure pas moins que sa trajectoire avant impact la rendait de toute façon totalement invisible aux observateurs sur Terre.

Pourquoi ? Tout simplement parce que la météorite nous apparaissait venir du Soleil, en contre-jour, et jusqu’au dernier moment il nous était impossible sur Terre de détecter son approche par des télescopes optiques.

Un gros caillou venant du Soleil ? Voilà bien un objet singulier ! Cela signifierait-il que le Soleil ne nous envoie pas seulement des tempêtes de particules et des bourrasques magnétiques, mais s’amuse à catapulter des morceaux de roches sur notre belle Terre ?

Rassurez-vous, il n’en est rien. Il s’avère seulement que certains astéroïdes géocroiseurs accompagnant le mouvement des planètes se retrouvent à voyager à l’intérieur de l’orbite terrestre et peuvent parfois la croiser en s’éloignant du centre du système solaire. Lorsqu’ils passent ainsi au voisinage de la Terre, ils semblent s’en approcher comme s’ils venaient du Soleil. Ces objets sont donc invisibles sur Terre au moment de leur approche car la présence du Soleil dans le ciel nous empêche totalement de les voir.

C’est comme si un soir d’été, le Soleil se couchant à l’horizon vers l’ouest, vous filiez en voiture tout droit vers le nord et qu’une autre voiture vous dépassait sur la voie de gauche pour se rabattre un peu trop tôt. Cette voiture serait, en s’approchant de vous, en contre-jour, et vous ne pourriez donc pas voir le conducteur imprudent qui la conduit.

Voilà ce qui est arrivé lors de l’impact de la météorite de Tcheliabinsk.

Ceci étant dit, quelques précisions méritent d’être apportées sur ces fameux astéroïdes qui menacent régulièrement de barrer la route à la Terre, et de la percuter sournoisement. Surtout quand cela pourrait s’avérer mortel pour un grand nombre d’êtres humains.

Les différents géocroiseurs sur la piste de danse

Dans le ballet effréné des astres autour du Soleil, quelques danseurs imprudents se permettent donc d’enfreindre les règles de bon voisinage. Ils traversent imprudemment la piste, frôlant ainsi les autres astres et parfois même les percutant. Les géocroiseurs font partie de cette catégorie d’objets qui s’amusent à perturber le ballet céleste au voisinage de la Terre. Cependant, ces derniers n’ont pas tous le même pas de danse. On en distingue en effet quatre types :

Les premiers sont les géocroiseurs qu’on nomme Aten et dont la distance moyenne ainsi que la période de révolution autour du Soleil sont inférieures à celles de la Terre. Cependant, leur orbite, du fait d’une forte excentricité, est plus allongée, et leur distance à l’apogée (distance la plus éloignée du Soleil sur leur orbite) se trouve alors supérieure à la distance du périgée terrestre (distance la plus proche du Soleil sur l’orbite de la Terre). Autrement dit, bien que l’orbite de ce géocroiseur se trouve en grande partie à l’intérieur de l’orbite terrestre, elle la dépasse et la croise dans la zone d’apogée terrestre (Figure 2a).

Les seconds géocroiseurs sont les Apollo. Leur distance moyenne par rapport au Soleil est supérieure à celle de la Terre et leur période de révolution autour du Soleil plus longue, mais leur orbite, là aussi, du fait de leur plus grande excentricité, possède une distance au périgée inférieure à l’apogée terrestre. Ainsi, de même que pour les Aten, leur orbite croise celle de la Terre (Figure 2b).

Les troisièmes sont nommés Amor. Leur orbite est supérieure à celle de la Terre mais inférieure à celle de Mars. Ces géocroiseurs naviguent donc en permanence entre les deux planètes à l’extérieur de l’orbite terrestre. On les classe parmi les géocroiseurs car leur orbite vient frôler celle de la Terre (en moyenne lorsqu’ils passent à moins d’un tiers d’une unité astronomique – une unité astronomique étant la distance Terre – Soleil) et pourraient voir leur trajectoire modifiée à l’occasion (Figure 2c).

Enfin, les quatrièmes géocroiseurs dansant sur la piste du système solaire sont les Apohèle ou IEO (Internal Earth Object – Objet Interne à l’Orbite Terrestre), dont l’orbite est entièrement présente à l’intérieur de l’orbite terrestre mais qui peuvent parfois nous frôler depuis l’intérieur et, de même que les Amor, représenter un danger si jamais leur trajectoire venait à changer (Figure 2d).

Cette image montre comment les différents types d’objets géocroiseurs, à part ceux qui sont de type « Amor », sont difficiles à détecter lorsqu’ils s’approchent de nous de « l’intérieur », c’est-à-dire lorsqu’ils parcourent la partie de leur orbite située à l’intérieur de l’orbite de la Terre autour du Soleil. Ils se trouvent dans ce cas en pleine ligne de mire entre la Terre et le Soleil, et nos instruments sont par conséquent « aveuglés » par ce dernier.

Tous ces danseurs tentent de déstabiliser la valse tranquille que mène la Terre au gré des étoiles mais, en règle générale, et fort heureusement (!), aucun de ces trouble-fêtes ne s’amuse à tourner autour du Soleil dans le sens inverse des planètes. Imaginez, si vous étiez sur le périphérique extérieur de Paris et qu’un bolide se retrouvait à rouler dans le sens inverse du vôtre. Pour ce qui est des géocroiseurs, ce genre de cas n’a jamais été rapporté. Tous respectent cet article impérieux du code de la route planétaire que seules les comètes peuvent parfois transgresser mais, pour ce cas là, j’y reviendrai plus tard. Les astéroïdes, eux, se contentent de changer de voie de manière régulière sans mettre leur clignotant et sans regarder dans leur rétroviseur. Ils demeurent donc un danger tant que nous ne les voyons pas venir et que nous ne sommes pas en mesure de les remettre sur la bonne voie.

L’avantage, c’est que ces géocroiseurs sont assez prévisibles si on sait les détecter à l’avance et calculer avec précision leur trajectoire. Le problème, c’est que dans les conditions actuelles, beaucoup n’ont toujours pas été détectés du fait de leur taille relativement petite, où encore du fait qu’ils appartiennent aux catégories d’astéroïdes (un grand nombre d’Aten et d’Apohèle notamment, ainsi que certains Apollo) que le Soleil nous empêche d’observer depuis la Terre.

Le cas de la météorite de Tcheliabinsk est d’un intérêt certain pour comprendre notre problème actuel et voir comment le résoudre à l’avenir.

La météorite de Tcheliabinsk

À partir des traces laissées par sa désintégration dans l’atmosphère, on a pu déterminer après coup que le météore de Tcheliabinsk était en réalité un géocroiseur de type Apollo provenant de la ceinture d’astéroïdes et qui, après un séjour à l’intérieur de l’orbite terrestre, a rencontré la Terre alors qu’il s’apprêtait à croiser son orbite : un dépassement sur le côté, brutal, sans clignotant, dans l’angle mort et en contre-jour !

S’il avait été d’une taille bien plus importante (plusieurs centaines de mètres de diamètre par exemple) nous aurions certainement pu détecter cet astéroïde, des mois, voire des années à l’avance, à l’aide de télescopes optiques sur Terre ; ceci en raison du fait qu’il naviguait la plupart du temps en dehors de l’orbite terrestre et qu’il était de ce fait un objet plus facilement observable depuis la Terre, comparé à ceux qui se situent en permanence en contre-jour. Du moins c’est ce qu’on aimerait supposer.

Or, on estime aujourd’hui ignorer la position et la trajectoire de plus de 90 % des objets géocroiseurs entre 100 et 300 mètres de diamètre et plus de 99 % des objets de moins de 100 mètres, toutes catégories confondues ! Autrement dit, sans même être aveuglés par la lumière du Soleil, nous ignorons encore l’existence et la trajectoire de nombreux objets capables de provoquer des dégâts à l’échelle de villes voire de régions entières. Rappelons que la météorite tombée en 1908 dans la région sibérienne de Toungouska, dont l’explosion dans l’atmosphère dévasta une zone forestière sur près de 2000 kilomètres carrés, a été estimée à environ 40 m de diamètre.

S’ajoutent à cela les autres géocroiseurs de taille relativement plus importante mais qui demeurent encore totalement inconnus, car situés dans cette région entre la Terre et le Soleil qu’il nous est impossible d’observer depuis la Terre. En cela, on ignore notamment une grande partie de la population des géocroiseurs Apohèle et une partie non négligeable des Aten.

Ainsi, le défi à relever aujourd’hui ne consiste pas uniquement à améliorer notre capacité de détection des petits et moyens objets, mais à se donner la capacité de voir là où nos yeux ne peuvent se diriger quand on observe depuis la Terre.

Au-delà du visible pour mieux voir

A l’heure actuelle, sur les 9450 géocroiseurs qui ont été découverts, seuls 12 sont des Apohèle, alors qu’on estime qu’il en existe plus d’un millier ayant un diamètre de plus de 100 mètres.

Une des solutions retenues pour les détecter serait d’envoyer un télescope sur une orbite équivalente à celle de Vénus. Nous aurions ainsi le point de vue de quelqu’un qui, dos au Soleil, contemplant le ciel d’une nuit vénusienne parsemée d’étoiles, constaterait au fil des nuits que d’autres astres plus petits se meuvent entre la Terre et lui.

Cette idée serait d’autant plus intéressante si notre télescope pouvait, au lieu de détecter la lumière visible des astres, capter les rayonnements infrarouges. En effet, il serait par ce biais d’autant plus facile de déterminer la taille exacte de ces géocroiseurs dont la luminosité dans le spectre visible varie le plus souvent selon la nature (sombre, opaque ou brillante) de leur surface. Un objet sombre et plus gros peut ainsi avoir, pour une distance donnée, un aspect très petit du fait qu’il reflète faiblement la lumière du Soleil, alors qu’un petit objet très brillant peut nous apparaître plus important.

Dans l’infrarouge, l’importance de l’émission de rayonnement dépend essentiellement, une fois déterminée la distance de l’objet, de sa taille et non pas de la nature plus ou moins réfléchissante de sa surface.

Ainsi, nous pourrions détecter et déterminer plus efficacement les trajectoires de ces objets encore inconnus et potentiellement dangereux qui naviguent à l’intérieur de l’orbite terrestre.

Cette idée est celle qui est actuellement retenue par la fondation B612, une fondation américaine à but non lucratif qui prévoit de mettre en orbite vénusienne d’ici 2017-2018 un télescope infrarouge nommé Sentinel. Ce télescope, conforme aux recommandations formulées par le Conseil national de recherches américain (National Research Council) ainsi que le Conseil consultatif de la NASA pour la prochaine phase de détection et de suivi des objets géocroiseurs et dont la réalisation avait été confiée à la Ball Aerospace and Technologies Corporation, sera lancé par une fusée SpaceX Falcon 9.

Le champ de vision du télescope à infrarouge Sentinel

Durant les six années et demie qui suivront sa mise en service, ce télescope devra permettre de découvrir plus de 90 % des objets géocroiseurs d’un diamètre supérieur à 140 mètres et environ 50 % de ceux ayant un diamètre supérieur à 50 mètres. Bien que la Fondation B612 sera propriétaire de l’engin spatial et responsable de son exploitation, la transmission des données se fera par l’intermédiaire du Deep Space Network de la NASA et les trajectoires calculées de ces géocroiseurs seront immédiatement transmises au Centre des planètes mineures, conformément à l’accord Space Act Agreement signé avec la NASA en 2012.

Une autre voie explorées pour la détection d’objets géocroiseurs est celle du projet de microsatellite canadien NEOSSat, lancé le 25 février 2013. Ce satellite orbitant à une altitude de 800 km, une fois opérationnel, aura pour but d’étudier, entre autres, la répartition orbitale, les caractéristiques physiques, la composition et l’historique des objets géocroiseurs. Conçu pour prospecter la région proche du Soleil, il permettra de découvrir efficacement certains astéroïdes Aten qui nous sont encore inconnus.

Comme l’expliquait en effet Detlef Koschny de l’ESA, lors d’un entretien avec le Groupe espace de S&P, « le principal avantage d’être dans l’espace est qu’il n’y a pas de lumière parasite (diffusée un peu partout dans l’atmosphère) venant du Soleil. Avec une préparation appropriée des parois, un télescope spatial peut être pointé sans être aveuglé beaucoup plus proche du Soleil qu’un télescope situé sur Terre, et ainsi trouver des objets qui s’approchent de notre planète depuis l’intérieur de notre orbite autour du Soleil ».

Ainsi, grâce à ces initiatives, nous pourrions retrouver la « vue » et mieux comprendre ce ballet d’objets en tous genres au milieu duquel nous naviguons.

Le futur plus lointain

Cependant, il nous restera encore à traiter le problème plus difficile des comètes. En comparant notre circuit terrestre au périphérique entourant Paris,, ces bolides ne seraient plus de simples conducteurs maladroits qui nous accompagneraient sur la voie et nous mettraient en danger en se rabattant trop brusquement suite à un dépassement, mais des chauffards capables de voler dans toutes les directions et même susceptibles de circuler en sens inverse !

A ce stade-ci, comprendre l’origine et la nature de ces comètes est un défi à relever pour l’avenir. Pour cela, notre nouvelle sentinelle devra être la planète Mars, un poste d’observation (et peut-être même un jour d’intervention) avancé aux portes de la zone intérieure du système solaire. Nous pourrons en effet y établir, sur sa surface ou bien en orbite autour d’elle, divers instruments d’observation, explorer ainsi plus librement les régions reculées du système solaire et nous donner les moyens de comprendre plus en profondeur les principes qui régissent comme un tout dynamique, plutôt qu’une simple somme d’interactions mécaniques entre des paires d’objets, la ceinture d’astéroïdes à proximité de l’orbite martienne.

C’est en nous munissant de nouveaux yeux, pour voir au-delà de notre horizon terrestre, que les conditions d’une action efficace contre les dangers qui nous menacent jusqu’au confins du système solaire pourront ainsi être créées.