L’Italie reprendra-elle le chemin d’une renaissance de l’économie physique ?

lundi 21 janvier 2019

Le bras de fer entre Rome et Bruxelles se poursuit. Et malgré la volonté manifeste des institutions européennes de casser l’Italie, et de la mettre à genoux comme elles l’avaient fait en 2015 avec la Grèce, le gouvernement de la coalition Lega-M5S garde le cap sur son programme visant à en finir avec l’austérité budgétaire et à renouer avec une politique d’investissements publics dans l’économie réelle.

Dans une lettre datée du 5 décembre et récemment rendue publique, la BCE a ordonné à la Monte dei Paschi (MPS), la banque de Sienne, d’augmenter sa réserve spéciale pour pertes sur créances afin de couvrir 100 % des prêts non performants en sept ans, ce qui revient à demander à MPS de mettre une étiquette « valeur zéro » sur ses prêts. En réaction, les valeurs des actions des banques italiennes se sont effondrées le 14 janvier à la bourse de Milan, la MPS chutant de 10 %.

Il s’agit d’un « deux poids deux mesures » éhonté car, tandis qu’elle s’attaque aux banques commerciales italiennes, la banque centrale permet aux banques d’investissement de garder leurs actifs toxiques, comme les produits dérivés de niveau 3, ultra toxiques, que détient la Deutsche Bank à hauteur de 23 milliards d’euros (!).

Pour les Italiens, il est clair qu’en agissant ainsi, la BCE cherche délibérément à déstabiliser le système bancaire italien, avec un double objectif : détruire les banques commerciales et les absorber dans la soi-disant Union des marchés de capitaux, tout en plongeant le gouvernement « populiste » de Rome dans une crise.

Le ministre italien de l’Intérieur Matteo Salvini a immédiatement accusé la BCE de vouloir détruire le système bancaire italien, soulignant que cela risquait de coûter 15 milliards d’euros à l’Italie. Cette action montre que l’institution de Francfort « fait un usage politique de ses pouvoirs », a-t-il déclaré, et que, bien loin de protéger la stabilité du système bancaire, l’Union bancaire ne fait que le déstabiliser.

La séparation bancaire revient sur la table

Invité sur un plateau TV le 17 janvier, le vice-Premier ministre Luigi di Maio (M5S) a affirmé qu’avant d’intervenir dans la crise de la MPS, le gouvernement compte mettre en œuvre l’une des promesses de la coalition : « une loi séparant les banques spéculatives des banques commerciales, c’est-à-dire les banques faisant des prêts à l’économie réelle. (…) Cela s’appelle le ’Glass-Steagall Act’, et nous devons le faire dès que possible ». Comme l’a rappelé le journaliste interrogeant Di Maio, l’équivalent de la loi Glass-Steagall de Franklin Roosevelt, établi en Italie en 1936, avait été révoqué en 1995, notamment par Mario Draghi (actuel président de la BCE) qui était à l’époque directeur général du ministère du Trésor public italien.

Di Maio a ajouté que le gouvernement avait également l’intention de créer en 2019 une « banque publique d’investissements » dédiée au soutien des entreprises. A ce sujet, malgré les concessions accordées à Bruxelles sur le déficit public, le gouvernement de la coalition prévoit toujours d’investir 50 milliards d’euros – qui correspondent à l’excédant commercial de l’Italie – dans l’économie réelle. Paolo Savona, le ministre des Affaires européennes, a récemment déploré le sous-investissement chronique des dernières années.

En effet, dans la période 2001-2017, l’Italie a investit à un taux de 2,7 % du PIB, en-dessous de la moyenne de 3 % au niveau européen. « Cette différence peut sembler infime, a déclaré Savona, mais en dix-sept ans cela correspond à 95 milliards d’euros, ce qui nous aurait permis de construire, par exemple, 1600 kilomètres supplémentaires de train à grande vitesses ou, si vous préférez, 900 hôpitaux modernes ».

Giuseppe Conte en Afrique : Soigner le mal à la racine

Les 15 et 16 janvier, le Premier ministre italien a effectué une visite officielle au Niger et au Tchad, deux pays membres de la Commission du bassin du lac Tchad, afin de discuter des solutions à long terme pour résoudre le problème du terrorisme et de l’immigration.

Lors de la conférence de presse conjointe avec le président tchadien Idriss Déby, Giuseppe Conte a évoqué le projet Transaqua pour la revitalisation du lac Tchad comme exemple de projet de développement. Les pays européens « ne peuvent pas rester insensibles à l’assèchement du lac Tchad, a-t-il déclaré. Si cela continue, la misère ne fera que croître, ainsi que l’émigration et la menace terroriste. Sans vision sur ces questions, nous serons dépassés ». Conte a rappelé que Transaqua, un projet de barrages et de canaux organisant l’irrigation entre le bassin du Congo et le bassin du lac Tchad, avait été à l’origine conçu par des ingénieurs italiens. « Cela implique de poser les bases pour un développement de ces territoires et donc de mieux contrôler les flux migratoires », a affirmé le Premier ministre, ajoutant que l’Italie compte se faire « l’ambassadeur » de la région du Sahel auprès de l’UE afin de promouvoir un effort plus grand en faveur du développement.

Autant pour ceux qui, à Paris, Bruxelles ou Berlin, voudraient réduire la coalition italienne à une bande de barbares populistes et racistes se barricadant derrière leurs frontières, le fusil à la main...

Raviver l’esprit de la Renaissance italienne

Plus intéressant encore, un débat émerge chez nos voisins transalpins sur la nécessité de lier économie et culture. Dans une interview avec l’agence de presse Vista News, le sous-secrétaire italien au Développement économique, Michele Geraci, a appelé à renouer avec l’esprit de la Renaissance afin de stimuler le commerce.

 J’aimerais que l’Italie utilise pleinement toutes ses capacités, a-t-il déclaré. Celles-ci couvrent un large éventail de sujets, et c’est pourquoi je parle de la Renaissance, car l’art, la culture, le cinéma, le sport, la musique et l’architecture représentent la base du système. Nous n’étions pas là à l’époque, mais j’imagine que le commerce à la Renaissance était également un produit de cette beauté, de cette irruption d’art (…). Je pense que nous devrions renouer avec cet état d’esprit, cet esprit d’unité de l’Italie et de fierté d’être italien pour les belles choses que nous avons réalisées en un millénaire, et que nous avons sans doute perdu ces dernières années.

 Mais ce ne sont pas des choses en soi, qu’on admirerait le matin avant de partir au boulot, a poursuivit Michele Geraci. Ces œuvres d’art constituent le socle sur lequel se développent les échanges commerciaux ; et lorsque nous vendons des produits fabriqués en Italie, des produits manufacturés, des produits de haute technologie, qui, dans l’imagination de nos partenaires, ne sont peut-être pas immédiatement associés à l’Italie, (…) nous devons aussi développer cette conscience dans l’imagination de nos partenaires commerciaux : l’Italie fait toutes ces choses et le fait très, très bien.