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LIBORGATE : Geithner reconnaît avoir "roulé" pour les banques

28 juillet 2012, 17:11, par Eric

En guise de conclusion, Eric Laurent (*) dressent un portrait encombrant d’un système voué au gigantisme dans le domaine de l’escroquerie financière.

« Le cynisme et l’avidité sans limites - et sans entraves - du secteur financier ne découlent pas d’une perte d’éthique mais d’une absence totale de morale et de principes. Un comportement d’une grande permanence si l’on se réfère aux crises survenues auparavant. Au cours de mes enquêtes précédentes, j’avais été frappé par la véritable amoralité foncière du monde des affaires. Mais en approchant, pour ce livre, les rivages de la finance, j’ai découvert bien pis : une communauté à l’influence disproportionnée qui agit avec un mépris absolu de l’intérêt général. Aussi arrogante qu’une caste supérieure, elle fonctionne dans le secret et l’opacité, certaine de son impunité. Il s’agit également d’un monde empreint de lâcheté. Durant mon enquête, j’ai sollicité des entretiens avec tous les responsables financiers dont les agissements sont à l’origine de la crise. Pratiquement aucun n’a eu le courage de répondre ... de ses actes.

En septembre 2009, alors que je mets un point final à ce livre, je suis frappé par l’ampleur du décalage entre les propos des dirigeants politiques et les pratiques actuelles du monde financier. A quelques jours du sommet du G20, à Pittsburgh, les chefs d’Etat et de gouvernement continuent au fond d’évoquer la construction d’une nouvelle ligne Maginot alors même que les acteurs financiers l’ont depuis longtemps contournée.

Les discussions entre Etats s’enlisent, s’éternisent, tandis que la spéculation a repris de plus belle, pratiquée par les établissements à l’origine un an plus tôt de l’effondrement des marchés puis de la crise économique. Ils disposent désormais de deux nouvelles bottes secrètes : les « transactions à haute fréquence » et les « flash orders ». Les « transactions à haute fréquence » reposent sur la vitesse d’ordinateurs toujours plus puissants dans lesquels sont intégrés des programmes d’achat et de vente dont la rapidité est de l’ordre de la milliseconde. Selon Yves Eudes, ces « superordinateurs scannent des dizaines de plateformes en quelques millisecondes pour détecter les tendances du marché, puis passent des ordres à la vitesse de la lumière, laissant sur place les investisseurs traditionnels, beaucoup plus lents. Ils peuvent ainsi détecter le cours plafond fixé par un acheteur. Aussitôt, ils raflent toutes les actions disponibles avant que l’acheteur ait eu le temps d’agir et les lui revendent plus cher, généralement au cours maximal. »

Banques, sociétés financières et places boursières travaillent en étroite coopération pour favoriser ce type de pratiques extrêmement lucratives ; les profits annuels se chiffrent en milliards de dollars et les traders capables de concevoir ou d’appliquer ces programmes font l’objet de véritables ponts d’or. Les politiques encore une fois agissent à courte vue : limiter les bonus indécents est souhaitable mais les traders ne sont pas responsables de la crise actuelle, ils ne font qu’appliquer les stratégies mises en place par les dirigeants des établissements où ils opèrent.

La réactivité et la rapidité de mouvement du secteur financier lui confèrent toujours plusieurs coups d’avance sur les politiques. Il échappe jusqu’ici aux sanctions parce qu’il déjoue les contrôles. Allant même jusqu’à développer de nouvelles pratiques qui relèvent de l’illégalité. Le « flash order », cette autre botte secrète, en est un exemple. Il s’agit pour des plateformes financières, et même des Bourses comme le Nasdaq ou le Chicago Board Options Exchange, de laisser des clients privilégiés consulter les ordres portant sur des titres, une fraction de seconde avant qu’ils soient rendus publics ; ce qui leur assure un avantage décisif.
Aucun cas de conscience bien sûr pour les opérateurs qui se livrent, grâce à l’arme électronique, au « délit d’initié »
.

Andrew Haldane, directeur exécutif de la Banque centrale d’Angleterre, chargé de la stabilité financière, a publié il y a quelques mois une étude qui évalue l’ampleur du désastre survenu en 2008. Il souligne, à propos de la spéculation sur les crédits dérivés, que très peu de banques avaient conscience de la gravité des risques qu’ils faisaient courir à leur établissement et au reste de la société. C’est toujours le cas aujourd’hui. Alors même que des millions de personnes continuent de payer au prix fort, dans leur vie quotidienne et professionnelle, les effets de la crise, les acteurs financiers sont en train d’élaborer les ingrédients du prochain désastre. Avec toujours la responsabilité écrasante des autorités de régulation, passives et parfois complices face à ces dérives.

Je considère qu’ un secteur financier adapté et efficace est celui qui répond aux besoins du secteur économique et de la société. Ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui. La période de crédit abondant que nous avons traversée n’a enrichi que les financiers et n’a jamais bénéficié à l’investissement productif.
Une réforme en profondeur du système financier et une redéfinition de ses règles du jeu s’imposeraient, mais je crains qu’une telle initiative ne soit malaisée en Europe et encore plus aux Etats-Unis. Le secteur bancaire est un pouvoir important et influent dans les pays européens ; outre-Atlantique, comme je crois l’avoir montré dans ce livre, il est devenu l’essence même du pouvoir, un monde où financiers et politiques évoluent, liés par la même consanguinité . »

Eric Laurent.

(*) auteur de « La face cachée des banques, scandales et révélations sur les milieux financiers ».

PS : En tant qu’auteur de ce message, je ne connais pas personnellement l’auteur du livre cité.

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