Train sur coussins d’air : pour L’Express, « le SpaceTrain entre en gare »

vendredi 4 mai 2018, par Karel Vereycken

Société Vaucanson

« Et si, finalement, le train du futur n’était pas américain mais français ? Et s’il n’évoluait pas dans un tube mais en extérieur, sur coussins d’air ? » , écrit l’hebdomadaire L’Express dans sa livraison du 13 avril 2018.

Comme l’ingénieur Jean Bertin avait tenté de l’expliquer à son époque, l’aérotrain, et le « principe d’effet de sol » (coussin d’air) dont il fait usage pour faire glisser un véhicule sans roues, fait appel au principe de moindre action cher à Pierre Fermat et Leibniz : il accomplit plus de travail avec un moindre effort.

Reste un énorme défi d’engineering pour passer de la science à une application technologique performante.

Depuis très longtemps nous avons présenté sur ce site le savoir-faire français dans ce domaine, non pas comme le souvenir d’un échec du passé, mais comme le fondement d’une technologie du futur.

Et le 5 septembre, dans la plus grande indifférence médiatique, nous étions archi-seuls à célébrer le centenaire de la naissance de Jean Bertin. Rappelons également que Jacques Cheminade fut le seul candidat présidentiel à évoquer cette piste dès 2012.

Aujourd’hui, pour donner à Paris une ouverture sur la mer, disposer d’un transport voyageurs rapide reliant Le Havre et Rouen avec la capitale tout en libérant le rail actuel pour un transport ferroviaire plus performant au service de l’ensemble portuaire Haropa, ce type de technologie sera déterminant.

La bonne nouvelle, c’est que l’hebdomadaire L’Express du 13 avril 2018 vient de consacrer un article substantiel à Spacetrain, une startup française basée à Orléans, déterminée à relever le défi.

Faisons tout pour que ses équipes puissent réussir !
Karel Vereycken.

La navette, de 40 places au départ, évoluera sur coussins d’air, le long d’un monorail en T inversé.
SpaceTRain

Le SpaceTrain entre en gare

Par Sébastien Julian, L’Express du 13 avril 2018.

Le SpaceTrain, projet français, filant en plein air et sur coussins d’air, pourrait aboutir dans les dix-huit prochains mois.

Et si, finalement, le train du futur n’était pas américain mais français ? Et s’il n’évoluait pas dans un tube mais en extérieur, sur coussins d’air ? L’idée paraît presque ridicule tant le concept d’Hyperloop popularisé par Elon Musk hante les esprits. Et pourtant. Depuis 2013, plusieurs centaines de chercheurs réfléchissent, en vain, au moyen de nous compresser dans des capsules capables d’atteindre la vitesse du son à l’intérieur de tubes faiblement pressurisés. Complexe à réaliser, très coûteux, l’Hyperloop se fait attendre. Il ne devrait pas voir le jour avant quelques décennies, selon certains spécialistes du transport. Cet horizon lointain donne l’occasion à d’autres sociétés de montrer leur savoir-faire et de développer des projets plus réalistes. A l’image de SpaceTrain, une start-up française qui table sur la mise en service d’un prototype dans les dix-huit mois.

Un projet éloigné de la vision technologique d’Elon Musk

« Nous aussi, nous avons l’ambition de révolutionner le rail », s’enflamme Emeuric Gleizes, le patron de la société. Mais pas question de faire dans le sensationnel et les effets de manche. Alors que les médias fantasment actuellement sur un Hyperloop sous-marin capable de relier Paris à New York à la vitesse folle de 2 000 kilomètres/heure, SpaceTrain garde les pieds sur terre. « Nous n’allons pas faire voyager des passagers dans des tubes. Et encore moins sous la mer », raille Thomas Bernin, le porte-parole de la société française, située près d’Orléans. A l’origine, SpaceTrain se présentait pourtant comme un concurrent direct d’Hyperloop.

Sa cabine futuriste devait aussi évoluer dans un tube transparent à la vitesse du son, comme en attestent de belles images 3D encore stockées dans les ordinateurs de la société. Mais, après des mois de calculs, les ingénieurs ont fini par jeter l’éponge. « Nous n’avons pas trouvé de solution capable d’évacuer, à moindre coût, la chaleur accumulée à l’avant de l’appareil », reconnaît l’un d’entre eux. Avant d’expliquer : « Imaginez : nous avons dans le tube l’équivalent de l’échauffement d’un avion évoluant à 12 000 mètres d’altitude, mais sans la température extérieure de - 60 degrés celsius permettant le refroidissement »

Autre casse-tête insoluble : comment maintenir le vide quasi parfait dans un tube qui se dilate ? Sans parler des mesures de sécurité à mettre au point pour faire voyager les passagers sans encombre dans un environnement ultraconfiné.

Les passagers profiteront du paysage, propulsés à 550 kilomètres/heure par un moteur à induction linéaire.
SpaceTrain

Pragmatique, Emeuric Gleizes s’est donc détaché de la vision futuriste d’Elon Musk pour se rapprocher de celle d’un autre grand esprit visionnaire : l’ingénieur Jean Bertin. Peu connu du grand public, celui-ci inventa, dans les années 1960, un train capable d’évoluer à grande vitesse sur coussins d’air : l’Aérotrain. Fiable et performant, l’appareil semblait promis à un grand avenir. Le 5 mars 1974, il battait même le record du monde de vitesse sur rail à 430,2 kilomètres/heure.

Mais ce bijou de technologie finit par tomber dans l’oubli pour des raisons politiques au profit du programme... TGV de la SNCF. « Nous en avons repris les grands principes », explique Emeuric Gleizes. Comme son aîné, le SpaceTrain utilisera donc des coussins d’air afin de se maintenir en lévitation quelques millimètres au-dessus du sol. Il circulera sur une voie en « T » inversé, large de 3,40 mètres et haute de 90 centimètres. Mais le parallèle s’arrête là. SpaceTrain profite de cinquante années de progrès technique par rapport à son prédécesseur. Grâce à l’électronique, il gagnera en stabilité et en précision de pilotage.

A l’époque de l’Aérotrain, la conduite se faisait à l’aide de systèmes hydrauliques manuels ou semi-automatiques. Aujourd’hui, des logiciels permettent de maîtriser la sustentation avec une précision millimétrique sur l’ensemble du trajet, assure un ingénieur. Le train peut même s’adapter en temps réel aux déformations de la voie, mesurées par des capteurs.

Des piles à combustible sur le toit

Côté propulsion, SpaceTrain bénéficie également des avancées récentes. Il utilisera non pas une turbine à gaz comme l’Aérotrain, mais un moteur à induction. Ce dernier fonctionne à l’aide de bobines placées sous la cabine et grâce à des plaques « ferromagnétiques » disséminées le long de la voie. Une fois les bobines alimentées en électricité, un flux électromagnétique se crée. Son passage sur les plaques provoque une force qui propulse la navette vers l’avant.

Pour fournir de l’énergie au moteur, les ingénieurs de SpaceTrain prévoient d’installer des piles à combustible sur le toit de l’appareil. Celles-ci transformeront l’énergie chimique, libérée par la réaction entre l’hydrogène et l’oxygène, en électricité.

Notre navette consommera 1 mégawatt d’électricité. Un tiers servira à la sustentation, précise les spécialistes. Le reste permettra la propulsion et l’alimentation de l’équipement à bord.

Une prouesse technologique facilement accessible.

« Nous sommes confiants. Contrairement aux solutions de type Hyperloop, il n’y a pas de verrou à faire sauter », assure un ingénieur. En Allemagne, Siemens teste déjà des trains de voyageurs équipés de piles à combustibles. Avec succès : les wagons parviennent à rouler à 140 kilomètres/heure. La capsule SpaceTrain, bien plus légère qu’un train de passagers, vise une vitesse plus élevée, d’environ 150 mètres par seconde, soit de 500 à 540 kilomètres/heure. C’est mieux que le TGV, qui roule à 320 kilomètres/heure en moyenne, mais moins rapide que les futures navettes Hyperloop, censées approcher la vitesse du son (1 260 kilomètres/heure).

Association des amis de Jean Bertin

« En vérité, la technologie imaginée par l’ingénieur Bertin permet d’aller beaucoup plus vite », renchérit Emeuric Gleizes. Dans les années 1960, son équipe a d’ailleurs effectué un essai à 1 200 kilomètres/heure à l’aide d’un chariot équipé de réacteurs sur une piste aérienne. « Nous avons consulté les archives de la société Bertin, le système de coussins d’air se révèle parfaitement stable à haute vitesse », confirme un ingénieur. Alors pourquoi opter pour une vélocité plus faible ? Pour des raisons de coût et de nuisances sonores. « Plus la navette va vite, plus il lui faut de l’énergie et plus elle produit de décibels (SpaceTrain prévoit d’ores et déjà d’équiper sa voie de panneaux anti-bruit). 150 mètres par seconde, c’est ce qu’il nous faut pour être compétitif sur le marché de l’interurbain », conclut Emeuric Gleizes.

L’entrepreneur en profite pour dérouler son argumentaire.

Le coût de construction de notre ligne ne dépassera pas 5 à 6 millions d’euros par kilomètre, contre 25 pour le TGV et 50 pour le Maglev, le train à sustentation magnétique qui fonctionne en Chine et au Japon. Par rapport à un Hyperloop, dont personne ne connaît le coût exact, SpaceTrain est bien plus économique ! D’autant qu’il requiert peu d’entretien. A la différence d’un TGV, un train sur coussins d’air n’use pas les voies. De 1969 à 1978, l’Aérotrain a fonctionné sur du béton sans que celui-ci ne reçoive de soins particuliers

, confirme Daniel Ermisse, un de ses anciens pilotes.

Transformer les lignes interurbaines en trajets de métro

Fort de ses nombreux atouts, SpaceTrain chercherait-il à remplacer notre très coûteux TGV ? « Ce n’est pas notre but, assure Emeuric Gleize. Nous visons en priorité les zones enclavées et les lignes sous-exploitées comme Orléans-Paris, Orléans-Vierzon ou Le Havre-Paris. Notre objectif consiste à transformer les lignes interurbaines de 200 kilomètres en trajets de métro. »
Le lieu de tests de la future navette est déjà tout trouvé : il s’agit du monorail sur lequel évoluait l’Aérotrain il y a un demi-siècle ! Situé au nord d’Orléans, entre Saran et Ruan, ce serpent de béton soutenu par des piliers de 7 mètres de hauteur s’étire sur 19 kilomètres. Le temps l’a quelque peu endommagé. Certaines pièces souffrent de la rouille et la végétation colonise certaines sections. Mais la structure en béton - le plus important pour faire circuler la navette - demeure en parfait état. « Les experts du centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) l’ont analysée en détail. Elle peut reprendre du service sans aucun problème », confirme un ingénieur.

« Notre intention est de faire appel à des sociétés spécialisées pour moderniser un tronçon de 9 kilomètres de voie puis de l’équiper avant de lancer une première phase de tests », précise Emeuric Gleizes. « Les négociations avec l’Etat se présentent bien. D’ici à la fin de l’année, nous espérons signer une convention qui nous donne le droit d’exploiter la ligne », explique Thomas Bernin. En attendant, SpaceTrain tente de rassurer la population locale. « Certains pensent qu’ils vont devoir mettre la main à la poche ; d’autres s’inquiètent du bruit et de la sécurité... A nous de répondre à ces angoisses », ajoute Emeuric Gleizes. Et de montrer qu’en dehors d’Hyperloop, une autre solution de transport à grande vitesse, totalement française, est sur de bons rails.

A SAVOIR. Des cousins à propulsion 100 % magnétique

Si la carrière de l’Aérotrain fut de courte durée, celle de ses cousins - les trains à sustentation magnétique dits Maglev - perdure. Le JR-Maglev mis au point par la compagnie ferroviaire Japan Railways détient actuellement le record mondial de vitesse (603 kilomètres/heure) de la catégorie depuis 2015.

Mais la Chine, qui exploite aussi une ligne à sustentation magnétique de 30 kilomètres entre Shanghai et l’aéroport de Pudong, se prépare elle aussi à battre des records. Ses ingénieurs planchent sur un super-Maglev capable, en théorie, d’atteindre la vitesse folle de 1 000 kilomètres/heure.