À l’ONU, le théâtre d’ombre du "multilatéralisme" vs "unilatéralisme"

vendredi 28 septembre 2018

Au-delà de la grand-messe de l’Assemblée générale des Nations unies, et des analyses à l’infini des experts décryptant les mouvements des ombres sur les murs de la caverne, il est utile de rappeler ce que sont les vrais enjeux actuels : mettre enfin un terme à l’ère de la géopolitique et de l’impérialisme néolibéral anglo-américain, et redéfinir les relations internationales sur la base du respect de la souveraineté de chaque État-nation et des principes de l’économie physique et du progrès humain.

À New-York, nos amis militants du LaRouche political action committee (LPAC, le mouvement de l’économiste américain Lyndon LaRouche) ont fait circuler parmi les membres des délégations des différents pays représentés l’appel-pétition de l’Institut Schiller pour un nouveau Bretton Woods, c’est-à-dire un sommet réunissant en premier lieu les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde pour mettre en place un nouveau système de relations internationales gagnant-gagnant (merci de le signer en ligne ICI).

Faux multilatéralisme et faux souverainisme

Les médias français se sont abondamment payés de mots pour réduire le débat aux « deux visions opposées du monde », entre l’ « unilatéralisme » de Trump – renvoyant aux souverainismes et autres nationalismes populistes qui émergent partout dans la région transatlantique du monde – et le « multilatéralisme » défendu avec une passion « percutante » par Macron.

Le président français, dans un emportement émotionnel embarrassant et dont le pupitre de la tribune a fait les frais, a fustigé l’unilatéralisme et sa « loi du plus fort », sans jamais nommer les États-Unis. Ce qui est quand même gonflé pour quelqu’un qui conforme en tous points sa politique à l’idéologie économique néolibérale – précisément darwinienne – et pour le président d’un pays qui, au travers des trois dernières présidences, et encore aujourd’hui, s’est soumis à la politique néoconservatrice des administrations Bush et Obama.

« Nous vivons une crise profonde de l’ordre international libéral westphalien que nous avons connu parce qu’il a échoué pour partie à réguler ses propres dérives financières, sociales, climatiques », a déclaré Macron. Aucun journaliste n’a jugé utile de commenter cette référence à l’ordre « westphalien », soit par ignorance, soit par mépris pour le public. Cette remarque mérite pourtant réflexion, car les problèmes du monde actuel ne découlent pas de l’ordre westphalien que nous avions. Issu du traité de paix qui avait mis fin en 1648 aux guerres de religion, ce traité organisait les nations souveraines en une communauté d’intérêts et de destin.

La crise profonde que nous connaissons aujourd’hui découle, au contraire, de la mondialisation financière qui est la négation même de l’ordre westphalien et dont l’un des champions fut l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, qui en a même élaboré une doctrine, énoncée à Chicago en 1999. Car de la fin des États-nations souverains découle l’idée de Blair d’un ordre basé sur « la responsabilité de protéger », c’est-à-dire la possibilité pour les pays les plus puissants de la planète d’outrepasser la loi de non ingérence inscrite dans la Charte de l’ONU et d’utiliser des prétextes, parfois construits de toutes pièces, pour intervenir militairement dans les pays du Sud.

Rappelons que c’est Tony Blair qui est à l’origine des mensonges sur le régime de Saddam Hussein, repris ensuite par l’administration américaine Bush-Cheney, et qui, sur la base de ce mensonge, a mis en œuvre un nouvel impérialisme qui a plongé dans le chaos l’Irak, la Libye, la Syrie et l’ensemble de la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord.

Le multilatéralisme oui, mais encore faut-il savoir de quoi on parle.

De son côté, Trump prône la politique de bon voisinage et se fait le chantre du souverainisme – « J’honore le droit de chaque nation présente dans cette enceinte d’avoir ses propres coutumes, traditions et croyances. Les États-Unis ne vous dicteront pas comment vous devez vivre, travailler ou prier » – uniquement pour promouvoir les intérêts bien unilatéraux de son pays. Dans le même discours, Trump ne s’est pas gêné pour entonner les vieilles rengaines de l’impérialisme américain à propos du « boucher » Assad et pour proférer de nouvelles menaces contre le régime iranien.

Pour un nouvel ordre westphalien gagnant-gagnant

Bien que Trump s’affirme favorable au rétablissement d’un dialogue avec la Chine et la Russie, son ambition pour une « America First » le mettra nécessairement aux prises avec d’autres pays pour assurer le leadership américain. Cette faille est exploitée par les courants ultranationalistes dans son administration qui cherchent à l’entraîner dans une confrontation contre la Chine.

C’est ainsi qu’à la tribune de l’ONU le président américain a accusé la Chine d’essayer d’interférer dans les élections de mi-mandat, qui auront lieu le 6 novembre. Au même moment, le Département d’État américain annonce la vente de 330 millions de dollars d’armes à Taïwan, tandis que des pressions terribles sont mises sur les pays d’Amérique centrale et des Caraïbes – notamment le Salvador, la Bolivie et la République dominicaine – qui ont récemment rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan pour pouvoir rejoindre l’Initiative une ceinture, une route (ICR) de la Chine (les Nouvelles routes de la soie).

Le ministre des Affaires étrangères, Wang Yi, qui dirigeait la délégation chinoise à New-York, a immédiatement répondu en rappelant d’ailleurs les principes essentiels issus du Traité de Westphalie :

Les accusations envers la Chine sont erronées et irresponsables ; si elles restent non prouvées, elles mettront à mal les progrès réalisés dans les relations sino-américaines en 40 ans, ce qui sera dommageable aussi bien pour nos deux pays que pour la communauté internationale. (…) La stabilité et l’amélioration des relations entre la Chine et les États-Unis est fondamentale pour nos pays et pour nos peuples, et c’est également indispensable pour la paix, la stabilité et le développement mondiaux. (…) À travers l’expérience des 40 dernières années, les deux parties ont appris que seule la coopération permettra de créer les conditions d’une relation gagnant-gagnant, et qu’une logique d’affrontement ne peut que mener à un scénario perdant-perdant.

Le 26 septembre, le Global Times, quotidien reflétant la pensée du gouvernement chinois, a publié un éditorial revenant sur le discours du président américain :

Il est bien entendu positif que Trump ait insisté sur l’idée de la souveraineté nationale dans son discours. Cependant, il est évident que la souveraineté ne pourra jouer un rôle positif que si des conditions d’égalité sont établies au préalable, principe de base auquel tout le monde doit compter. Historiquement, le concept de souveraineté et d’égalité entre les nations sont nés au moment de la paix de Westphalie, le premier traité de paix à avoir établi et garanti l’égalité de la souveraineté nationale. De nos jours, l’indivisibilité de la souveraineté et de l’égalité portent toujours une signification cruciale pour le monde.

Récemment, les États-Unis ont transgressé certaines des règles essentielles à la stabilité du système international, affectant considérablement le système multilatéral.

Précisons que, contrairement aux Européens, qui reprochent sensiblement la même chose à l’administration Trump, les Chinois font ici référence à la dérive néoconservatrice des États-Unis depuis l’administration Bush, Jr.

Nous espérons sincèrement que cette emphase sur le concept positif de la souveraineté nationale puisse encourager Washington à mener une réflexion sur la morale internationale, et à se libérer de l’arrogance et de l’égoïsme qui ont cours actuellement. Le président Trump a déclaré que les États-Unis rejetaient ‘l’idéologie du mondialisme’, mais cela ne devrait pas entrer en contradiction avec le fait de s’acquitter de ses responsabilités internationales. En tant que première économie mondiale, les États-Unis ne peuvent pas prospérer sans une coopération élargie à de nombreux autres pays. Par conséquent, l’unilatéralisme et la stratégie du ‘winner takes all’ [le gagnant rafle la mise]— qui est l’opposé du multilatéralisme et de la stratégie gagnant-gagnant – sera irréalisable.