Tribune de 15 économistes franco-allemands : Et ils sautèrent comme des cabris...

mardi 3 octobre 2017

Comme le coyote de Tex Avery continuant de courir au-dessus du vide à la poursuite de Bip Bip, un groupe d’éminents économistes vient de lancer un appel insistant pour plus de fédéralisme européen, comme si les élections allemandes, qui viennent de porter un coup fatal aux velléités européennes, n’avaient pas eu lieu.

En effet, avec le pire résultat de la CDU depuis 1945, Angela Merkel est en position de faiblesse, contrainte d’envisager de former un gouvernement avec les libéraux du FDP, dont le dirigeant Christian Lindner a prévenu qu’il s’opposerait farouchement au projet de budget de la zone euro prôné par Emmanuel Macron. Lindner va sans doute prendre le poste de ministre de l’Économie, remplaçant Wolfgang Schaüble, qui constituait dans le gouvernement allemand le principal point d’appui pour Macron et les européistes.

La tribune, intitulée « La France et l’Allemagne doivent viser davantage qu’un mini-compromis », a été publiée le 27 septembre dans le journal Le Monde et dans le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeintung par 15 économistes français et allemands, dont les dirigeants des deux principaux think tanks économiques allemands (les instituts DIW et IFO) et Jean Pisany-Ferry, conseiller économique du président Macron. Tout en se réjouissant de constater une reprise « bien ancrée », ils se disent « néanmoins inquiets car, en l’absence de réformes profondes, la zone euro reste fragile. (…) Un nouvelle crise majeure à moyen terme n’est pas à exclure ».

Éludant totalement les causes de la crise de 2008 – les opérations spéculatives des banques, qui n’ont pas cessé depuis – les 15 économistes mettent en garde contre une crise des dettes souveraines menaçant de plonger « mécaniquement le système financier, et donc l’économie tout entière, dans de grosses difficultés ». Et oui, c’est bien connu : les investisseurs privés et autres acteurs des marchés financiers sont des gens éclairés agissant pour le bien de la communauté universelle, tandis que les États, soumis à l’influence néfaste des peuples et donc aux forces égoïstes, ne parviennent pas à mener la bonne politique, c’est-à-dire à appliquer « les règles budgétaires » (expression revenant cinq fois dans la tribune).

« L’Allemagne doit accepter l’idée d’un partage supplémentaire des risques macroéconomiques au sein de la zone euro », écrivent-ils, « tout en insistant pour que cela ne réduise pas les incitations de chaque État membre à respecter les règles, et que cela renforce la crédibilité des deux règles de non-renflouement : d’un État en difficulté par les autres, d’une part ; des actionnaires d’une banque en difficulté par les contribuables, d’autre part. » Autrement dit : parce que nous sommes des gens éclairés, nous devons garantir que les contribuables n’auront plus à payer pour la faillite des banques. Mais ce que ces économistes ne disent pas, et qu’ils ne peuvent ignorer, c’est qu’il est bien prévu de faire payer les épargnants, par la saisie des obligations, divers fonds de placement et des dépôts pour renflouer la banque (bail-in).

A l’heure où les premiers frémissements du « tsunami financier » se font ressentir, l’initiative de ces économistes est révélatrice de la volonté des pouvoirs établis d’occuper le terrain, de peur qu’un débat n’émerge sur une véritable refonte du système financier transatlantique. En effet, les dirigeants de la Deutsche Bank viennent de jeter un froid en déclarant début septembre que la politique d’ « assouplissement monétaire » des banques centrales (et en particulier de la BCE qui injecte 60 milliards d’euros par mois dans les marchés) avait fait gonfler des bulles « touchant même des secteurs inattendus des marchés financiers », créant des problèmes sociaux dans les pays de la zone euro, et alimentant les « populismes de droite ». Si les financiers eux-mêmes commencent à mettre à mal le mythe de la bonne « discipline des marchés » (expression revenant six fois dans la tribune) et des vertus des banques centrales, alors rien ne va plus !

Heureusement, un jour on pourra dire : « les cabris, c’est fini ! »