11 novembre : sommes-nous somnambules ?

jeudi 8 novembre 2018, par Helga Zepp-LaRouche

Sommes-nous somnambules ?
N’avons-nous rien appris de ce qui a déclenché la Grande Guerre ?

Déclaration de Helga Zepp-LaRouche, présidente du Büso, le parti politique allemand frère de Solidarité et Progrès :

Aujourd’hui, le 3 novembre, les quelques jours qui séparent les élections américaines de mi-mandat de la rencontre entre les présidents Trump et Poutine qui va avoir lieu à Paris, lors de la commémoration de la fin de la Grande Guerre, déterminera si le monde ira vers la guerre ou vers la paix.

A l’ordre du jour de la rencontre, l’annulation unilatérale par les Etats-Unis du traité sur les forces nucléaires intermédiaires (INF) et, espérons-le, l’esquisse d’une voie permettant aux deux supergrands, en dépit des tensions, d’écarter une conflagration conduisant l’humanité à l’extinction.

Lors de mon récent déplacement à Moscou, au cours de mes rencontres avec des représentants d’institutions de premier plan, j’ai recueilli des impressions de première main sur la situation stratégique mondiale, vue de Moscou. Devant les actions de l’Occident et de l’OTAN – l’extension de l’alliance militaire jusqu’aux frontières de la Russie, la mise en place du dispositif de défense anti-missile en Roumanie et en Pologne (rapidement transformable en système offensif), le non-renouvellement du traité ABM et maintenant de l’INF, ainsi que la vaste palette d’accusations saugrenues lancées contre une Russie présentée comme un pays ennemi et un Poutine dépeint comme le diable en personne – la direction russe s’est clairement rendu à l’évidence qu’une guerre n’est plus à exclure.

Ajoutons que le 26 octobre, le directeur adjoint en charge de la non-prolifération des armes nucléaires et du désarmement au ministère russe des Affaires étrangères, Andrey Belousov, a déclaré devant l’ONU à New York :

Récemment, lors d’une réunion, les Etats-Unis ont affirmé que la Russie prépare la guerre. Oui, la Russie prépare la guerre, je peux vous le confirmer. Nous nous préparons à défendre notre patrie, notre intégrité territoriale, nos principes, nos valeurs, notre peuple – nous nous préparons à une telle guerre (…) La Russie se prépare à la guerre, et les Etats-Unis préparent la guerre. Sinon, pourquoi les Etats-Unis se retirent-ils du traité, renforcent leur potentiel nucléaire et adoptent une nouvelle doctrine nucléaire ?

L’analyste militaire russe Mikhail Kodarenok.

D’autre part, le 31 octobre, sous le titre « Guerre nucléaire : un scénario hypothétique et les options de frappe russe », Mikhail Khodarenok, commentateur militaire de Gazeta.ru, a sobrement décliné sur le site de RT, l’enchaînement des phases successives d’un conflit lors d’une situation d’urgence stratégique. Il a souligné qu’il n’existe, ni sur le plan financier, ni sur le plan territorial ou idéologique, aucun motif susceptible de conduire à une frappe nucléaire globale.

Cependant, l’auteur détaille le déroulé des décisions, procédures codées et enchaînement des ordres de commandement pouvant aboutir au lancement des arsenaux nucléaires. Ainsi, dès qu’une attaque massive de missiles intercontinentaux à partir du territoire américain et de leurs sous-marins est détectée, les trajectoires des missiles permettent d’identifier les cibles visées en Russie et leur temps d’arrivée. La défense russe opérant sur la base du « lancement sur alerte » laisse 7 à 9 minutes à la direction russe pour répondre par une riposte massive partant du territoire russe et des zones maritimes avoisinantes.

Dans le scénario du pire, poursuit Khodarenok, la direction politique et militaire n’aurait plus accès aux systèmes de communication et se retrouverait donc dans l’incapacité de transmettre les instructions nécessaires. Dans ce cas, l’équivalent moderne du système « Périmètre », également connu sous le nom « Main morte », un système de riposte nucléaire automatique globale développé lors de la Guerre froide, deviendra instamment opérationnel.

Khodarenok conclut que toutes les options d’un emploi d’armes nucléaires impliqueraient un désastre pour les parties en présence et toutes les nations du monde. Car l’« hiver nucléaire » qui suivrait ôterait la vie de ceux ayant survécu l’Armageddon nucléaire. Implicitement, Khodarenok rappelle au monde que l’existence de ce système, connu par tous lors de la Guerre froide, a fait place au fantasme d’une « guerre nucléaire tactique » qu’une des parties est supposée pouvoir gagner.

Le lieutenant-général américain Ben Hodges (cr).

L’ancien commandant des Forces américaines en Europe, le lieutenant-général Ben Hodges (cr), prenant récemment la parole à l’occasion du Forum sur la Sécurité à Varsovie, a déclaré sans état d’âme que pour les Etats-Unis, la possibilité d’une guerre avec la Chine dans les quinze prochaines années est très élevée.

Interrogé par le site américain Daily Beast, Hodges a affirmé qu’il voulait faire comprendre aux Européens qu’une guerre à la fois avec la Russie et la Chine impliquerait un déploiement plus important de l’arsenal américain dans le Pacifique.

Etant donné l’accumulation de telles déclarations belliqueuses de la part de diverses personnalités militaires (surtout américaines et britanniques), ainsi qu’à la lumière des nombreuses provocations du type des manœuvres Trident Juncture simulant une attaque d’un pays membre de l’OTAN par « un pays », il est de la plus grande urgence de se rendre compte que toute utilisation de l’arme nucléaire provoquera le déclenchement de ce mécanisme « Doomsday » (En français : « fin du monde »).

Comme l’a précisé l’analyste militaire Ted Postol, il est dans la nature même de la guerre nucléaire qu’en cas d’urgence toutes les armes seront utilisées.

A l’occasion du centenaire de l’Armistice mettant fin à la Grande Guerre, qui débuta par la mise à l’écart de Bismarck en 1890, suivi d’un quart de siècle de manipulations géopolitiques d’origine britannique – de l’Entente cordiale jusqu’à l’attentat de Sarajevo, qui n’en fut que le déclencheur, en passant par la Triple Entente, la guerre russo-japonaise et les guerres des Balkans, il est important de se rappeler avec quelle facilité l’humanité peut marcher en somnambule vers la guerre sur un échiquier programmé d’avance.

Aucune des parties engagées n’a pu anticiper l’enchaînement des événements. Pour les soldats allemands et français en particulier, qui se sont exterminés dans cette boucherie dépourvue de sens, cette guerre a signifié le déracinement de toute une génération, jetant les bases de la prise de pouvoir ultérieure des Nazis en prélude à la Seconde Guerre mondiale.

En Russie, le souvenir des 27 millions de Russes tombés lors de la « Grande Guerre patriotique » perdure dans les esprits, y compris parmi les jeunes générations. En Occident, par contre, le comportement de ceux qui ont vécu la Seconde Guerre mondiale reste très différent de ceux venus après. Pour beaucoup de jeunes, l’idée d’une guerre est au mieux quelque chose d’aussi « virtuel » que ce qu’offrent leurs jeux vidéo. Rien d’autre ne permet d’expliquer pourquoi les accusations sans fondement contre la Russie et Poutine soient répétées sans se soucier aucunement des conséquences éventuelles, par la pratique de la « pensée de groupe » pathologique qui caractérise aujourd’hui l’establishment occidental.

A l’opposé, en Russie, en dépit du ressentiment envers Poutine pour avoir repoussé l’âge de la retraite, une majorité très nette de la population continue à le voir comme l’homme qui a sauvé la nation et l’a libérée de l’horrible décennie passée sous Eltsine.

Généralement oubliée en Occident, mais encore bien présente dans la conscience russe, la « thérapie de choc » infligée au pays par le Fonds monétaire international (FMI), par laquelle Jeffrey Sachs a réduit de 70 % la capacité industrielle de la Russie entre 1991 et 1994. L’inflexion ainsi infligée à la courbe démographique (la population russe diminua d’un million par an) fut vécue par la population russe comme un génocide.

A l’opposé, Poutine est considéré comme un président qui a cadenassé, au moins politiquement, le pouvoir des oligarques et a mis en échec les plans occidentaux visant à reléguer la Russie, de son rang de superpuissance à celui de simple pays du tiers monde exportateur de matières premières. En Russie, Poutine est aimé et admiré pour cela. Or, pour l’establishment géopolitique occidental, qui se voit déjà en possession des vastes réserves en minerais que renferme le sous-sol russe, c’est une raison suffisance pour diaboliser Poutine.

D’après une enquête de la revue américaine Military Times auprès des troupes et personnels militaires, 46 % d’entre eux, soit presque la moitié, sont convaincus que les Etats-Unis seront amenés à faire la guerre à la Russie en 2019. Dans un article sur les dernières manœuvres de l’OTAN Trident Juncture, qu’il décrit comme une provocation inutile, le colonel Rolf Bergmeier (cr), ancien membre de l’état-major allemand et chef adjoint du département de planification de l’OTAN, rappelle que dans la stratégie actuelle de l’OTAN d’une guerre Est-Ouest, c’est l’Allemagne qui sera le champ de bataille nucléaire.

Pour les signataires du traité INF en 1987, c’est-à-dire les présidents Reagan et Gorbachev, il était clair qu’une guerre nucléaire ne pouvait être gagnée. Si les Etats-Unis confirment leur décision d’abandonner le traité INF, on risque de se retrouver rapidement dans une « crise de missiles » semblable à celle que nous avons connue en Europe au début des années 1980 (missiles SS-20 soviétiques contre Pershing américains installés en Europe, Ndt.), lorsque des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue, sachant que l’Allemagne pourrait être rayée de la carte dans un échange nucléaire Est-Ouest. Aujourd’hui, la situation est bien plus dangereuse : allons-nous marcher en somnambules vers la Troisième Guerre mondiale ?

A nous de saisir l’occasion de la fin de la Première Guerre mondiale pour en finir avec la pensée géopolitique, en la remplaçant par un nouveau paradigme prenant en considération l’humanité tout entière. Le concept du président chinois, d’une « communauté de destin partagé pour l’avenir commun de l’humanité », qui sous-tend l’initiative de la Nouvelle Route de la soie, définit ce nouveau paradigme comme une approche entièrement nouvelle dans les relations internationales, basée sur une coopération mutuellement bénéfique. Si nous avons tiré quelque leçon des tragédies du XXe siècle, nous devons apprendre à penser l’humanité différemment.