L’Italie provoque l’effroi dans la maison maastrichtienne

vendredi 14 septembre 2018

Giovanni Tria, ministre italien de l’Economie, et son homologue chinois Liu Kun.
ANSA

L’Union européenne actuelle ressemble à un grand mollusque fatigué, empêtré dans les marécages, et qui, voyant la vie gaillarde et florissante se manifester autour de lui, de l’Afrique à la Chine, tente péniblement de lever le bras pour se faire entendre.

Ce bras, c’est celui de Jean-Claude Juncker, qui a attendu la fin de sa présidence de la Commission européenne pour découvrir que l’Afrique « n’a pas besoin de charité » et pour promettre une « nouvelle alliance » entre nos deux continents, avec à la clé dix millions d’emplois en cinq ans.

Comme si les Africains pouvaient encore accorder une quelconque crédibilité à cette UE qui s’est faite très complaisante envers les multinationales occidentales qui pillent l’Afrique depuis des décennies, tout en se donnant bonne conscience avec sa politique d’aide au développement. Sans parler de l’absence totale d’humanité envers les réfugiés, qu’elle regarde couler dans la Méditerranée en versant des larmes de crocodiles, alors qu’elle s’était opposée il y a cinq ans au projet Transaqua de remise en eau du lac Tchad qui serait une contribution forte à ce processus d’industrialisation de l’Afrique !

De plus, cette soudaine vocation humaniste de l’UE vis-à-vis de l’Afrique doit en faire rire plus d’un, puisqu’elle survient tout juste à la suite du sommet Chine-Afrique à Beijing, où le continent, presque comme un seul homme, vient de poser un pied résolu et enthousiaste sur les Nouvelles Routes de la soie.

Car, n’en déplaise à M. Juncker, qui souhaiterait que les relations commerciales entre l’Europe et l’Afrique se fassent non plus de manière bilatérale mais « de continent à continent », le monde nouveau qui se dessine va dans un tout autre sens. Et c’est ce que comprennent de plus en plus de pays en périphérie de l’Europe. C’est le cas de l’Italie, qui vient de signer avec la Chine un protocole d’accord (« Memorandum of understanding ») pour une coopération sino-italienne dans le développement économique de l’Afrique.

Ce protocole a été signé à l’occasion de la visite en Chine du ministre de l’Économie Giovanni Tria (qui a choisit d’effectuer son premier déplacement à l’étranger à Beijing au lieu de Bruxelles, comme de coutume) et du ministre du Développement économique (MISE) Michele Geraci. Le communiqué du MISE déclare que « par le biais de ce protocole, l’Italie et la Chine s’engagent à explorer les possibilités de coopération en pays tiers. Le premier objectif de cette nouvelle coopération sera l’Afrique, un continent destiné, de par sa forte démographie et ses perspectives de croissance, à attirer de plus en plus l’attention des pays européens et de l’Italie en particulier, à la fois pour gérer le phénomène migratoire et pour ouvrir de nouveaux marchés à nos entreprises, ainsi que pour relever avec les pays africains les défis du développement, de la croissance économique et de la durabilité ». Rappelons au passage que Solidarité & progrès promeut l’idée de partenariats franco-chinois en pays tiers.

Au cours de son interview le 31 août avec la chaîne de télévision chinoise CGTN, Giovanni Tria a fait l’éloge de l’Initiative une ceinture, une route (ICR) — autrement dit les Nouvelles Routes de la soie — non seulement comme un projet économique majeur, mais aussi comme « un projet visant à améliorer la coopération entre les pays impliqués et, de cette manière, à guider les grands changements de l’économie mondiale ».

Alors qu’il venait de rencontrer son homologue chinois Liu Kun, Tria a décrit comme de « fausses informations » les rumeurs selon lesquelles l’Italie cherchait à financer sa dette publique auprès de la Chine ; il a ajouté toutefois, en une pique à l’intention de l’UE et de la Banque centrale européenne (BCE), que « les investisseurs nationaux ou étrangers décident d’eux-mêmes s’ils veulent investir dans notre dette publique. Jusqu’à présent, ceux qui l’ont fait ont eu un très bon rendement ».

Davantage que la très médiatisée agitation de Salvini autour de la question des réfugiés, cette ouverture franche de l’Italie vers la Chine, et qui plus est en faveur du développement de l’Afrique, provoque des sueurs froides dans les chancelleries européennes, et chez les gardiens de la bonne morale budgétaire. Car, si le nouveau gouvernement italien a assuré qu’il respectera bien les « contraintes » européennes (c’est-à-dire les critères de Maastricht) – sans doute pour se prémunir d’une attaque des marchés financiers –, tous les observateurs notent qu’il n’a pas modifié d’un iota ses intentions de baisses d’impôts et d’augmentation des dépenses. Le bruit court qu’il s’apprêterait à présenter un plan d’émissions d’emprunts dépassant les 400 milliards d’euros auprès de la BCE (deux fois plus que les émissions annuelles françaises !)

Dans une tribune parue le 30 août (c’est-à-dire au moment de la visite de Tria et Geraci en Chine) sur le site Atlantico, l’ancien analyste de l’information économique de TF1 et LCI, Jean-Marc Sylvestre, exprime de manière clinique la panique qui s’empare des élites européennes : « L’Italie prépare une bombe capable de faire exploser l’Europe et de lui faire perdre sa souveraineté politique », se lamente-t-il. Et de décrire le scénario tant redouté d’une rupture entre Rome et Bruxelles, suite au rejet de son programme d’endettement, et d’une crise financière poussant l’Italie – oh, horreur ! – dans les bras des États-Unis de Trump et de la Chine de Xi Jinping. « Tout cela, à quelques mois des élections européennes. Du pain béni pour les courants extrémistes et pour les mouvements qui revendiquent souvent un autre système qui serait affranchi des contraintes maastrichtiennes ».

Les chimères de la « souveraineté européenne », du libre-échange et des vertus de l’austérité budgétaire ont fait long feu. À nous de montrer qu’une autre alternative existe au lieu d’un populisme sans stratégie et sans vision à long terme.