En finir avec la bonne morale oligarchique de l’ « aide aux pauvres »

lundi 18 juin 2018

Nos dirigeants politiques semblent avoir atteint les tréfonds, depuis le sommet de la désunion du G7 au Canada jusqu’aux querelles autour de la crise des migrants, en passant par la petite phrase d’Emmanuel Macron sur le fait qu’ « on met un pognon de dingue dans les minima sociaux et les gens ne s’en sortent pas ».

En parlant ainsi, le président français pensait faire un bon coup de com’, avec une phrase destinée à « faire jeune », tout en caressant dans le sens du poil la frange conservatrice de la population ; il ne se rendait pas compte qu’il exhibait là un comportement typique du monde du fric amoral dont il est issu. Car, qu’ont bien pu penser les millions d’allocataires du RSA, qui survivent avec 550 euros chaque mois, allant de petit boulot précaire en petit boulot précaire ? Ceux qui doivent subir l’humiliation de voir un agent de la CAF se rendre à leur domicile pour vérifier qu’ils n’ont vraiment pas d’argent, alors que la fraude aux minimas sociaux ne représente que 0,5 % de la fraude fiscale ?

Que peuvent-ils penser en entendant le président de la république leur demander de se « responsabiliser » (autrement dit de culpabiliser de leur situation de chômage), et leur dire qu’ils coûtent « un pognon de dingue », alors que la réduction de l’ISF a coûté à elle seule l’équivalent de 500 000 ans de RSA ?

Sortir de l’hypocrisie

Mais ne tombons pas dans le piège anti-Macron. Car, dans son arrogance juvénile, il ne fait qu’exprimer de façon grossière « les préjugés les plus éculés de la bonne bourgeoisie », comme l’écrit Laurent Joffrin dans Libération. Et c’est bien entendu l’ensemble de la classe politique qui souffre de ce syndrome ; parfois même davantage du côté de la gauche, puisque ses représentants ont fait carrière en se soumettant à une dictature financière bien peu adaptée à leurs idéaux.

C’est ainsi qu’ils ont troqué le progrès économique et la justice sociale contre la notion d’ « aide » pour les pauvres. Une caution morale qui a permis de perpétuer un ordre darwinien où les oligarques s’engraissent en suçant les classes moyennes, tandis que les quelques restes accordés aux plus pauvres permettent d’acheter leur silence.

Cette hypocrisie est tout à fait transposable à « l’aide au développement » accordée par les pays occidentaux aux pays du Tiers-monde, et dont certains responsables de la majorité présidentielle se sont vantés face à la crise des réfugiés, pour montrer que nous faisons beaucoup d’efforts pour résoudre le problème à la source.

Outre le fait que la France est parmi les pays de l’Union européenne qui contribuent le moins à l’aide au développement (0,43 % de son PIB), aucun véritable projet d’infrastructure ne voit le jour grâce à cet argent. Aujourd’hui, 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité, soit près d’un sur deux ! En réalité, l’aide au développement ne change rien au véritable système de pillage en place en Afrique, et qui fait que 33 milliards de dollars de capitaux sont extraits chaque année du continent, c’est-à-dire entre 600 et 1000 milliards en vingt ans, selon l’ONG Global Financial Integrity.

La Françafrique, en particulier, maintient les pays d’Afrique francophone dans une situation d’esclavage monétaire, au travers du système du Franc CFA. Quatorze pays, soit 170 millions d’Africains, sont de fait sous curatelle : ils ne maîtrisent ni leur budget, ni leurs dépenses, ni leur déficit, ni leur crédit. Et le curateur, c’est le Trésor public français ou la BCE… (lire à ce sujet : De l’aide au développement au co-développement, par Sébastien Périmony).

« La France est, en effet, le seul pays au monde à avoir réussi l’extraordinaire exploit de faire circuler sa monnaie et rien que sa monnaie, dans des pays politiquement libres », écrivait l’économiste Joseph Tchundjang Pouemi dans Monnaie, servitude et liberté, la répression de l’Afrique (1979).

Nous autres Français ne pouvons plus tolérer que cette hypocrisie continue en notre nom. Rappelons-nous ce que disait Aimé Césaire : « Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ».

La leçon de la Chine

Un pays nous montre aujourd’hui la voie : la Chine, qui a sorti 700 millions de personnes d’une pauvreté extrême en trente ans. Entre 2013 et 2017, 65 millions de Chinois vivant en zone rurale sont sortis de la pauvreté, soit l’équivalent de la population d’un pays européen comme la Grande-Bretagne, la France ou l’Italie !

L’ONU elle-même est obligée de reconnaître cette réalité – dévastatrice pour tous les prêcheurs droit-de-l’hommistes –, face au constat de l’échec patent des programmes occidentaux de lutte contre la pauvreté. C’est ainsi qu’une conférence a eu lieu à Rome du 6 au 8 juin, co-organisée par deux agences chinoises anti-pauvreté et trois organisations de l’ONU, avec la participation de quatre pays africains – le Tchad, le Kenya, le Sénégal et le Ghana. L’objectif affiché est d’éradiquer la pauvreté et la famine sur le continent africain d’ici 2030.

De plus, derrière les roulements de mécaniques du ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini, qui joue la provocation contre la France et l’UE, plusieurs personnalités, y compris au sein du gouvernement, prônent une approche plus réaliste qu’un barricadement stupide et stérile aux frontières. En témoigne le fait que, tandis que l’Aquarius faisait route vers l’Espagne sous le feu des projecteurs médiatiques, le navire Diciotto des gardes-côtes italiens accostait discrètement à Catane avec 932 migrants à son bord.

Le professeur Michele Geraci, le nouveau sous-secrétaire d’État au ministère italien du développement, vient de publier un mémorandum appelant à une coopération entre l’Italie et la Chine. « L’Afrique et les migrants ? Qui peut aider l’Afrique ? La Chine », écrit-il. Geraci souligne le fait que la Chine, grâce aux projets et aux investissements qu’elle réalise en Afrique, a pour la première fois fait reculer la pauvreté sur le continent.

La clé est le co-développement, comme nous le défendons à S&P depuis toujours. Cela implique d’en finir avec le système colonial et impérial et de jeter à la rivière la mentalité de jeu à somme nulle qui y correspond, où l’on cherche à rafler la mise au détriment des autres. Cela implique bien sûr de se battre pour la reconstruction de l’Afrique, mais qui soit associée à une reconstruction de l’Europe pour que celle-ci retrouve son âme et une morale liée au développement humain et intégré des deux côtés de la Méditerranée, en amenant partout l’esprit des Nouvelles Routes de la soie.

Le prochain sommet européen des 27 et 28 juin devrait en être l’occasion. Comme le propose dans sa récente déclaration notre amie Helga Zepp-LaRouche, présidente internationale de l’Institut Schiller, les dirigeants européens devraient y inviter la Chine et plusieurs pays africains. On peut douter qu’ils le fassent, tant ils persistent dans leurs vieilles habitudes. À nous donc de montrer la voie !