Les États-désunis d’Amérique mettent le monde au bord du gouffre

lundi 22 janvier 2018

Il y a le chiffon rouge agité par les médias, focalisant l’attention du public sur la personne du « fou » Donald Trump. Et il y a la réalité d’une situation interne américaine tiraillée en tous sens.

L’administration Trump, qui a été portée au pouvoir pour sortir de la logique de confrontation vis-à-vis de la Russie et de la Chine, ne dispose malheureusement pas des « hommes de caractère » (ou des femmes de caractère), pour reprendre l’expression du général de Gaulle, capables de faire front aux puissances d’argent et aux va-t-en guerres néo-conservateurs.

Le comportement presque schizophrénique du Secrétaire d’État Rex Tillerson, la semaine dernière, est emblématique de cette division, et du danger que cela pose pour le monde. Lors d’une conférence organisée par le Hoover Institute mercredi, Tillerson a tenu un discours très provocateur à propos de la Syrie, sur une ligne tout à fait néo-conservatrice, accusant même Bashar el-Assad de soutenir en sous-main Al Qaida, et affirmant que les troupes américaines resteraient là-bas pour une période « indéfinie ». Ce qui, soit dit en passant, est illégal, tant du point de vue du droit international que de la loi américaine.

Puis, dans l’avion qui le ramenait ensuite à Washington, Tillerson a fait, aux journalistes qui l’accompagnaient, des remarques tout à fait différentes. Questionné sur la Russie, il a déclaré : « Nous souhaitons voir une Syrie entière et unifiée. Même si les Russes prétendent parfois que nous tentons de diviser la Syrie, ce n’est pas le cas. Nous voulons une Syrie entière et unifiée. Nous voulons une Syrie stable, libérée du terrorisme, et la Russie a le même objectif ». Quant à savoir si les États-Unis s’engageront dans une politique de « changement de régime », il a assuré que « non, nous avons été très clairs sur le fait que nous n’étions pas là pour confronter de quelque façon que ce soit le régime. Nous ne sommes pas là non plus pour confronter l’Iran. Nous sommes là pour vaincre Daech ». Le Secrétaire d’État a même démenti l’intention de former une force armée de 30.000 hommes dans le Nord-Est de la Syrie, s’inscrivant ouvertement en faux par rapport aux commandants militaires qui en avaient fait l’annonce depuis Bagdad.

De son côté, le Secrétaire de la Défense James Mattis a bel et bien désigné la Russie et la Chine comme les principales menaces stratégiques pour les États-Unis. Devant le John Hopkins SAIS Institute à Washington, il a déclaré : « Nous allons poursuivre notre effort contre les terroristes, mais c’est la compétition entre les grandes puissances – et non le terrorisme – qui est désormais l’objectif principal de la sécurité nationale des États-Unis. Nous sommes confrontés à la menace croissante de puissances révisionnistes aussi différentes que la Chine et la Russie, des nations qui cherchent à créer un monde conforme à leur modèles autoritaires, à exercer leur droit de veto sur les décisions économiques, diplomatiques et sécuritaires d’autres nations ». Vous avez dit « faites ce que je dis, pas ce que je fais » ?

Le choix d’une frappe nucléaire contre la Corée du Nord a-t-il été pris ?

Le journal chinois Global Times fait remarquer que, dans le contexte du « frémissement » de réduction des tensions dans la péninsule coréenne, suite à la reprise du dialogue entre les deux Corées, la fausse alerte nucléaire survenue à Hawaï le 13 janvier pourrait avoir des implications dépassant la simple erreur humaine : « Pour certains observateurs, cela peut même être interprété comme un signal montrant que les États-Unis sont prêts au pire scénario : une véritable guerre contre la Corée du Nord », écrit le journaliste Liu Lulu.

L’article évoque ensuite un certain nombre d’autres signes, comme un exercice militaire américano-japonais en cours en Californie, et surtout la réunion du 16 janvier à Vancouver, sur la crise coréenne, qui a réuni les ministres des Affaires étrangères des pays qui avaient fait partie de l’alliance avec les États-Unis au cours de la guerre de Corée de 1950-1953. « Tous ces événements suggèrent que les États-Unis ont peut-être déjà élaboré un plan militaire complet pour la Corée du Nord ». La solution au problème est de garantir à Pyongyang un sentiment de sécurité. « Mais rien n’indique que les États-Unis soient prêts à diminuer leur pression militaire sur la Corée du Nord », écrit Lulu.

Stephen Cohen : « les Démocrates devraient soutenir les instincts pro-détente de Trump »

Le professeur Stephen Cohen, universitaire américain spécialiste de la Russie soviétique, a écrit une tribune, publiée par le journal américain progressiste The Nation, ainsi que par RT, dans laquelle il pointe du doigt le jeu dangereux des Démocrates, avec ce titre sentencieux : « Les Démocrates répudient l’héritage de Franklin Roosevelt de détente avec la Russie ». « Considérez… le danger existentiel et réel que représente la guerre nucléaire ; comme Reagan l’avait sagement compris, elle ne peut être gagnée et ne doit donc jamais être engagée. Et songez aux fausses alertes de missiles nucléaires récemment lancés à Hawaï et au Japon. Face à cela, tout Parti démocrate digne de ce nom devrait apporter son soutien aux instincts pro-détente de Trump ».

Cohen estime qu’en qualifiant tout contact supposé avec le Kremlin de crime contre les États-Unis, et en diabolisant la Russie elle-même ; les Démocrates actuels se font les vecteurs d’une nouvelle guerre froide, plus périlleuse que la précédente. « Roosevelt était le père de la détente », écrit-t-il. Selon lui, Eisenhower, Nixon et Reagan avaient en leurs temps tenté de poursuivre cet effort de détente. Mais la guerre froide actuelle a été « provoquée en grande mesure par le Parti démocrate », depuis la politique du « winner takes all » — le gagnant prend tout — de l’administration Clinton jusqu’au refus du président Obama de coopérer avec la Russie dans la lutte contre le terrorisme, en passant par son rôle dans le coup d’État de 2014 en Ukraine, et « le rôle encore obscur des responsables du renseignement d’Obama, et pas seulement ceux du FBI, dans l’instigation du ‘Russiagate’ contre Donald Trump dès le début de l’année 2016 ».