États-Unis : vers une coopération bipartisane sur les infrastructures ?

mercredi 14 novembre 2018

Conséquence inespérée des élections de mi-mandat américaines du 6 novembre, alors que les Démocrates anti-Trump et les Républicains pro-Trump ont passé l’ensemble de la campagne électorale à s’étriper, une coopération bipartisane semble désormais possible dans plusieurs domaines, notamment celui – crucial – des infrastructures.

Au soir des élections, Trump a appelé Nancy Pelosi, la dirigeante de la minorité démocrate à la Chambre et candidate pour en devenir le « Speaker » (la présidente), afin de la féliciter et lui faire une proposition. « J’ai eu hier soir une conversation avec le président Trump sur la possibilité de travailler ensemble, a déclaré la députée le lendemain. L’un des sujets qui est apparu est la construction d’infrastructures pour l’Amérique, et j’espère que nous y parviendrons. Il en avait parlé pendant sa campagne, mais n’a pas fait grand chose pour cela au cours des premières années de son mandat ».

Nancy Pelosi a souligné que de nombreux emplois pourraient être générés dans les transports, l’aménagement de l’eau, les écoles, le logement, etc. « Ces initiatives créerons des emplois bien rémunérés et apporteront une croissance économique dans les régions. Espérons que nous parvenions à travailler de façon bipartisane », a-t-elle ajouté.

Comme nous l’avons dit précédemment (lire notre chronique Les « Midterms » et la trahison de l’héritage démocrate de Roosevelt), le Parti démocrate se trouve dos au mur, suite à l’échec de sa stratégie électorale, qui a consisté en un anti-trumpisme primaire et un racolage de ce qu’on appelle en France « l’électorat Terra Nova », c’est-à-dire les classes moyennes supérieures ainsi que les minorités ethniques et sexuelles. Soit le parti persiste dans ce sens et sombre, soit il renoue avec l’héritage de Franklin Roosevelt en défense des « hommes et des femmes oubliés » contre la dictature des banques casino de Wall Street.

La question de la coopération sur les infrastructures constitue ainsi un véritable test ; ce qui n’échappe pas à l’oligarchie en place, pour qui les clivages et la stratégie du chaos sont toujours préférables. Dans son édition du 12 novembre, le Washington Post, l’un des organes centraux de la cabale contre la présidence Trump, estime que la priorité des Démocrates devrait être de sauver à tout prix le soldat Mueller (le procureur spécial) et son enquête sur la collusion supposée de l’équipe Trump avec la Russie. « Les Démocrates de la Chambre doivent considérer cette victoire électorale comme un mandat visant à mettre sous contrôle l’action de la branche exécutive, même s’ils risquent de s’aliéner les électeurs de Trump », affirme le quotidien américain.

Dans le même temps, face à la volonté affichée de Pelosi et de Trump d’engager un travail bipartisan, une faction du Parti démocrate s’est mise en branle, avec l’aide de la presse, afin de court-circuiter la candidature de la députée démocrate à la présidence de la Chambre, en faisant circuler l’idée qu’elle ne réussirait pas à obtenir la majorité des votes du groupe démocrate. La bataille fait rage.

Infrastructures : re-moraliser la « majorité épuisée »

La reconstruction des infrastructures de base aux États-Unis, comme dans l’ensemble du monde « développé », est la clé pour enrayer la gangrène de la destruction économique et de la désintégration sociale, dans un pays où les ponts s’effondrent plus vite qu’en Europe et où les vétérans des guerres d’Afghanistan et d’Irak morts par suicide sont désormais plus nombreux que ceux morts au combat.

Pour l’American Society for Civil Engeneers, c’est 4500 milliards de dollars qu’il faut investir, rien que pour simplement remettre à niveau les infrastructures existantes. Une somme clairement introuvable au sein du système actuel et rien que trois fois supérieure aux 1500 milliards évoqués par Trump en février 2018.

Dans une tribune, le député démocrate du Maryland John Delaney, l’un des promoteurs de la création d’une banque pour les infrastructures, s’enthousiasme pour le nouveau pont Hong Kong-Zhuhai-Macao que la Chine vient de construire, avec ses 55 kilomètres de long et sa durée de vie de 120 ans. « Et nous ne construisons plus rien ! » se lamente Delaney.

Les infrastructures américaines – ponts, routes, voies ferrées, hôpitaux, etc – tombent en ruine. « On ne peut plus prendre le métro ou le train sans qu’il ne tombe en panne ou déraille », écrit Paul Gallagher, membre du Comité d’action politique de l’économiste américain Lyndon LaRouche, dans son éditorial du 12 novembre. « Nous n’avons pas de trains à grande vitesse. Nous ne savons plus construire des centrales nucléaires, et l’électricité est de plus en plus chère pour les Américains. Nous ne sommes plus capables d’envoyer des hommes en orbite terrestre et de les ramener sains et saufs ».

« Est-ce parce que les États-Unis n’ont plus de bons ingénieurs et scientifiques ? demande Gallagher. Non, c’est parce que depuis la Guerre du Vietnam et la destruction par les Britanniques du système monétaire mis en place par Franklin Roosevelt à Bretton Woods, les dirigeants politiques américains n’ont plus apporté le crédit nécessaire pour la construction des infrastructures de base, sauf quand il s’agissait d’un porte-avion, d’un bombardier ou d’un nouveau tank ».

Dans une interview au Figaro, Tim Dixon, cofondateur de l’organisation More in Common, affirme que la majorité des Américains seraient enclins à soutenir une politique de coopération bipartisane. Ils ne supportent plus la polarisation surmédiatisée de ces derniers mois, qui repose en réalité sur les franges extrêmes des deux partis – les « progressistes militants » côté démocrate et les « conservateurs fervents » côté républicain. Ces deux groupes « exercent une influence considérable dans le débat public et au sein des partis politiques », explique Dixon, et ils entretiennent le clivage en réduisant tous les sujets à un affrontement entre un « nous » et un « eux ». « Mais ils ne représentent qu’un tiers de l’opinion ! Les 67 % restants forment ce que nous avons appelé une ’majorité épuisée’, éreintée par ces divisions ».

Aux États-Unis, comme chez nous en France, les infrastructures constituent le socle sur lequel repose la prospérité économique et la solidarité sociale, et sur lequel il sera possible de re-moraliser ces « majorités épuisées ». Elles établissent un « pont » entre les hommes et, dans leur extension au travers des continents (les Nouvelles Routes de la soie), entre les peuples.

Mais un « New Deal » à la Roosevelt ne sera possible qu’avec une refonte globale du système monétaire international, de façon à mettre un terme au système parasitaire de Wall Street et de la City de Londres, qui détourne l’argent de l’économie réelle et induit partout une logique de pillage.

Il faut un nouveau Bretton Woods, initié avant tout par un accord entre les quatre grandes puissances – États-Unis, Chine, Inde et Russie –, c’est-à-dire un système monétaire permettant aux nations de générer du crédit public à l’échelle de milliers de milliards de dollars ou d’euros consacrés exclusivement au développement de l’économie physique.

S&P se mobilise chaque jour pour cela.