Après l’Otan, la ’relation spéciale’ anglo-américaine dans la ligne de mire de Trump

lundi 16 juillet 2018

Brexit, « relation spéciale » avec Washington... Pour Londres et son statut privilégié, les nuages noirs s’accumulent depuis des mois, et la tempête est désormais déclenchée. Le ministre du Brexit, David Davis, a démissionné le 8 juillet, suivi le lendemain par l’excentrique ministre russophobe des Affaires étrangères, Boris Johnson ; plusieurs autres membres du gouvernement, députés et dirigeants du Parti conservateur ont à leur tour démissionné ou lâché le gouvernement. Certains disent qu’il pourrait y avoir une démission par jour jusqu’à ce que Theresa May jette l’éponge. « C’est le moment ‘Zero Dark Thirty’ auquel une action sérieuse pour sortir May devient probable (…) Elle n’en est pas à ce point – mais dangereusement proche », écrit The Guardian.

Ces départs sont motivés par l’opposition au plan de Brexit « soft » négocié par la Première ministre avec l’Union européenne, qui maintiendrait selon eux le Royaume-Uni sous le diktat économique de l’UE (hormis les secteurs de l’agriculture et de la pêche), tout en étant privé d’une voix au sein de l’Union. La grande peur est surtout que cela ne porte au pouvoir le dirigeant du Labor party, Jeremy Corbyn. « Si nous ne livrons pas un Brexit en esprit comme de nom, nous risquons de donner les clés du 10, Downing Street à Jeremy Corbyn », a déclaré Ben Bradley, membre de la Chambre des Lords, après avoir démissionné de son poste de vice-président du Parti conservateur.

À cette humiliation s’est ajoutée pour May celle de l’intervention de Donald Trump, qui venait d’arriver à Londres, au moment-même où le ministère du Brexit publiait le « livre blanc » de 104 pages décrivant la « future relation » entre l’UE et la Grande-Bretagne après le Brexit. Dans une interview publiée par The Sun, le président américain déclarait que « s’ils concluent un accord comme celui-ci, nous traiterons avec l’Union européenne plutôt qu’avec le Royaume-Uni, ce qui va probablement tuer l’accord [de libre-échange avec les États-Unis] ».

Qu’est-ce qui est réellement en jeu ? La démission de Boris Johnson est moins déterminée par le Brexit que par son opportunisme à l’idée de prendre la place de Theresa May, et par la volonté d’une partie des élites britanniques liées à la City de Londres de reprendre les choses en main.

En effet, les récents développements, avec la rencontre du 12 juin à Singapour entre Kim Jong-un et Donald Trump, le sommet Trump-Poutine à Helsinki, et l’esprit de coopération internationale autour des Nouvelles Routes de la soie de la Chine, menacent de façon dramatique l’ordre mondial façonné par Londres et Wall Street depuis la fin de la IIe Guerre mondiale.Le retournement du « Russiagate » contre leurs auteurs aux États-Unis (et bientôt en Grande-Bretagne), ouvre de plus en plus le champ à une détente entre l’Amérique de Trump et la Russie de Poutine. Il n’échappe d’ailleurs à personne que les inculpations vendredi de douze membres du renseignement russe aux États-Unis par le procureur spécial Robert Mueller ne sont rien d’autre qu’une tentative désespérée de saboter le sommet d’Helsinki.

Le narratif visant à faire de la Russie un ennemi du « monde libre » occidental s’essouffle petit à petit, les mêmes rengaines et mensonges commençant à lasser le public. En démontre la dernière tentative de lancer une nouvelle affaire « Novichok » en Grande-Bretagne. Interviewé par Sputnik, l’ancien ambassadeur britannique en Syrie Peter Ford a déclaré : « [Les dirigeants britanniques] sont allés trop loin. Ils se sont mis dans un trou, et ils le creusent eux-mêmes de plus en plus ».

C’est bien entendu la rencontre entre Trump et Poutine à Helsinki qui provoque des surchauffes dans les cerveaux des impérialistes anglo-américains et de leurs plumitifs attitrés dans la presse occidentale. Non seulement ils ne sont pas parvenus à l’empêcher, mais le tête-à-tête prévu pour débuter la rencontre, sans aucun conseiller, leur fait redouter le pire.

Lors de sa conférence de presse à la fin du sommet de l’Otan, le président Trump a réitéré son refus de voir en Poutine un ennemi. « C’est un compétiteur », a-t-il affirmé. « Il a été très gentil avec moi chaque fois que je l’ai rencontré, et j’ai été gentil avec lui. (...) Est-ce un ennemi ? Non, ce n’est pas un ennemi. Est-ce un ami ? Non, car je ne le connais pas assez. Mais les deux fois où j’ai pu le rencontrer, ça s’est très bien passé, comme vous l’avez vu ». Et à la question posée sur ce qu’il attend de son entrevue avec le président russe, il a répondu que le but ultime serait « qu’il n’y ait plus d’armes nucléaires nulle part dans le monde ; plus de guerre, plus de conflits. Trouver des remèdes pour chaque maladie touchant les hommes et les femmes. Cela devrait être le but ultime, okay ? Et nous partirons de là ».

Un article paru le 12 juillet dans le très anglophile Washington Post montre très bien comment Londres perçoit la menace : « Trump plonge l’Otan dans le chaos ; la relation spéciale anglo-américaine est la prochaine sur la liste », titre l’article, qui pourrait très bien avoir été écrit par le Foreign Office britannique. « Trump met cette relation en danger en intimidant la Grande-Bretagne et en traitant le plus proche et le plus important de ses alliés comme un adversaire ». Pire, « il a montré qu’il ne considère pas du tout la relation avec la Grande-Bretagne comme spéciale ». Le WaPo rapporte par ailleurs que « l’establishment de la défense britannique est horrifié de voir Trump persister dans sa vision angélique de Vladimir Poutine ».

Comme S&P l’a toujours souligné, si l’argent – le muscle – est américain, le cerveau est britannique. La « Special Relationship » entre les États-Unis et la Grande-Bretagne représente un maillon essentiel des élites d’outre-Manche pour préserver cette organisation criminelle que nous appelons l’Empire britannique de la City et de Wall Street. Elles seront prêtes à tout pour la préserver. Mais comme nous avons pu le constater ces derniers temps, leurs actions ont tendance à se retourner contre elles comme des boomerangs. En effet, il ne faut pas exclure que le processus échappe au contrôle des cercles souhaitant mettre Boris Johnson au pouvoir, et que Jeremy Corbyn soit élu lors d’élections législatives anticipées.

C’est ce qu’on peut souhaiter de mieux pour nos amis britanniques.