Marchons dans les pas de Louis Pasteur

vendredi 22 avril 2016

[sommaire]

Voici un résumé des interventions de Sébastien Drochon et d’Agnès Farkas, lors des journées de formation de Solidarité & Progrès, les 19 et 20 mars 2016 à Paris.

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Pourquoi revenir sur Louis Pasteur ? Avec les vaccins et l’asepsie, la microbiologie en général, il a contribué à une croissance extraordinaire de l’humanité. Il faut le réaffirmer, car face à l’éclosion récente des idéologies anti-progrès, la polio, la rougeole, la diphtérie reviennent. Mais c’est aussi au niveau de la vie, domaine qui nous habite au point d’envoyer sonde sur sonde vers les planètes et les comètes pour y trouver des indices de nos origines, que Pasteur a fait des découvertes essentielles. La sonde Exomars 2018 emportera d’ailleurs avec elle, sous le nom de Pasteur, des instruments dédiés à la recherche de molécules organiques. Retrouvons donc l’ambition de développer beaucoup de nouveaux Pasteur en France.

Le défi lancé par Vernadski

Par Sébastien Drochon,
militant S&P

Si Pasteur sut observer la vie, ce ne fut pas seulement à travers son microscope, mais avant tout à travers son propre esprit ; celui d’un être créateur capable d’explorer le vaste champ des principes physiques universels, et plus particulièrement celui du vivant.

Cet aspect de la pensée de Pasteur, le biogéochimiste russe Vladimir Vernadski (1863-1945) l’avait fort bien compris. En 1930, dans un essai intitulé L’étude de la vie et la nouvelle physique, il affirmait qu’il fallait refonder totalement notre physique et redéfinir la majeure partie des lois connues de notre univers en y intégrant le principe de la vie. D’après Vernadski, redécouvrir Pasteur était essentiel car sa toute première découverte, celle du principe de dissymétrie du vivant, offrait des perspectives dépassant largement le cadre des connaissances de son siècle tout en définissant les défis du siècle suivant.

Le paradoxe et l’hypothèse

L’intuition, inspirée par la passion créatrice, c’est ce qui guide Pasteur lorsqu’en 1844, encore étudiant à l’Ecole normale de Paris, il tombe sur une note du physicien allemand Eilhard Mitscherlich. On peut y lire que deux substances, l’acide tartrique (issu du jus de raisin) et l’acide paratartrique (produit en laboratoire), bien que possédant absolument la même composition chimique, la même forme cristalline, avec les mêmes angles et les mêmes poids spécifiques, en solution cependant, la première de ces substances a la propriété d’agir sur la lumière polarisée alors que la seconde est indifférente.

Ainsi, deux substances chimiquement identiques semblent ne pas être les mêmes. Une nouvelle propriété optique dont on avait peu tenu compte jusque-là, celle d’agir sur la lumière polarisée en déviant vers la gauche ou vers la droite certaines propriétés spécifiques du rayon lumineux, met ainsi en évidence une contradiction de taille. Les premiers matériaux révélant cette propriété sont des cristaux de quartz. Mais, chose étonnante, une fois broyés ou dissous en solution, ils deviennent inactifs. Par contre, il existe d’autres composés chimiques qui, une fois en solution, agissent de même sur la lumière. Ces substances dites « actives » se trouvent être principalement des produits organiques dissous, des sucres tels que le saccharose, le glucose, ainsi que notre acide tartrique issu du jus de raisin, et mentionné dans la note de Mitscherlich.

Pasteur pense alors que les propriétés optiques de ces substances proviennent de leurs éléments constitutifs simples, leurs molécules flottant en solution. Ainsi, si les acides tartrique et paratartrique comportent les mêmes propriétés chimiques, mais diffèrent quant à leur action sur la lumière (le tartrique déviant à droite et le paratartrique demeurant inactif), cela provient forcément d’une différence dans la structure physique de leurs molécules respectives. Or, comment prouver cette audacieuse hypothèse à une époque où l’on n’a pas les moyens d’observer une supposée molécule ?

L’expérience cruciale

Pour cela, Pasteur a l’idée de cristalliser ces substances et de comparer la forme de leurs cristaux. Si leurs molécules accusent une différence de structure, cette différence doit, selon lui, apparaître sous la forme d’une anomalie cristalline dite hémiédrie. Cette hémiédrie se manifeste lorsque la structure géométrique des cristaux perd la moitié de ses éléments de symétrie. Plus généralement, quand une chaise perd ses deux pieds droits sur les quatre (la moitié de ses éléments de symétrie), elle est dite hémiédrique. La même chose prévaut pour tous types de cristaux avec leurs géométries variables.

Pasteur, donc, qui suppose que l’acide tartrique actif va former des cristaux hémiédriques tandis que le paratartrique inactif formera des cristaux entiers, s’empresse d’observer leurs structures cristallines. Satisfait de voir que les cristaux d’acide tartrique sont en effet hémiédriques, quelle n’est pas sa surprise en constatant que ceux de l’acide paratartrique le sont aussi ! Toute sa théorie s’effondre ! Il a alors l’idée d’observer ces petits cristaux suivant un angle de vue particulier, et là, une chose extraordinaire lui apparaît ! « Dans le champ de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits avertis », affirmait-il lui-même. Là où les cristaux d’acide tartrique possèdent uniquement une hémiédrie dite droite, les cristaux d’acide paratartrique, eux, possèdent une hémiédrie soit gauche, soit droite !

Autrement dit, on observe d’un côté des chaises ayant uniquement perdu leurs deux pieds droits (hémiédrie droite), et de l’autre, aussi bien des chaises dépourvues de pieds droits que de pieds gauches (hémiédrie droite et gauche). Or, ces deux formes hémiédriques sont en réalité des formes « énantiomères », images l’une de l’autre dans un miroir, telles la main droite et la main gauche dont les formes ne sont pas superposables.

Ainsi, l’acide tartrique actif ne possède que des cristaux énantiomères droits alors que l’acide paratartrique inactif contient autant de gauches que de droits. Cette observation heureuse fait tout de suite imaginer à Pasteur une expérience pour consolider sa théorie. Pour lui, il doit y avoir compensation des molécules gauches sur les molécules droites dans leur action de déviation sur la lumière.

Autrement dit, en séparant les cristaux gauches et droits du paratartrique pour les dissoudre séparément, et en vérifiant l’action sur la lumière de chacune des solutions, on devrait observer une déviation à gauche pour la première, capable de compenser la déviation à droite de la seconde, expliquant ainsi le caractère inactif du paratartrique. Faisant cela, Pasteur voit que la solution de cristaux gauches dissous dévie bien à gauche et ce, avec la même intensité que la déviation à droite ! La preuve est donc faite ! Et par celle-ci, fut apportée aux hommes une des plus belles découvertes du XIXe siècle.

Le principe de dissymétrie

Deux cristaux présentant une hémiédrie, l’un à droite, l’autre à gauche. En constatant l’existence de formes géométriques spécifiques, Pasteur identifie l’asymétrie comme marqueur du vivant.

Pourquoi cette découverte est-elle donc si cruciale ? D’une part, parce qu’en distinguant les substances actives des substances inactives, Pasteur met au point un procédé original capable de caractériser la structure moléculaire des produits chimiques, alors même que ces molécules ne sont pas observables. Mais plus important encore, il démontre que les substances actives qualifiées de « dissymétriques » (car elles ne comportent en excédent qu’un énantiomère droit, ou gauche) proviennent uniquement de processus vivants, tandis toute substance inorganique issue d’un procédé artificiel en laboratoire ne présente jamais de dissymétrie.

Ainsi, l’acide tartrique issu du jus de raisin diffère du paratartrique obtenu en laboratoire. Par sa découverte, Pasteur révèle ainsi une distinction fondamentale existant entre le règne du vivant et celui du non vivant, en établissant ce principe de dissymétrie dont Vernadski se faisait l’écho en 1930, à savoir qu’une substance dissymétrique active ne peut provenir que d’un processus dissymétrique, identifié ici comme la vie.

Par ce principe, Pasteur démontrera que les phénomènes de fermentation et de putréfaction produisant des substances chimiques actives et dissymétriques, doivent nécessairement provenir de processus vivants encore invisibles, et non pas de phénomènes inorganiques, comme la théorie dominante de génération spontanée l’affirme à l’époque. C’est par cette voie que l’existence des micro-organismes pourra être prouvée. La suite, nous la connaissons.

A nos futurs chercheurs

Cependant, la découverte du principe de dissymétrie par Pasteur questionne encore. Pourquoi la vie choisit-elle un gauche plutôt qu’un droit ? Pourquoi distinguer entre deux molécules possédant les mêmes propriétés dans la chimie inorganique ordinaire ? Derrière cette question – Vernadski en était persuadé – se cachent les défis de la science à venir, défis que nos futurs chercheurs devront relever, avec beaucoup de travail, de curiosité, et pour le plus grand bonheur de Pasteur lui-même.

La génération spontanée : histoire d’une théorie persistante

Par Agnès Farkas,
militante S&P

Que serions-nous sans Aristote ? C’est une question qui doit être posée même au siècle de l’exploration spatiale.

Rassemblant les croyances et les idées reçues de l’Antiquité, Aristote (384-322 av. J.-C.) invente la théorie d’une génération sans parents, qui traversera les siècles jusqu’à nos jours.

Les animaux et les plantes sont issus de la terre et du liquide parce qu’il y a de l’eau dans la terre et de l’air dans l’eau, et dans tout air il y a de la chaleur vitale ; en un sens toute chose est ainsi pleine d’âme. De la sorte, les choses vivantes se forment rapidement quand cet air et cette chaleur vitale sont enfermés dans quelque chose. Quand ils sont très comprimés, le liquide corporel est chauffé, et il se produit comme une bulle mousseuse. La différence selon laquelle nous pourrons évaluer si le genre est plus ou moins honorable, est déterminée par l’organisation du principe vital dans l’enceinte. Et tant les lieux de développement que le matériel enfermé sont des causes de cette organisation. (De la génération des animaux)

Il y a donc une génération sans parents honorable, celle des hommes et des animaux supérieurs, et une autre moins honorable. Pour la première : la femelle sert de réceptacle produisant la chaleur, l’humidité. Le mâle lui porte une secousse qui agite l’espèce de boue mousseuse qu’elle contient, provoquant la génération spontanée d’enfant ; comme lorsqu’on agite de la vase, il en sort des vers, des grenouilles ou des scorpions dans la deuxième génération.

Ne cherchez pas ici de preuve expérimentale :

Car le principe, c’est le fait, et si ce fait nous apparaît avec une évidence suffisante, nous n’en aurons nul besoin d’en savoir le pourquoi. (L’Ethique à Nicomaque)

Quelques successeurs et leurs contradicteurs

Bien que la liste des hétérogénistes soit longue, nous limiterons notre attention à quelques individus marquants de l’histoire et à leurs contradicteurs.

  • Un médecin flamand, Jean-Baptiste Van Helmont (1579-1644), entasse dans des récipients du froment et du linge imprégné de sueur humaine qu’il laisse incuber pendant 21 jours et voit apparaître des souris. En 1668, un médecin italien, Francesco Redi (1729-1799), met à mal la théorie de l’abiogenèse de « gros animaux ». Par une expérience simple, il démontre que l’apparition d’asticots ne se fait pas dans des bocaux où la viande est en putréfaction si on prend la précaution de les recouvrir d’une mousseline.
  • En 1674, un drapier d’Amsterdam, Antonie van Leeuwenhoek (1632-1723), un correspondant de Leibniz, invente l’ancêtre du microscope et observe les premiers micro-organismes. Dès lors, les opposants restreindront leur domaine d’influence au monde des « petits animaux ». Parmi eux, le botaniste Georges-Louis Buffon (1707-1788) soutient son ami John Needham (1713-1781), un prêtre catholique anglais qui, comme lui, croit en l’existence d’une force végétative qui survit à la mort des végétaux et des animaux. Présente, sans se développer, dans l’animal vivant, elle se libère dès la mort de celui-ci et réorganise en quelque sorte la matière. Needham ébouillante différents milieux organiques dans des fioles hermétiquement closes, qui pullulent de micro-organismes après quelques jours !
  • En 1768, l’abbé italien Lazzaro Spallanzani (1729-1799) reprend les expériences de Needham en portant les solutions de germes à des températures plus élevées et à une ébullition prolongée : détruisant les micro-organismes, il stérilise le contenu des fioles scellées. En 1800, le cuisinier Nicolas Appert réalise les premières conserves d’aliments. Les hétérogénistes les accusent d’avoir changé la nature de l’air car depuis les découvertes faites par Antoine Lavoisier (1743-1794) sur les composants chimiques de l’air et de l’eau, les hétérogénistes soutiennent que les micro-organismes naissent d’une organisation des molécules chimiques.

Controverse avec Pouchet : hétérogénie ou preuve expérimentale

Entre 1859 et 1865, une vive controverse oppose le chimiste Louis Pasteur (1822-1895) au botaniste Félix Pouchet (1800-1872). Pour Pasteur, le vivant naît du vivant et non de la matière inerte, comme le prouvent ses expériences sur la cristallographie et les fermentations. Il demande plus de rigueur aux expérimentateurs :

[Pour eux] l’expérimentation n’est que la simple observation des choses et l’induction qui conclut, plus ou moins légitimement, de ce qui a été à ce qui pourrait être. La vraie méthode expérimentale va jusqu’à la preuve sans réplique.

En 1842, les travaux de Pouchet sur la fécondation des espèces supérieures le portent à conclure à la spontanéité de l’ovulation. Tout naturellement, les êtres inférieurs sans organe reproducteur (animalcules) possèdent leur forme d’engendrement spontané. Dans Hétérogénie ou traité de la génération spontanée (1859), il démontre qu’en se décomposant, les corps organisés dissocient leurs molécules organiques pour constituer un nouvel être. Pouchet observe sur ses infusions un voile formé de débris de cadavres d’animalcules qu’il nomme pellicule proligère. Une sorte d’ovaire improvisé engendrant des êtres vivants qui, par « leur petitesse, les dérobent à toute investigation ».

Pasteur donne la preuve expérimentale « rigoureuse » qu’il n’y a pas de génération spontanée. Dans son expérience, il utilise un ballon en « col de cygne » qui laisse passer l’air mais pas les germes. Avec ce dispositif il n’y a plus de contamination par les germes du bouillon initial, et ce dernier reste alors stérile. Résultat : on n’observe aucune génération spontanée.

Pasteur soutient que ces êtres vivants ont été apportés par des germes suspendus dans l’air. Il en donne la preuve expérimentale : il met une suspension de levure de bière chauffée dans un ballon qu’il étire en « col de cygne » de telle manière que l’air puisse passer mais pas les germes, qui restent « coincés » dans le coude du col. Avec ce dispositif, il n’observe aucune génération spontanée.

En 1860, voulant récompenser « celui qui, par des expériences bien faites, jettera un jour nouveau sur la question des générations dites spontanées », l’Académie des sciences invite les deux hommes à débattre publiquement. Pasteur sortira vainqueur d’un premier débat.

Obstiné, Pouchet ne veut pas céder. Dans une infusion de foin placée dans un ballon rempli d’eau préalablement ébouillantée, il observe au microscope l’apparition au bout de quelques jours de multiples micro-organismes, « production d’un être organisé nouveau, dénué de parents, et dont tous les éléments primordiaux ont été tirés de la matière ambiante ». Pour preuve, il soumet le foin avant infusion à un chauffage de 30 minutes à 100°C et stoppe l’air entrant par un filtre à mercure.

Mais le 7 avril 1864, à la Sorbonne, Pasteur donne un cours où il montre, en le chauffant préalablement, que le mercure, que Pouchet croyait stérile, apporte dans ses infusions les germes de micro-organismes. Finalement, Pouchet, jugeant sa défaite assurée, renonce à présenter ses travaux à la commission et l’Académie conclut à l’inexistence de la génération spontanée.

Les travaux sur les germes mènent Pasteur à la recherche sur les maladies et à la découverte des microbes et des vaccins. Ses travaux sur l’asepsie transformeront définitivement le monde de la médecine hospitalière.

Retrouver l’esprit de Pasteur au XXIe siècle

Les théories ont la vie dure. Au début du XXe siècle, un biochimiste soviétique, Alexandre Oparine (1894-1980), invente une sorte de génération spontanée, mais qui intervient sur une période de temps très longue : une nouvelle théorie de l’origine de la vie, basée sur l’existence d’une chimie organique prébiotique.

Dans une « atmosphère terrestre primitive riche en méthane et ammoniaque », où des molécules chimiques se combinent grâce aux éclairs orageux secouant la troposphère terrestre, il imagine ces composés allant se dissoudre dans les océans en formant une soupe primitive, donnant naissance à des molécules comme des acides aminés... Ces « briques du vivant » s’assemblent entre elles pour former les macromolécules (protéines et acides nucléiques) constitutives des cellules vivantes.

En 1953, un étudiant américain, Stanley Miller, expérimente en laboratoire les théories d’Oparine. Il mélange dans un ballon de l’hydrogène, du méthane, de l’ammoniac et de la vapeur d’eau et soumet son modèle de terre primitive à des décharges électriques. Il produit ainsi une petite quantité d’acides aminés. Rien de concret n’est arrivé depuis…

Encore aujourd’hui, les théories d’Aristote sont ainsi faites qu’elles poussent au mysticisme et à la paresse intellectuelle, en bloquant l’esprit créatif de nos meilleurs chercheurs. Pour conclure, donnons la parole à Pasteur (extrait d’un discours donné à une soirée scientifique de la Sorbonne, en 1864) :

Pensez-vous que d’un côté il y ait seulement des poètes, des romanciers, des savants à systèmes ; de l’autre, des gens prudents qui ne veulent croire qu’aux résultats de l’expérience ? Non, non ; Dieu merci, nous sommes plus avancés que cela ; la philosophie des sciences est plus avant que cela dans nos mœurs, dans nos habitudes de penser, et des deux côtés personne ne veut croire qu’à l’expérience.

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