Le Cachemire, point de tension au cœur des Nouvelles Routes de la soie

vendredi 1er mars 2019

La tension grandit entre l’Inde et le Pakistan dans le Cachemire, l’une des régions les plus militarisées du monde. Le 27 février, les forces aériennes pakistanaises ont abattu deux avions indiens au niveau de la ligne de contrôle, ligne de cessez-le-feu servant de frontière de facto entre l’Inde et le Pakistan au Cachemire. La veille, l’aviation indienne avait bombardé un camp d’entraînement du groupe islamiste Jaish-e-Mohammed (JEM) à Balakot, dans la province pakistanaise de Khyler Pakhtuntkwa, mobilisant pour cela douze mirages 2000, soutenus par une flotte de 30 avions Sukhoï, un ravitailleur de vol et deux AWACS (systèmes de détection et de commandement aéroporté).

Le Pakistan a fermé cinq de ses aéroports, dont celui de la capitale Islamabad, tandis que l’Inde a suspendu tous les vols à destination de l’État Jammu-et-Cachemire, et fermé temporairement l’espace aérien du Nord de l’Inde.

Cette escalade fait suite à l’attentat du 14 février dernier, revendiqué par le groupe JeM, qui a visé un convoi de 2500 membres d’une force paramilitaire indienne, près de Srinagar, au Cachemire, causant 44 morts. Suite à cet attentat, le plus meurtrier depuis 2002, le gouvernement indien a accusé Islamabad de soutenir JeM en le laissant « opérer et développer ses infrastructures terroristes » sur son territoire.

Les déclarations des deux parties, suite à l’échange des 25 et 26 février, indiquent toutefois une intention de ne pas aller plus loin dans l’escalade. Tout en niant que les forces aériennes indiennes aient pénétré l’espace aérien, le ministère pakistanais des Affaires étrangères a déclaré que les frappes étaient « préventives » et « non militaires », et qu’il ne s’agissait que de « démontrer notre droit, notre volonté et notre capacité à nous auto-défendre ».

Dans une intervention télévisée, le 27 février, le Premier ministre pakistanais, Imran Khan, a appelé au dialogue : « L’histoire nous a montré que les guerres sont souvent issus de mauvais calculs. Pouvons-nous nous permettre le moindre mauvais calcul avec le genre d’armes que nous avons et que vous avez ? », a-t-il demandé en référence à l’arsenal nucléaire des deux pays.

Contexte stratégique

Bien que l’on ne dispose pas pour l’instant d’éléments indiquant l’implication d’influences extérieures, ces tensions doivent être considérées dans la situation stratégique d’ensemble. Avec d’un côté, la tentative de coup d’État au Venezuela et la déstabilisation de l’Iran, fomentés par l’aile néoconservatrice de l’administration Trump, et de l’autre, le prochain sommet entre Donald Trump et Xi Jinping, qui devrait se tenir dans les prochaines semaines, le voyage du président Xi en Europe au mois de mars, et en particulier à Rome où l’Italie pourrait concrétiser son adhésion à l’Initiative de la Ceinture et la Route (ICR) chinoise et enfin, le second Forum international de l’ICR, qui aura lieu à Beijing au mois d’avril.

Le monde est soumis à des forces contradictoires, les unes tentant de maintenir par la force un ordre néolibéral transatlantique en faillite, et les autres organisant pas à pas un nouveau paradigme de coopération économique Est-Ouest et Nord-Sud. Il n’est pas anodin que le Venezuela et l’Iran soient deux des plus importants fournisseurs de pétrole pour la Chine. Par ailleurs, les régions frontalières entre l’Inde et le Pakistan, ainsi qu’entre l’Inde et la Chine, où demeurent des tensions latentes héritées de l’histoire, sont l’une des clés essentielles pour faire basculer le monde du côté d’un paradigme de paix et de coopération.

Ces régions se trouvent au cœur de l’ICR. Le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC), aujourd’hui en cours de construction, en constitue en effet l’un des corridors les plus ambitieux et les plus stratégiques. En reliant la province chinoise du Xinjiang au Pakistan, avant de traverser ce dernier pour atteindre la mer d’Arabie, non seulement il offrira à la Chine un accès par la voie terrestre au port de Gwadar, lui permettant de s’approvisionner en hydrocarbures en provenance du Golfe persique, mais il permettra surtout de stabiliser l’ensemble de la région grâce au développement d’infrastructures industrielles nouvelles.

En assurant une meilleure connectivité entre l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan et la Chine, et en mettant en relation ces pays avec l’Asie du Sud-Ouest, le CPEC créera les conditions pour surmonter les divisions culturelles, religieuses, linguistiques et sectaires qui abondent dans la région, en particulier au Pakistan – ce qui représente précisément un cauchemar pour toute oligarchie digne de ce nom !

Quant à la France, alors qu’elle devrait aller à la rencontre des collaborations avec la Chine, la Russie, l’Inde et de tous ceux qui tentent de faire émerger un nouveau paradigme de coopération gagnant-gagnant, elle se cramponne aux valeurs d’un ordre néo-libéral en déroute, responsable en grande partie de la fracture sociale que nous connaissons depuis le mois de novembre dernier.