Pour tarir le terrorisme à sa source, l’ONU soutiendra-t-elle enfin la remise en eau du lac Tchad ?

lundi 20 mai 2019

Chronique stratégique du 20 mai 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Partout en Afrique se lève un nouvel esprit d’indépendance et d’émancipation par rapport au système néo-colonial qui a perduré ces dernières années. D’autant plus du fait des excès de ce système, engendrés par la faillite du modèle ultralibéral et la fuite en avant militaire.

De plus en plus de pays africains osent désormais rompre avec la règle du jeu en se tournant vers la Chine et en particulier vers sa vision d’un monde gagnant-gagnant. Tout ce qui était autrefois jugé impossible dans le cadre de la bonne morale occidentale devient possible avec les Nouvelles Routes de la soie ; le vent d’optimisme qu’elles font souffler communique partout une force à soulever des montagnes.

La volonté du Nigéria, sous l’impulsion du président Muhammadu Buhari élu en 2015, de mettre en œuvre le vaste projet de transfert d’eau vers le lac Tchad, est emblématique de cet esprit.

Le quotidien nigérian Daily Trust a publié le 15 mai un article louant les efforts du ministre de l’Eau Suleiman Adamu en faveur de Transaqua, c’est-à-dire un vaste programme régional (qui concerne le Tchad, le Niger, la République du Centre-Afrique, la RDC et le Nigeria) permettant le transfert d’eau inter-bassin, par un canal de 2400 kilomètres, conçu par la société d’ingénierie italienne Bonifica dès les années 1960.

« L’acte le plus encourageant de l’actuelle administration au cours des trois dernières années est sans doute l’intérêt renouvelé pour sauver le lac Tchad qui se meurt », écrit le quotidien, qui rappelle que Adamu fut l’organisateur de la conférence internationale sur le lac Tchad, qui s’est tenue en février 2018 à Abuja, et à laquelle avaient participé nos amis de l’Institut Schiller.

« Les experts s’étaient alors accordés pour dire que le transfert de l’eau depuis le bassin du Congo jusqu’au lac Tchad constitue une tâche herculéenne qui nécessitera beaucoup de moyens, en temps comme en argent, et que son impact ne se fera donc pas ressentir dans l’immédiat », précise le Daily Trust. Les lois naturelles d’une véritable science de l’économie physique, en somme.

Le projet Transaqua est actuellement dans les starting blocks ; l’étude de faisabilité, financée par la Chine et l’Italie, est sur le point de débuter. Toutefois, concernant le financement, l’espoir est récemment apparu lorsque le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a donné son accord pour aider à lever 50 milliards de dollars pour financer le projet (rappelons au passage que 100 milliards de dollars fuient l’Afrique chaque année à travers l’évasion fiscale et les flux financiers illicites !)

De plus, le président Muhammadu Buhari vient d’obtenir le soutien de Maria Fernanda Espinosa Garcès, depuis juin 2018 la présidente de l’Assemblée générale des Nations unies. Lors de sa rencontre le 7 mai avec Espinosa, Buhari a insisté sur « le rôle nécessaire de la communauté internationale pour faire avancer le projet, car la remise en eau du lac Tchad dépasse les capacités financières des pays concernés », rapporte le communiqué de la porte-parole du président nigérian.

De son côté, Maria Espinosa a déclaré : « C’est un immense projet. En tant que géographe, je peux vous le dire. Quand je vois que le lac Tchad s’est réduit de 24 000 à 2 000 kilomètres carrés en à peine 40 ans, j’en conclu qu’il s’agit du plus grand désastre consécutif au changement climatique sur ce continent ».

« C’est donc un exemple parlant de la nécessité de résoudre ensemble les questions de développement et de sécurité, a-t-elle ajouté. Le président Muhammadu Buhari estime qu’il ne peut pas y avoir de paix et de sécurité sans développement comme il ne peut pas y avoir de développement sans paix ».

Buhari a décrit comment les effets de l’appauvrissement et le terrorisme se combinent dans la région. « Les mouvements de migration intérieure sont dramatiques. Il y a au moins un million d’enfants qui ne savent ni qui sont leurs parents ni d’où ils viennent ». Les dégâts sur les infrastructures, en particulier dans le Nord-Est, sont terribles : « Les ponts s’effondrent, les écoles, les hôpitaux, les églises, mosquées et autres bâtiments ont été détruits. Ils doivent tous être reconstruits, et toute forme d’aide internationale sera la bienvenue », a déclaré le président nigérian.

La France, présente dans la région depuis 2014 avec une opération Barkhane sensée combattre les groupes terroristes djihadistes, brille par son silence total sur le projet Transaqua. Pire, elle multiplie en coulisses les efforts pour l’empêcher, comme l’Institut Schiller avait pu le constater lors de la conférence d’Abuja. Pour Ségolène Royal et consorts, « sauver » le lac Tchad, c’est empêcher que le projet Transaqua se fasse. C’est une honte pour notre pays.

En janvier 2013, au moment où François Hollande lançait sa guerre au Mali, Jacques Cheminade avait écrit : « Le terrorisme ne peut être éliminé qu’en tarissant la source qui l’abreuve ; l’affronter avec les seuls moyens militaires ne revient qu’à ajouter de la violence à la violence et, en fin de compte, à entretenir le chaos au sein duquel prospère la piraterie financière et s’étend une culture de la mort, depuis les sables d’Afrique jusqu’aux écrans de nos jeux vidéos. C’est une culture de la vie qu’il faut offrir, la maîtrise de l’eau, de l’agriculture et de l’élevage, des grands travaux créant l’infrastructure nécessaire au progrès et le démarrage d’industrie nationales, un grand dessein pour tous, respectueux des minorités ».

De sages paroles dont il est aujourd’hui urgent de s’inspirer.

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