Pauvreté, baisse des naissances et de l’espérance de vie… les stigmates d’une société sans vision

lundi 28 mai 2018

La longue crise d’effondrement économique et social que nous traversons depuis au moins quatre décennies en Occident, sous l’effet d’une finance prédatrice et de sa loi de la jungle, a induit parmi les populations un profond pessimisme culturel. Les jeunes, bien qu’ils espèrent encore pouvoir s’en sortir individuellement, ne croient plus en la capacité de la société à leur offrir un avenir. Pire, ils ne croient plus en général en la capacité de l’homme à résoudre les problèmes fondamentaux et à agir, avec d’autres, pour le bien de tous. C’est une situation insoutenable.

« Sans vision, le peuple meurt », avait déclaré le président Franklin D. Roosevelt, lors de son discours d’investiture prononcé le 4 mars 1933, dans lequel il annonça son intention de casser les méga-banques de Wall Street et de mettre fin aux « pratiques des usuriers sans scrupules ».

Aujourd’hui, derrière les statistiques faussement optimistes de l’emploi qui repart et l’euphorie boursière gonflée aux stéroïdes du capital fictif, la réalité aux États-Unis et en Europe est celle d’une société en pleine désintégration, donnant pleinement raison à Roosevelt.

Selon le dernier rapport des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (Centers for Disease Control and Prevention - CDC), le taux de fécondité des Américaines a atteint son plus bas niveau depuis 40 ans, avec seulement 1,76 enfant par femme. Entre 2016 et 2017, il a baissé de 3 %. Cette baisse s’observait jusqu’à présent principalement chez les femmes d’une vingtaine d’années et pouvait par conséquent être attribué à un choix de leur part de remettre la maternité à plus tard ; mais elle touche désormais également les femmes trentenaires.

En même temps, l’espérance de vie des Américains a reculé pour la deuxième année consécutive, alors qu’elle n’avait cessé d’augmenter depuis 1880 ! Cette baisse est la conséquence de la dégradation des conditions de vie d’une partie grandissante de la population basculant dans la pauvreté ; la pointe visible de l’iceberg en est la surconsommation des opiacés, souvent achetés sur le marché noir, qui frappe actuellement outre-Atlantique, avec notamment une hausse de 21 % du nombre d’overdoses de drogues et de médicaments entre 2015 et 2016.

41 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté aux États-Unis. Une récente étude de United Way ALICE project montre que près de 51 millions de ménages (43%) ne disposent pas suffisamment de moyens pour payer leurs factures et se nourrir, se soigner, se déplacer et élever leurs enfants. 34,7 millions d’entre eux entrent dans la catégorie des « employés aux biens et revenus limités », c’est-à-dire les « working poor ». Les 16,1 millions restant sont sous le seuil de pauvreté, avec une proportion de plus en plus grande dans une extrême pauvreté.

De notre côté de l’Atlantique, la part des travailleurs pauvres est passée dans la zone euro de 7,3 % en 2006 à 9,5 % en 2016, ce qui représente un travailleur sur dix ! En 2017, La France compte 6,5 millions de demandeurs d’emploi et de travailleurs précaires, c’est-à-dire plus de 20 % de la population active (lire notre chronique du 26 mars : Réforme de l’assurance-chômage de Macron : le darwinisme au beau visage).

Concernant les taux de fécondité, Eurostat constate dans son rapport de mars 2018 une hausse dans l’ensemble de l’Union Européenne entre 2001 et 2016, passant de 1,46 à 1,6 enfant par femme, ce qui reste largement en-deçà du taux de 2,1 estimé nécessaire pour renouveler la population. De plus, ces chiffres cachent la réalité d’une Europe à deux vitesses, entre l’Est et l’Ouest. En effet, tandis les pays d’Europe de l’Est connaissent généralement des hausses de la fécondité, les taux des pays d’Europe de l’Ouest continuent de baisser depuis plusieurs années. Sur la période 2006-2016, la fécondité a baissé de 2,5 % en Belgique, en Espagne et en Italie, de 5 % en France, aux Pays-Bas et au Danemark, de 10 % à Chypre et en Finlande et enfin de 15 % au Luxembourg et en Islande.

Toutes ces évolutions sont autant de reflets sur les murs de la caverne d’une tendance générale de l’ensemble de la société transatlantique, qui renvoie aux heures les plus sombres de notre histoire ; nous devrions nous souvenir en effet qu’au XIVe siècle, par exemple, au milieu de la crise financière et de l’effondrement économique qui précédèrent l’arrivée de la Peste noire sur le continent européen, les populations avaient également perdu toute foi en l’avenir, et les nombres de naissances et de mariages avaient chuté.

Il est donc urgent d’inverser ce processus, en tarissant à la source ce casino spéculatif, et en rétablissant une véritable économie « dirigée », armée d’un Glass-Steagall moderne (séparation entre les banques de dépôt et les banques d’affaires) et d’une banque nationale capable d’émettre du crédit public et de l’orienter vers l’équipement de l’homme et de la nature. Alors seulement nous serons capables de nous projeter à nouveau vers le futur.