Le rêve américain vit encore… en Chine !

vendredi 30 novembre 2018

Cette chronique fait suite à celle du 26 novembre : L’insupportable épidémie de pauvreté dans le ‘monde développé’.

Au milieu du désenchantement qui se répand actuellement aux États-Unis avec le dégonflage de l’euphorie boursière, un certain principe de réalité s’invite dans le débat. Le décor en carton-pâte de la prétendue « reprise » de l’économie américaine tombe pan après pan, laissant apparaître l’état de ruine dans lequel les quarante années de libre-marché débridé ont plongé les infrastructures et services publics américains, ainsi que la population elle-même.

L’édition dominicale du New York Times (NYT) a lancé le 18 novembre une série d’articles sur la Chine qui, dans une certaine mesure, va à contre-courant de la propagande anti-chinoise faisant rage aux États-Unis depuis quelques mois. Le journaliste Philip Pan, envoyé spécial du NYT en Asie, souligne l’erreur de jugement des Occidentaux, et en particulier des huit derniers présidents américains, tous persuadés que la Chine finirait par adopter nos préceptes démocratiques, sans quoi l’économie chinoise finirait fatalement par décliner, sous le poids d’un système autoritaire et bureaucratique. « L’Ouest était persuadé que l’approche chinoise ne marcherait pas, et que ce n’était qu’une question de temps. On attend toujours ».

Désormais, après plusieurs décennies de croissance ininterrompue, « la Chine est au premier rang mondial en terme du nombre de propriétaires de maisons, de l’accès à Internet, de diplômés universitaires, même du nombre de millionnaires, écrit Pan. L’extrême pauvreté a chuté à moins de 1 % de la population, et la Chine est devenu le rival le plus significatif des États-Unis depuis la chute de l’URSS ».

Tout en déplorant la pollution massive générée par l’utilisation des centrales à charbon, et critiquant l’Initiative de la ceinture et la route (ICR, ou les Nouvelles Routes de la soie), le NYT finit par lâcher cette évidence qui hante tellement les consciences de l’autre côté de l’Atlantique : « Le rêve américain vit encore. En Chine ». Imaginez deux jeunes de 19 ans – tous deux ayant grandi dans la pauvreté –, l’un vivant aux États-Unis et l’autre en Chine, suggère le quotidien. Lequel a « le plus de chance de bénéficier d’un ascenseur social ? » Autrefois, cela aurait clairement été l’Américain, en raison du « rêve américain ». Mais « la Chine s’est développée si rapidement que les possibilités d’y améliorer ses conditions de vie dépassent largement celles des États-Unis ». Et désormais, même si la Chine est toujours beaucoup plus pauvre dans l’ensemble que les États-Unis, « les Chinois sont devenus les chefs de file de l’indice économique le plus intangible mais également le plus précieux : l’optimisme ».

Ruines sociales

Dans ce pays qui a inscrit dans le marbre constitutionnel « la vie, la liberté et la recherche du bonheur » comme droits inaliénables de tout être humain, le niveau de pauvreté et de désespoir devient de plus en plus intolérable – surtout au fur et à mesure que se dissipe l’écran de fumée de la prétendue réussite de Wall Street.

Écrivant dans une tribune parue sur le blog The End of the American Dream (la fin du rêve américain), le chrétien conservateur Michael Snyder, qui constate le ralentissement de l’économie américaine, dresse le tableau de la situation sociale de la première économie mondiale. Il rapporte qu’un tiers des Américains ne parviennent pas à boucler leurs fins de mois. 13 millions de foyers sont officiellement en situation d’insécurité alimentaire. En 2017, le Bureau de recensement établissait à 40 millions le nombre d’Américains vivant sous le seuil de pauvreté. « Le fossé entre les riches et les pauvres est le plus important depuis les années 1920 », écrit Snyder.

L’Américain moyen n’est pas en mesure de mettre de côté 500 dollars pour pouvoir pallier à une situation d’urgence. Plus d’un foyer avec enfant sur deux dépend des banques alimentaires. 52 % des sexagénaires (soit 17,4 millions de personnes) soutiennent financièrement leurs enfants ou petits-enfants, en progression de 45 % par rapport à 2005. De plus, comme le montre une récente étude Gallup, ceux qui vivent en situation de pauvreté sont deux fois plus exposés aux dépressions et autres problèmes de maladies chroniques.

Par ailleurs, Bloomberg rapporte le 20 novembre qu’une crise de SDF touche de nombreuses villes américaines, en particulier sur la côte ouest, où une dizaine de grandes villes ont été déclarées en état d’urgence ces dernières années (dont San Diego, Tacoma, Seattle, etc). Dans une étude du cabinet McKinsey, l’économiste William Yu souligne le cas préoccupant de la ville de Los Angeles : « Je n’ai jamais vu une situation aussi choquante », écrit-il. En effet, le nombre de SDF a augmenté de 47 % depuis 2012, dont 16 % depuis 2017.

Ce sinistre social et humanitaire est le résultat d’un processus enclenché en 1971-1973, avec l’abandon par le président Richard Nixon du système de Bretton Woods, établi par Franklin Roosevelt à la fin de la guerre, et l’adoption des postulats du libre-échange britannique, ouvrant les marchés des devises et des matières premières à des spéculateurs sans foi ni loi. À l’époque, l’économiste américain Lyndon LaRouche avait prévenu que la substitution du « libéralisme » de Wall Street et de la City de Londres au système américain d’économie politique d’Alexander Hamilton, Abraham Lincoln et Franklin Roosevelt, allait entraîner un véritable pillage de l’économie réelle, et conduirait à une dépression mondiale et à une logique de guerre.

La Chine suit le chemin exactement inverse, avec 700 millions de personnes sorties de l’extrême pauvreté en 30 ans, et une politique d’équipement de l’homme et de la nature bénéficiant à une part de plus en plus importante du territoire et de la population. L’ironie est que parmi ses sources d’inspiration on trouve le New Deal de Roosevelt, Friedrich List, le fondateur du Zollverein, ainsi que la planification gaulliste. Elle peut aussi les trouver dans des périodes de développement économique très importantes qu’elle a connu dans sa longue histoire.

Alors, au lieu de passer notre temps à projeter sur la Chine nos propres vices et manquements, nous devrions plutôt y voir un miroir de ce que nous avons été et que nous ne sommes plus. C’est le premier pas pour sortir de l’ornière dans laquelle nous nous sommes laissés enfermer.