Le Q.I. de 170 de Macron et les 80 000 gueux

jeudi 14 février 2019

Après trois mois de mobilisation des Gilets jaunes, ni le gouvernement ni les « élites » françaises ne semblent disposés à changer de registre. Lors du Conseil de ministres, le mercredi 13 février, Macron a martelé : « Les démonstrations de violences doivent cesser » — manière d’accélérer la condamnation de GJ.

Il était frappant, lors de la manifestation des « Foulards rouges », de constater combien la peur des possédants vis-à-vis du peuple est désormais palpable, à fleur de peau, jusqu’au point de devenir une éruption de haine. « La chienlit, ça suffit », scandait d’une voix rauque la meute enfoulardée. « Je suis un légitimiste, affirmait l’un d’entre eux. La France a besoin d’ordre ; elle a besoin qu’on respecte ses institutions ! ». Un autre, tout en précisant n’avoir aucune sympathie particulière pour Macron, disait préférer être dirigé par « un mec qui a 170 de quotient intellectuel que par 80 000 mecs qui ont 0,2, voyez-vous ! »

Autoritarisme versaillais

On pourrait se croire revenu au XIXe siècle, à l’époque de la Commune, lorsque la bourgeoisie réactionnaire, terrorisée par le péril rouge qui avait pris possession de Paris, se barricadait comme un seul homme derrière le gouvernement retranché à Versailles ; à la différence près que les classes populaires et ouvrières vivaient alors de façon intégrées dans la capitale, tandis qu’elles en ont été littéralement chassées par la logique de la mondialisation, et que la peur est passée du rouge à un jaune dont on cherche à nous faire croire qu’ il est brun.

Et que dire de cette loi « anti-casseurs » censée « garantir le droit constitutionnel de manifester », comme l’ont répété à l’envie les sherpas du gouvernement, alors que de toute évidence elle le restreint en tous points ? En effet, tandis que l’on assiste déjà à un nombre sans précédant de gardes à vue (dont 1796 condamnations, 1300 comparutions immédiates et 316 personnes sous mandat de dépôt), la nouvelle loi prévoit la possibilité pour le préfet de prononcer des interdictions de manifester, alors qu’elles sont actuellement la prérogative des juges ; des interpellations massives jusqu’à 24h avant la manifestation ; et enfin la création d’un délit de dissimulation du visage passible de 15 000 euros d’amende et d’un an de prison.

De plus, n’est-il pas hypocrite de prétendre s’attaquer aux ultra-violents, alors que ceux-ci ont toujours pu s’introduire sans être inquiétés parmi les manifestants, et que l’un d’entre eux a même été suivi, observé et filmé (!) pendant quatre heures par des policiers en civil, alors qu’il brisait des vitres et mettait le feu à des véhicules, pour n’être appréhendé qu’en fin de journée ?

La dérive autoritaire devient d’autant plus tentante que la machine à laver les cerveaux a perdu de sa superbe. Le Parisien rapporte en effet que les grands-messes diffusées en direct par les chaînes d’information en continu dans le cadre du « Grand débat » lassent progressivement les téléspectateurs, qui étaient 700 000 le 15 janvier sur BFMTV, 475 000 le 18 janvier et 270 000 le 4 février…

Le cru et le cuistre

À l’étranger, les événements de ces dernières semaines ont fait fondre l’aura du président français comme neige au soleil, et rares sont ceux qui continuent de s’émouvoir de ses extraordinaires facultés intellectuelles. De l’autre côté du Rhin, l’on est consterné par l’arrogance et le mépris sans limites qu’il manifeste à l’encontre de sa propre population. « Imaginons qu’Angela Merkel parle de nous comme de compatriotes réfractaires au changement, lit-on dans le journal berlinois Die Tageszeitung, traduit dans le Courrier International. Qu’elle trouve chez nous un certain nombre de fainéants et beaucoup de femmes illettrées. Qu’elle range les gens qu’elle croise dans un hall de gare dans des cases, de l’autre ceux qui ne sont rien... » On se demande alors quelle crédibilité peut avoir ce président lorsqu’il vient ensuite invoquer l’esprit de réconciliation, en signant à Aix-la-Chapelle le nouveau traité franco-allemand aux côtés de la chancelière ?

Du point de vue de nos voisins allemands, le fossé entre les élites françaises et le reste de la population apparaît plus béant que jamais. Et la novlangue du néo-management, arborée de façon pédante par Emmanuel Macron à coup d’anglicismes – « business model », « start-up nation » ou « job monitoring » –, ne contribue qu’à le creuser davantage : « Ce que l’on pourrait trouver rafraîchissant, jeune, dynamique et prometteur, les ’gilets jaunes’ l’ont en horreur ; ça ne fait que renforcer leur sentiment de déclassement, de non-appartenance. Dans les zones périphériques, on ne parle guère comme ce quadra en chemise blanche », écrit Die Tageszeitung.

Emmanuel Macron est un personnage synthétique à deux facettes, comme le montrent Nicolas Domenach et Maurice Szafran dans le livre Le tueur et le poète : d’un côté, celle d’un homme moderne, brillant et cultivé, qui a construit sa légende sur sa proximité avec le philosophe Paul Ricoeur ; de l’autre, le langage cru lâché à l’envolée, sur « les professionnels du désordre », qui « fichent le bordel », « le pognon de dingue », ou encore « Dans le cul, on leur a mis profond » (dit en privé), inspiré de l’anarchiste de droite Michel Aubiard, dont Macron raffole les répliques cultes.

« Voilà un président policé et cultivé tel un jardin à la française, qui maîtrise la langue mieux que quiconque, qui pèse au trébuchet ses mots, leur portée, qui lèche ses discours et les pourlèche avec le renfort lyrique de Sylvain Fort, écrivent Domenach et Szafran. Un maître du style et de la communication, qui s’est attaché à rendre à la fonction présidentielle son prestige et s’efforce de la maintenir à distance de toute vulgarité. Or ce modèle de raffinement s’y abandonne à intervalles irréguliers, détournant le long fleuve de son propos inspiré par des accidents triviaux inconvenants ».

Rééducation économique

Toutefois, il serait une erreur de considérer Emmanuel Macron comme un individu isolé. Car il reflète l’état d’esprit d’une certaine classe supérieure agrippée à ses privilèges. La manifestation des Foulards rouges du 27 janvier était en effet pleine de ces bourgeois apparemment bien élevés se laissant aller à ce type de parler cru d’anar de droite. Par exemple, une dame, dont on sentait la marmite sur le point d’exploser, éructait : « J’en ai raz-le-bol ! La médiocrité des connaissances. Le niveau de faiblesse totale. Effarant ! Au niveau du CP. (…) Si on apprenait seulement à l’école, avant de quitter le système scolaire, de leur donner un minimum d’éducation économique – un minimum ! On prend un euro là, on le met là. Ne serait-ce que ça ! On arrêterait de raconter des conneries ! »

La même intention d’ « éduquer le peuple » sur les rudiments de l’économie est distillée partout dans le Grand débat. « Faut proposer des vraies réformes, mais la vraie réforme, elle va avec la contrainte, les enfants ! » lançait ainsi Emmanuel Macron à Bourg-de-Péage, le 24 janvier. De son côté, la secrétaire d’État Marlène Schiappa, devenue co-animatrice d’un soir avec Cyril Hanouna, expliquait : « À partir du moment où on fait rentrer moins d’argent dans les caisses de l’État, ça veut dire qu’on fait sortir moins d’argent des caisses de l’État. Ça veut dire qu’il y a moins de dépenses publiques derrière. (…) On a un critère qui est important dont ne parle pas souvent qui est la question de la dette publique ».

Et bien, parlons-en précisément ! Et parlons avant tout de l’escroquerie monumentale d’un système qui a contraint l’État, depuis qu’il ne contrôle plus la création monétaire, à s’endetter sur les marchés financiers, à payer 1400 milliards d’euros d’intérêts sur la dette en 40 ans, tout en pratiquant une austérité budgétaire aussi inhumaine qu’économiquement aberrante, et en laissant échapper chaque année 100 milliards dans les paradis fiscaux.

Plutôt que de s’en prendre aux faibles et au « pognon de dingue » des minimas sociaux, attaquons-nous aux forts et aux « dingues du pognon » des maximas spéculatifs !