La fusion nucléaire, seule option pour des vols habités vers Mars

samedi 7 octobre 2017, par Benoit Odille

Nous dédions cet article aux victimes de l’ouragan Harvey qui a touché le Texas récemment, et de l’ouragan Irma qui a touché les Antilles peu de temps après.

par Joel DeJean

Lorsqu’on évoque aujourd’hui un voyage habité vers Mars, on pense inexorablement à une bande de cow-boys, coincés dans une boîte de sardines pendant huit mois, partant à l’assaut d’une planète hostile où ils feront tant bien que mal leur trou pour tenter de survivre mais qui finiront sans doute par mourir sur place. Un projet inutile en somme.

C’est malheureusement le projet de soi-disant « visionnaires » comme l’américain Elon Musk ou l’entreprise de télé-réalité Mars One, qui entretiennent une illusion romantique sur l’exploration de l’espace. Et c’est malheureusement ce qui arrive quand on confond son rêve de gosse avec les contraintes de la réalité.

Cet article tente de montrer qu’il est possible de répondre à ce rêve à condition de s’en donner réellement les moyens par une stratégie scientifique rigoureuse qui nécessite des bonds en avant technologiques et des découvertes de nouveaux principes.

Il est basé sur une présentation donnée par Joel DeJean, un membre du mouvement politique américain de Lyndon LaRouche (LaRouche PAC), spécialisé dans les questions spatiales, lors d’un atelier de formation organisé à Houston, en juin 2017. Il fut introduit par Kesha Rogers, une militante du LPAC plusieurs fois candidate investie du parti démocrate pour le poste de député à Houston, qui s’est battue pour sauver la NASA du démantèlement opéré par Obama. Elle souligna que le sujet n’est pas seulement la technologie de la fusion nucléaire en tant que telle, mais le développement de la fusion pour enclencher un progrès de l’humanité.

Actuellement, des avancées considérables ont lieu et cela pourrait très vite placer la coopération États-Unis/Chine, autour de la Nouvelle Route de la soie, à un niveau supérieur. La coopération spatiale est une voie à suivre pour développer les moyens de la fusion nucléaire, qui servira ensuite à augmenter l’énergie disponible pour l’humanité.

Cette présentation s’appuie sur les derniers résultats de la recherche expérimentale américaine, notamment celles du Dr Michael Paluzsek de l’Université de Princeton (New Jersey).

Ses idées ne sont pas celles d’un doux rêveur mais celles d’un scientifique chevronné, habitué aux contraintes de la réalité physique, qui cherche à les surpasser. Selon lui, la propulsion par fusion est à la portée des agences spatiales du monde entier...et de l’humanité !

D’ailleurs, il n’est pas le seul car on sait que la Russie va développer pour 2018 son prototype de moteur spatial nucléaire à fission (c’est-à-dire la technologie juste en-dessous de la fusion) avec son agence Rosatom, tandis que la NASA finance également ce type de recherche. L’Europe ferait donc bien de passer la quatrième vitesse pour ne pas finir dans un trou noir de l’Histoire !

Joel DeJean : Il y a quelques semaines nous avons fait une téléconférence sur le thème de la « Route de la soie Spatiale » et nous avons discuté de quelques uns des derniers développements sur la façon d’atteindre l’orbite basse de la Terre.

Brian Lantz [un autre expert participant, ndt] a également discuté certains développements autour de la propulsion thermique nucléaire – des moteurs de fusée basés sur la fission nucléaire qui pourraient être utiles pour aller de l’orbite basse de la Terre jusqu’à la Lune.

Puis Kesha Rogers m’a envoyé un lien vers un article à propos d’un concept récent de moteur à fusion nucléaire pour aller vers Mars, un moteur de la taille d’un réfrigérateur, et Megan Beets [une membre du LaRouche PAC, ndt] a trouvé un autre article sur la question.

J’ai appelé le Dr Michael Paluzsek, le président de la division « Systèmes Satellites » de Princeton, qui a développé cette proposition il y a quelques années, et il m’a envoyé la proposition elle-même. Son équipe propose un vol habité vers Mars, utilisant ce qu’ils appellent un moteur Direct Fusion Drive (DFD) (Propulsion à Fusion Dirigée, ndt) (Fig. 1).

Fig. 1 : Illustration du moteur « Direct Fusion Drive » et de ses principaux composants.

Ce moteur permettrait, à l’avenir, d’accomplir un aller-retour en à peu près 310 jours, alors qu’aujourd’hui un aller simple vers Mars prend entre 6 à 9 mois.

Avant d’en venir à la proposition, je suis sûr que vous vous rappelez tous que Curiosity [le robot de la NASA actuellement sur Mars, ndt], qui fonctionne toujours, a quitté l’orbite terrestre le 26 novembre 2011, à l’aide d’un moteur à propulsion chimique, et a atterri sur Mars le 6 août 2012.

Donc ça lui a pris plus de huit mois pour aller de la Terre à Mars – huit mois ! Pendant son voyage, l’équipe scientifique a reçu les mesures effectuées par les instruments à bord sur la quantité de radiation cosmique qu’un voyageur de l’espace subirait pendant son trajet de huit mois vers Mars.

Il s’avère que cela équivaudrait à la dose reçue par quelqu’un qui effectuerait un scanner chaque semaine pendant un an. Combinez ça avec l’atrophie des muscles engendrée par l’absence de gravité. Si vous décidiez d’envoyer un équipage vers Mars avec une propulsion chimique, vous finiriez probablement avec un équipage mort, avant même qu’il n’atteigne l’orbite de Mars. Ou alors, au mieux, le temps qu’ils atteignent l’orbite de Mars ils ne seraient pas très opérationnels.

Ce qui a piqué mon intérêt dans le concept du DFD ce n’est pas seulement qu’il utilise un confinement magnétique compact, mais qu’il utilise également comme carburant la combinaison du deutérium et de l’hélium-3.

Pourquoi la fusion ? Pourquoi ne pas utiliser plutôt des moteurs à propulsion chimique plus efficaces ? Ou pourquoi ne pas utiliser des moteurs thermiques nucléaires, où un cœur à fission nucléaire chauffe un gaz qui est expulsé pour propulser l’engin spatial ?

Eh bien, le moteur chimique le plus efficace que nous avons utilise la réaction de l’hydrogène gazeux avec l’oxygène, H2 + O2, qui donne de l’eau, H2O. Cette réaction libère 8 électron-volts d’énergie [unité de mesure adaptée aux réactions chimiques, ndt]. Bien, maintenant la fusion c’est ce qui se passe dans le Soleil – et nous avons déjà expérimenté la fusion sur Terre avec la bombe H ; ce que l’on cherche c’est à contrôler la fusion, pour pouvoir contrôler la libération d’énergie.

Fig. 2a : La réaction de fusion entre le Deutérium (D) et l’Hélium-3 (He3) produit de l’Hélium-4 (He4), un proton (H) et 18 Méga-electronvolts (MeV) d’énergie sous forme de chaleur.

Dans ce cas, on utilise un isotope de l’hydrogène, appelé le deutérium, qui a un proton et un neutron, au lieu d’avoir seulement un proton. Avec ça, on utilise un isotope de l’hélium, appelé l’hélium-3. L’hélium « normal » c’est l’hélium-4, qui a deux protons et deux neutrons, mais l’hélium-3 a deux protons et un seul neutron. On veut fusionner ces deux atomes.

Pour les fusionner, on a besoin d’une température élevée, et on a besoin d’une certaine densité de ce que l’on appelle le plasma – on va y revenir – et on a besoin de suffisamment de temps sous ces conditions pour que ces éléments fusionnent, créant un nouvel élément – de l’hélium-4 et un proton (Fig. 2a).

Fig. 2b : A la différence de la réaction de fusion D-He3, la réaction entre le Deutérium (D) et le Tritium (T) produit de l’Hélium-4, de l’énergie et un neutron (sans charge électrique).

L’énergie libérée par cette réaction de fusion, appelée réaction D-He3 ou deutérium-hélium-3, est égale à 18 millions d’électron-volts.

Donc, pour résumer, dans les réactions chimiques et de fusion vous avez les éléments hydrogène, hélium et oxygène – un isotope de l’hydrogène, ou une molécule d’hydrogène, un isotope d’hélium, ou une molécule d’oxygène – mais le processus de fusion nucléaire dégage plus d’un million de fois plus d’énergie que n’importe quelle réaction chimique.

Maintenant, je vais vous parler de ce concept de moteur à fusion. Le DFD est basé sur des recherches faites à l’Université de Princeton. Le laboratoire de Physique des Plasmas de Princeton (PPPL) a travaillé sur la fusion nucléaire pendant des décennies, même s’il y a eu d’énormes régressions en terme de budget. Le PPPL utilise le concept de confinement magnétique du plasma pour obtenir la fusion.

L’idée du laboratoire « Systèmes Satellites » [de Michael Paluzsek, ndt] est d’utiliser le moteur DFD en combinaison du lanceur Space Launch System (SLS) de la NASA [le futur lanceur lourd de l’agence spatiale américaine, ndt] et de la capsule Orion capable d’amener l’équipage en orbite terrestre [Orion est actuellement développée par la NASA, avec l’aide de l’agence spatiale européenne, ndt].

On lancera cet ensemble en orbite de la Terre pour atteindre le Deep Space Habitat, DSH [Habitat pour l’Espace Lointain, ndt], un module actuellement en développement à la NASA permettant de vivre et travailler, et qui voyagera entre l’orbite de la Terre et celle de Mars.

Le propulseur dans ce concept sera composé de six moteurs DFD. On lance d’abord le DSH en orbite terrestre avec le SLS, qui a une capacité de lancement comparable à celle de la vieille Saturne V. La fusée Saturne V de la mission Apollo pouvait emporter 100 tonnes de charge utile en orbite basse, si vous vous rappelez, ce qui incluait la capsule, l’atterrisseur, tout l’équipement et l’équipage.

Donc, ce qu’on fait c’est, premièrement, mettre en orbite basse de la Terre ce Deep Space Habitat qui possède une propulsion à fusion. Ensuite, après que tout ait été testé en orbite, on envoie l’équipage sur la même orbite avec la capsule Orion pour le transférer dans le DSH. Finalement, on déclenche le moteur DFD pour que le DSH quitte l’orbite terrestre et se dirige vers Mars (Fig. 5).

(...) Pour quitter l’orbite terrestre on doit atteindre une vitesse de 40.000 km/h, pour échapper à l’attraction de la Terre. Ce qui est fascinant avec le Direct Fusion Drive – vous voyez la tuyère d’échappement sur la droite (Fig. 3) – c’est qu’il utilise la configuration de « Champ Inversé » de Princeton pour confiner le plasma.

Fig. 3 : Schéma d’une coupe du moteur « Direct Fusion Drive ».

Voyons ce qu’est un plasma. Si on prend un gaz, comme l’air dans cette pièce, et qu’on le porte à de très hautes températures, les électrons qui tournent autour du noyau des atomes d’hydrogène, d’oxygène ou autre, se détacheront complètement et on obtiendra des ions et des électrons séparés – et ça s’appelle un plasma à haute température.

Le DFD utilise du deutérium, un isotope lourd de l’hydrogène (avec un neutron en plus), des réservoirs entiers de deutérium liquide, et de l’hélium-3 liquide, qui est injecté dans la chambre à plasma.

Vous avez déjà dû voir les énormes systèmes de confinement magnétique qui utilisent des tokamak – des réceptacles en forme de donut ou de tore avec des aimants tout autour – et quand les aimants sont en fonctionnement, ils confinent le plasma pour le garder loin des parois du tore.

Pour réussir la fusion le plasma doit atteindre une température de 100 millions de degrés Celsius. Vous pouvez imaginer que si un tel plasma touchait les parois d’un tokamak, fait de n’importe quel métal, cela vaporiserait le métal. C’est pour ça que l’on confine le plasma avec un champ magnétique.

La configuration en « Champ Inversé » de Princeton utilise – à la place du tore – un cylindre, avec des aimants fonctionnant à haute température. Quand les gaz d’hélium-3 et de deutérium sont injectés dans la chambre, ils sont chauffés avec des ondes radio de fréquence élevée (dans la gamme des Mégahertz) jusqu’à l’ionisation des éléments, ce qui crée un plasma. Le plasma, parce qu’il a des ions et des électrons chargés en mouvement, va créer un champ électrique. Or les champs électriques créent toujours des champs magnétiques. Le champ magnétique ainsi créé sera l’inverse de celui qui est appliqué par les aimants autour de la chambre, ce qui assure le confinement. Ceci nous permet de contenir le plasma dans un espace d’environ 2 mètres de diamètre à l’intérieur du cylindre et sur 10 mètres de long.

Une fois que vous avez ionisé le gaz, vous continuez à le chauffer, jusqu’à atteindre des températures suffisamment hautes pour provoquer la fusion. Avec la fusion enclenchée, vous obtenez les produits de la réaction, l’hélium-4 et le proton, qui sont électriquement chargés et peuvent être manipulés avec des champs magnétiques dans ce qu’on appelle une « tuyère magnétique ». Si vous regardez la navette spatiale quand elle décolle, vous voyez les tuyères diriger le gaz propulseur – vous pouvez voir les tuyères pivoter. Mais si vous utilisiez une tuyère ordinaire avec des plasmas à haute température, vous feriez fondre la tuyère. C’est pour ça que l’on met un champ magnétique dans la tuyère pour diriger le flux de plasma.

Avec une réaction chimique, la vitesse d’échappement du gaz propulseur est de l’ordre de 10 kilomètres par seconde, alors qu’avec une réaction de fusion on peut obtenir une vitesse d’échappement de plus de 25000 kilomètres par secondes, voire encore plus, grâce à la haute énergie de la réaction de fusion. Et on peut ajuster la vitesse d’échappement. On peut augmenter la poussée en augmentant la vitesse de propulsion du plasma. Ce « Direct Fusion Drive » ne produira pas seulement l’échappement du plasma, donnant la bonne poussée pour aller vers Mars, mais il générera aussi du courant électrique, pour alimenter en électricité l’ensemble du vaisseau pour la mission.

Revenons à la Fig. 3. Les zones blanches sur le dessin sont des protections. Car dans une autre réaction typique d’expérimentation sur la fusion, le deutérium et le tritium sont utilisés au lieu du deutérium et de l’hélium-3 – le tritium étant un autre isotope de l’hydrogène qui a un proton et deux neutrons. En utilisant du deutérium et du tritium on produit presque autant d’énergie qu’avec le deutérium et l’hélium-3 (Figure 2b). Cependant, la plupart de l’énergie est dégagée par une particule neutre, le neutron, qui ne peut pas être contrôlé par des champs magnétiques puisqu’il n’a pas de charge électrique. Les neutrons viendraient frapper les côtés du moteur et iraient même pénétrer à l’intérieur du compartiment de l’équipage, on devrait donc fournir assez de protection à l’équipage contre ces neutrons à haute énergie.

Mais une protection est aussi nécessaire pour la fusion deutérium-hélium-3. Même si cette réaction ne produit que des charges positives, il est possible que des réactions deutérium-deutérium se produisent. Bien que 95% des produits de fusion seront de l’hélium-4 chargé ou un proton, environ 5% seront des neutrons de haute énergie et un peu de tritium, donc on aura toujours besoin d’un peu de protection anti-neutron pendant que le processus de fusion se poursuit.

Figure 4a : Le PFRC-2 lors de son assemblage.

La Fig. 4a montre la configuration en « Champ Inversé » de Princeton mise en œuvre dans le prototype PFRC-2, ici pendant son assemblage. Ils ont fini de le construire maintenant. Ils n’ont pas encore atteint la puissance maximale de la fusion mais ce travail est un contrat avec la NASA à travers le « Programme des Concepts Innovants et Avancés », qui a pour but de financer les projets pouvant être rentables sur les 10 à 100 prochaines années.

Fig. 4b : Le PFRC-2 en fonctionnement.

La Fig. 4b montre le prototype PFRC-2 pendant sa mise en fonction expérimentale.

Quand j’ai parlé au Dr. Paluzsek, il m’a dit que lui et son équipe étaient prêts pour la Phase 3 (PFRC-3), mais qu’ils manquaient de fonds. En fait, 20 malheureux millions de dollars feraient l’affaire – l’équivalent du prix de quelques missiles de croisière ou d’un dixième d’un avion de combat F-35 ! Ils projettent qu’une fois qu’ils auront chauffé le plasma à des températures suffisamment hautes, l’auront rendu suffisamment dense, et qu’ils pourront obtenir un confinement suffisamment long pour déclencher la fusion – alors ils pourront utiliser ces moteurs pour une démonstration de voyage vers Mars.

Il faut encore effectuer beaucoup de tests pour valider la configuration en « Champ Inversé ». Ce concept remonte aux recherches du Laboratoire National de Los Alamos dans les années 90.

Il a aussi été testé au Laboratoire National du Pacifique Nord-Ouest à Redmond, dans l’État de Washington, et au Laboratoire de la Marine Américaine à San Diego. Quelques tests ont aussi été réalisés au Laboratoire de Recherche de l’Armée de l’Air à Dayton, dans l’Ohio.

Donc il y a beaucoup de recherche en cours. Lockheed Martin travaille sur un réacteur à fusion magnétique compact qui aurait la taille d’un camion. Donc voilà, si on pouvait détourner un peu de l’argent qui va au programme du F-35 on pourrait avancer beaucoup plus vite sur la fusion ! [rires]

Figure 5 : Le Véhicule de Transfert Martien avec sa navette Orion arrimée sur la droite. L’Habitat pour l’Espace Lointain est constitué des deux unités tubulaires grises. Les larges réservoirs sphériques de deutérium sont représentés en brun. Les six moteurs DFD sont situés tout à gauche de l’ensemble, juste après les panneaux de dissipation de la chaleur.

Le « Véhicule de Transfert Martien », montré sur la Fig. 5, est composé du « Direct Fusion Drive » et du « Deep Space Habitat », où un équipage de quatre ou six astronautes peut vivre et travailler.

Le DSH, comme vous pouvez le voir sur la Fig. 6, est comme une petite station spatiale. Il a un laboratoire expérimental, ainsi que des chambres d’exercice physique.

Figure 6 : L’Habitat pour l’Espace Lointain (« Deep Space Habitat ») de la NASA.

Une mission aller-retour vers Mars prendra seulement 310 jours, incluant 30 jours en orbite de Mars (voir la Fig. 7). Le DSH est propulsé par six moteurs DFD. Chaque moteur produit 11,5 Mégawatts de puissance électrique, donc l’ensemble des moteurs produira 70 Mégawatts, ce qui correspond à la puissance d’un très gros porte-avions nucléaire comme le USS Nimitz.

Fig. 7 : Avec des moteurs à fusion, un voyage aller-retour vers Mars ne prendra que 310 jours, incluant 30 jours autour de Mars. Sur le schéma sont représentés les deux orbites de la Terre (à l’intérieur) et de Mars (à l’extérieur), ainsi que le trajet prévisionnel du vaisseau spatial.

Quand l’équipage sera dans l’habitat en orbite, et que tout aura été vérifié, les moteurs seront allumés pour atteindre la vitesse de libération et quitter l’orbite de la Terre. Une fois sur la bonne trajectoire, on les éteindra. S’en suivra une période de « chute libre » [on se laisse porter par la gravité et l’inertie, ndt], et le voyage devrait durer 140 jours. C’est encore un peu long, mais c’est la première étape. Souvenez-vous que le premier avion des frères Wright ne volait qu’à 70 km/h. Aujourd’hui on va un peu plus vite, donc on fera des progrès.

Quand le vaisseau spatial approchera de Mars, l’équipage devra rallumer les moteurs pour freiner. L’idée est d’orbiter autour de Mars, pas de survoler la planète. Donc on freinera, on s’insérera en orbite et on tournera pendant 30 jours. Pour retourner sur Terre on rallumera encore les moteurs, pour atteindre la vitesse de libération, et on dérivera pour quelque temps. Une fois que le vaisseau approchera de la Terre, il devra ralentir et s’insérer en orbite. A ce moment, une autre capsule Orion sera envoyée depuis la Terre jusqu’en orbite pour ramener l’équipage, car ils ne peuvent pas redescendre avec le DSH.

Cette mission serait l’équivalent d’Apollo 8. Si vous vous souvenez de décembre 1968 – la première fois qu’un homme a quitté l’orbite terrestre était en décembre 1968. Et si vous vous rappelez bien, quand l’équipage d’Apollo 8 s’est approché de la Lune, on n’a pas pu savoir tout de suite s’il leur était arrivé malheur ou pas. La NASA devait faire des calculs très précis.

C’est très bien raconté dans le film Hidden figures [« Les figures de l’ombre » en français, ndt]. Parce que vous avez une capsule en mouvement rapide, donc tous les calculs devaient coller à la décimale près ! Ils sont passés derrière la Lune et bien sûr on ne pouvait plus recevoir leurs signaux radio, donc pendant quelques minutes on ne pouvait pas savoir s’ils s’en étaient tirés ou s’ils avaient été projetés vers le Soleil. C’est alors qu’ils sont réapparus, et on les a entendus réciter la Genèse – c’était la veille de Noël.

Cette mission vers l’orbite de Mars serait une percée équivalente.

A la fin du rapport scientifique [de l’équipe du Dr. Paluzsek, ndt], les auteurs mentionnent que le DFD pourrait servir à dévier la course d’un astéroïde qui viendrait vers nous. Il faudrait l’atteindre, s’y accrocher, allumer le moteur et dévier sa trajectoire avant qu’il ne percute la Terre (Fig. 8).

Fig. 8 : Déflexion d’astéroïdes, missions robotiques plus rapides et plus sophistiquées, exploration humaine de Mars… « Le DFD ouvrira dans l’espace de nouveaux boulevards pour l’exploration et l’industrialisation rapide du système solaire ».

Ils mentionnent également que le DFD pourrait être utilisé pour des missions robotiques, comme la mission vers Pluton. La sonde « New Horizons » [lancée en janvier 2006 par la NASA, ndt] a mis neuf ans pour atteindre Pluton, mais elle n’avait pas assez de carburant pour freiner, alors elle a survolé Pluton en quelques heures, tout en prenant une pléthore de photos.

La sonde avait une puissance électrique limitée. Bien qu’elle était alimentée par un générateur thermoélectrique à radio-isotope de plutonium, elle n’avait que 200 watts d’électricité disponibles, ce qui fait que quand elle a commencé à transmettre les photos vers la Terre, le débit de transmission n’était que de 1000 bits par seconde.

Je crois qu’ils doivent encore être en train de télécharger les photos de la sonde ! [rires]

Au contraire, avec le DFD on aurait non seulement plus de poussée, mais aussi plus d’énergie électrique, quelque chose comme 2 Mégawatts disponibles pour la radio et d’autres systèmes. Une mission vers Pluton ne prendrait que quatre ans au lieu de neuf, et une fois arrivée la sonde pourrait freiner et se mettre en orbite autour de la planète. Le débit de transmission serait de l’ordre du Mégabit par seconde, donc on pourrait transmettre beaucoup plus de données vers la Terre.

On aurait de fait assez d’énergie pour poser un rover sur la planète, on lui enverrait de l’énergie grâce à un système de rayon laser et il pourrait se déplacer sur la surface, même s’il est à des milliards de kilomètres de la Terre et qu’il ne peut pas utiliser de panneaux solaires.

Ce que cet exemple illustre c’est que le DFD ouvrira dans l’espace de nouveaux boulevards pour l’exploration et l’industrialisation rapide du système solaire », comme disent les auteurs eux-mêmes.

Donc voilà, cette proposition est sur l’étagère de quelqu’un à la NASA, et elle a été pondue il y a quelques années.

Au fait, j’ai demandé au Dr. Paluzsek s’il avait entendu parler de quelque chose que les Chinois feraient. Il m’a dit qu’il n’avait pas le droit de parler aux Chinois. Parce que son programme est financé par la NASA et que ce serait illégal pour lui de parler aux Chinois – et il n’a pas le droit de parler aux Russes non plus !

Même si, bon, pour aller dans la Station Spatiale Internationale il faut demander à Poutine, okay ! [rires] ... Donc à part l’argent, ce dont nous avons besoin c’est de plus de coopération.

(traduit de l’anglais par Benoît Odille)