Le cadre vide et les paroles gelées du pouvoir

jeudi 14 mars 2019

De par le monde, de plus en plus de citoyens réalisent que nous vivons un moment unique dans l’histoire, où il devient possible de changer son cours. Et, plus que l’oppression, le mépris et l’humiliation déployés par les pouvoirs en place pour contenir ou briser les mouvements sociaux, c’est surtout l’absence de véritable pouvoir qui convainc les populations qu’un changement est non seulement nécessaire mais possible.

On voit désormais que le roi est nu.

Le cas de l’Algérie, où son président fantôme ne s’est plus adressé publiquement au peuple depuis près de six ans, en est emblématique. Les manifestants, qui défilent par millions depuis trois semaines, brandissent comme symboles des cadres vides, en référence ironique aux portraits utilisés pour remplacer Abdelaziz Bouteflika lors des commémorations et inaugurations.

Le 12 mars, suite au renoncement de la candidature de Bouteflika, Jacques Cheminade a écrit sur son compte Twitter : « Le cadre est tombé en Algérie. La ’légitimité’ par les moudjahidines’ a lâché. L’Algérie n’est pas une monarchie. Reste à construire la République. Signe prometteur : hommes et femmes mélangés dans les rues, pas d’agressions de femmes. Volonté d’être exemplaires. Espoir. »

En France, le cri de colère et de souffrance exprimé par les Gilets jaunes, et soutenu par la majorité de la population, n’a rencontré que les balles de caoutchouc des LBD ou les projectiles des grenades de désencerclement. Certes, le président Macron n’est pas cloué dans un fauteuil comme son homologue algérien, mais son image et son discours semblent figés dans la posture suffisante et arrogante qu’on lui connaît, et les mots qui sortent de sa bouche ne sont que des paroles gelées, comme celles que rencontrent Pantagruel et Panurge dans le Quart livre.

Le Grand débat, cadré comme un formulaire administratif, ne va accoucher que d’un algorithme, dont la fonction sera de trier, classer et sous-classer les doléances et revendications. Intelligence artificielle sans conscience n’est que ruine de l’âme, dirait l’autre…

« Renaissance européenne ! » clame Emmanuel Macron dans sa tribune diffusée le 5 mars dans l’ensemble de l’UE. Pourtant, bien loin d’insuffler un esprit de renaissance portant au-delà des sentiers battus et inspirant une belle idée de l’homme et de l’Europe, il ne fait que s’adapter au pire en appelant au contrôle des frontières et de l’immigration, dans une banale tactique de drague de l’électorat de droite. Et que dire de son laïus démagogique sur la « protection des démocraties », à l’heure où l’ignorance des choix des peuples (depuis le vote de 2005 sur la Constitution européenne) et l’ingérence dans la vie démocratique des autres pays (Irak, Libye, Syrie, Venezuela, etc.) sont devenus des sports internationaux ?

Quel contraste entre ce royaume sans tête et sans vision d’un côté et de l’autre l’esprit de coopération et d’émancipation qui gagne le monde autour des Nouvelles Routes de la soie, portées par la Chine, et auxquelles participent 126 pays et 29 organisations internationales ! Ah, notre président avait prononcé de bien belles paroles, lors de sa visite en Chine début 2018, parlant de la volonté de la France de coopérer avec la Chine, et évoquant « ces routes de la soie [qui] réactivent un imaginaire de civilisation, d’échanges féconds, de richesses partagées »… Mais ses paroles se sont subitement congelées au sortir de sa bouche, au contact de l’air frigorifié et aseptisé entretenu par toute une cour de conseillers chargés de maintenir le président dans le giron de l’ordre financier et géopolitique anglo-américain.

C’est ainsi que l’on met sur pause les grands travaux, comme le Canal Seine-Nord-Europe, dont la seule construction créerait 10 000 emplois, et que l’on s’apprête à vendre les Aéroports de Paris et la Française des jeux, deux entreprises largement bénéficiaires pour l’État ! D’un autre côté, en contradiction complète avec les mots qu’il avait prononcés à Xi’an en janvier 2018, Emmanuel Macron voyage dans la Corne de l’Afrique en affichant explicitement l’intention de la France de contrer les investissements de la Chine ; et, pendant ce temps, le porte-avions Charles-de-Gaulle navigue vers l’Inde pour y effectuer des manœuvres communes dans le cadre de la « stratégie indo-pacifique », conçue par les néo-conservateurs anglo-américains comme un plan anti-Routes de la soie…

Comme nous l’avons rapporté dans notre livraison précédente, l’Italie, elle, a décidé de ne plus écouter les sirènes transatlantiques, en rejoignant l’initiative de la Ceinture et la Route (ICR). L’ancien premier ministre italien Giulio Tremonti, interviewé par le Corriere della Sera, estime que grâce à cette action, l’Italie va devenir « la passerelle de la Chine vers l’Europe. (...) L’ICR est un projet conçu dans les années 1980 par l’économiste Lyndon LaRouche, qui y voyait un moyen de sauver l’humanité. »

Il n’est cependant pas trop tard pour inverser la vapeur. À quelques jours de la visite de Xi Jinping en Europe (il sera les 22 et 23 mars à Rome, et le 25 à Paris), et du second Forum international de l’ICR, qui aura lieu fin avril à Beijing, nous devons tout faire pour pousser notre gouvernement à s’associer ouvertement à l’ICR.

Le temps est venu pour les peuples monter de nouveau sur la scène de l’histoire, avec un vrai projet de société, et pas seulement un rejet du systeme établi. C’est pourquoi il est de notre responsabilité d’apporter à l’exigence de justice et de liberté qui se lève partout une vision et un plan pour se libérer des chaînes du casino financier de Wall Street et de la City de Londres, et de la pensée court-termiste « je te nique, tu me niques » qu’il induit partout depuis plus de quarante ans.