Scénario négaWatt, la négation du bonheur

vendredi 12 juillet 2019, par Benoit Odille

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Depuis quelques mois, le thème de l’écologie est revenu sur le devant de la scène comme une préoccupation fondamentale des français derrière le pouvoir d’achat et l’immigration. Dans le même temps, la vague des « collapsologues », apôtres de l’effondrement prochain de la civilisation, s’est nourrie de la peur de la croissance et du changement climatique pour imposer un débat biaisé sur la décroissance de l’humanité [1]. Cette utopie de la décroissance n’est pas nouvelle mais elle rencontre aujourd’hui une population plus ouverte qu’avant car habituée depuis des décennies à l’austérité et à l’absence de réel progrès de la société humaine. Des solutions simplistes et ouvertement dépopulationnistes viennent alors combler le manque d’ambition politique des dirigeants et caressent les gens dans le sens de leur dépit.

Dans un article précédent, L’utopie suicidaire du mix 100% renouvelables, j’avais démontré rigoureusement qu’il était impossible de fournir suffisamment d’énergie à la société française moderne avec les seules énergies renouvelables, surtout si la consommation énergétique augmentait. J’avais précisé, en revanche, que si l’on voulait vraiment ne garder que les renouvelables, alors il fallait obligatoirement mettre en place une décroissance énergétique draconienne, comme le propose le scénario négaWatt, pour que l’on n’ait pas à produire trop d’énergie et que les renouvelables n’aient pas trop de travail à faire. J’avais alors promis que je démontrerais la fraude de cette alternative négaWatt. Chose promise, chose due, voici mes arguments, qui ne valent pas seulement pour le scénario négaWatt mais pour toutes les tendances actuelles de la collapsologie et de la décroissance.

La croissance en question

Nous entrons dans une phase turbulente de l’histoire humaine où le parti du bonheur a une chance de l’emporter sur celui de la guerre et de l’oligarchie.

Ce que la Chine propose courageusement au monde depuis 2013, sa Nouvelle Route de la soie (NRS), aussi appelée Initiative de la Ceinture et la Route (ICR), et que Jacques Cheminade a proposé de bâtir depuis l’élection présidentielle de 1995, est une estocade potentiellement fatale portée au vieux système géopolitique « perdant-perdant » de l’empire anglo-américain, aussi appelé « de jeu à somme nulle », où le développement des uns se fait forcément au détriment des autres.

L’initiative chinoise est un ballon d’oxygène au milieu de la pollution mentale qui règne depuis plusieurs décennies en Occident. Cependant, il reste en Europe un obstacle de taille à surmonter pour pleinement adhérer à ce projet.

En effet, cela paraît évident, mais la NRS repose sur l’idée que l’humanité a besoin de se développer, de croître et d’accéder à un confort matériel, spirituel et moral plus grand. La NRS s’autorise à transformer la nature au profit de l’homme et envisage même l’augmentation de la population, ainsi que l’exploration de l’espace et des océans, le reverdissement des déserts, le recours au nucléaire etc. Bref, c’est une forme de croissance au bénéfice des peuples. Les européens et les français sont-ils prêts à entendre que la croissance mondiale doit s’accélérer ? Pas sûr.

Si l’on fait le calcul, d’ici 2100, l’Afrique comptera 2 milliards d’habitants, l’Asie 5 milliards. Le seul fait que ces humains accèdent au développement moderne fera exploser la demande en énergie et en matières premières, sûrement d’un facteur 10, voire 100. Il est donc illusoire de penser que des méthodes douces vont permettre de résoudre ce défi mondial. Et il est inutile de céder au sentiment de culpabilité d’avoir fait miroiter le progrès aux autres quand les ressources sont si rares. La plupart des peuples du monde veulent et chérissent l’espoir de ce développement. Ils l’ont conçu par eux-mêmes, après avoir vu les décennies de misère qu’ils ont subi. Ce mouvement de masse pour le développement est donc inarrêtable. Il faut en prendre conscience maintenant.

Car en France, aujourd’hui, parler de développement c’est mal vu, c’est délirant, c’est criminel, c’est climaticide. Je ne l’invente pas, c’est un retour d’expérience de mon militantisme politique. Lorsque je défends la NRS, j’entends beaucoup de français dire (outre que les chinois sont « dangereux, fourbes, une dictature, les nouveaux colonisateurs »...) : « Avec le développement on va détruire la planète par la pollution, le réchauffement climatique et la surpopulation », « on va imposer notre modèle occidental aux autres peuples du monde » et « on va épuiser les ressources, il n’en restera plus pour les générations futures ». Vous pouvez essayer d’en parler autour de vous, je suis sûr que vous aurez le même retour !

Déjà, l’idée qu’il y aurait un « modèle occidental de développement » que l’on imposerait aux pays du monde est simplement fausse. L’électricité, par exemple, est un principe universel. Elle n’est vue comme « occidentale » que parce qu’elle a été découverte en occident. Mais en réalité elle est découvrable et utilisable par tous les peuples du monde. De la même manière que les principes de la poudre et de la soie ont pu être utilisés par les occidentaux bien qu’ils aient été découverts en Chine.

Pour les autres arguments, je vous recommande de lire quelques dossiers S&P sur le sujet [2] et de regarder ma dernière vidéo sur La croissance infinie.

En fait, ce que la plupart des gens projettent dans leur tête lorsqu’ils pensent à la croissance et au futur, c’est ce qu’ils déduisent des méthodes actuelles de production. Et par définition, le développement croissant avec les mêmes méthodes qu’aujourd’hui est impossible, dangereux et même suicidaire. Il faut impérativement changer de méthode, nous sommes tous d’accord là-dessus. Mais il y a deux directions possibles : soit accroître l’activité humaine, soit la restreindre. Il n’y a pas d’état stationnaire entre les deux possible. Le futur est donc question de méthode et c’est bien cela que le scénario négaWatt tente de combler. Le souci, c’est qu’il part de la mauvaise définition de l’homme.

Deux images

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je voudrais que vous observiez les deux images suivantes.

A gauche, un groupe d’hommes et de femmes préhistoriques devant une grotte. A droite, deux astronautes sur la Lune devant un tunnel de lave.
iconito.fr ; John R. Lowery

Dans la première, on peut voir un groupe d’hommes et de femmes préhistoriques devant une entrée de grotte, qui leur permettait à cette époque de se protéger du froid et des bêtes. Dans la seconde, on peut voir deux astronautes sur la Lune devant une entrée de ce qui semble être une grotte, en fait un tunnel de lave solidifiée, qui leur permettra un jour de se protéger des rayonnements cosmiques. Qu’est-ce qui vous interpelle dans ces deux images ? N’est-ce pas curieux que notre espèce soit ainsi prise dans une sorte de cycle historique et revive les mêmes scènes mais transposées ?

En fait, ce qui différencie les deux images c’est la plateforme économique de chaque société. Au temps des Cro-magnons, le feu de bois, les peaux de bêtes et les grottes de pierre ont permis à l’homme d’émerger sur la Terre comme force consciente. Au temps des Astro-magnons, le « feu » nucléaire, les combinaisons spatiales et les tunnels de lave permettront à l’homme de s’adapter à un nouvel environnement, une nouvelle planète, la Lune.

Ceci détermine une caractéristique fondamentale de l’humanité qui est la permanence dans le changement. Ce qui est commun aux deux états de ces sociétés humaines c’est la curiosité d’explorer le monde qui les entoure et de trouver pour cela des alliés « naturels » (le bois/l’atome, la pierre/le régolite, la peau de bête/la combinaison) capables de les protéger.

La rapidité d’évolution de l’humanité nous fait souvent peur car elle ne paraît pas naturelle en comparaison de l’évolution de la matière rocheuse (plusieurs milliards d’années) et de la matière vivante (1 à 2 milliards d’années). Le million d’années d’existence de l’homme paraît en effet bien peu de chose devant la lenteur des autres processus. Mais cela devrait-il vraiment nous choquer ou nous étonner ? Après tout, quelle autre espèce est capable de comprendre les lois de l’univers qui l’entoure comme nous ? Quel animal, et a fortiori quelle roche, peut se targuer de maîtriser la gravitation, l’électricité, la combustion, la fission nucléaire ?

L’histoire de l’humanité est celle de la vie consciente explorant son environnement pour le peupler et l’améliorer. L’espèce humaine est la seule espèce connue douée de raison capable d’extraire la puissance de la nature pour accélérer son développement.

Notre développement, en tant qu’espèce, n’est donc limité que par deux choses : 1) la puissance de la nature elle-même, et 2) la capacité de notre société à susciter des découvertes et des connaissances nouvelles pour la maîtriser et l’utiliser à notre bénéfice. Puisque la puissance de la nature est relativement illimitée, il ne tient en fait qu’à nous de faire des découvertes et d’élargir nos connaissances. L’accélération exponentielle de la croissance humaine n’est pas une incongruité. C’est le résultat nécessaire de notre intuition créatrice en tant qu’individus humains participant à la société.

On explique ainsi l’aspect quantitatif de l’accélération. Regardons maintenant l’aspect qualitatif, ce qui fait que l’homme n’est pas resté figé dans une façon de faire, dans un mode de production donné, qu’il a transformé son rapport au monde pour s’y intégrer.

L’économiste américain Lyndon LaRouche (1922-2019) en discussion intense et passionnée avec Norbert Brainin, premier violon du quatuor Amadeus.
LaRouche PAC

L’économiste américain Lyndon LaRouche s’est battu pendant plus de 50 ans pour faire comprendre que la créativité humaine est le fondement de la création de richesse. Mais il montre que cette créativité s’exprime de façon bien spécifique, par l’accroissement dans le processus économique de ce qu’il nomme la « densité de flux énergétique ». L’homme acquiert le pouvoir, en découvrant les lois naturelles, de densifier son action et donc d’économiser ses efforts, ses ressources et son temps. En passant du bois au charbon, puis du charbon au pétrole, et du pétrole au nucléaire, il change de processus physique et permet à la société de fournir plus de travail artificiel par être humain et par unité de surface, avec de moins en moins de masse de matière. Cela permet à notre espèce de soutenir une population de plus en plus nombreuse et de plus en plus éduquée, riante et joyeuse. C’est le cercle vertueux de l’économie lorsqu’elle est correctement comprise !

Pour continuer à croître, l’humanité doit changer de plateforme économique. Mais si la prochaine plateforme repose sur des énergies à faible densité de flux énergétique (comme les renouvelables) alors la capacité de peuplement diminuera drastiquement.
S&P - Fabien Ramel

Malheureusement, depuis 50 ans au moins, la tendance libérale dans l’économie a empêché au monde de développer les outils pour « faire plus avec moins » et de là a conduit à la crise « environnementale » actuelle, c’est-à-dire en réalité à une crise d’une civilisation incapable d’anticiper ses besoins dans l’avenir pour continuer sa croissance.

C’est dans ce vide civilisationnel que s’engouffre le mouvement décroissant négaWatt pour justifier son utopie d’un retour à l’équilibre de l’homme et de la nature. Il est donc plus que temps d’en montrer les failles pour engager les français à soutenir le plus grand projet de développement que l’histoire humaine ait jamais connu.

Qu’est-ce que le scénario négaWatt ?

Créée en 2001, l’association négaWatt cherche à prouver que si l’on diminue notre consommation énergétique par la sobriété et l’efficacité, alors les renouvelables pourront fournir à la société l’énergie dont elle a besoin. Ils admettent donc implicitement que si notre consommation énergétique augmentait, alors les renouvelables ne pourraient pas faire face à cette demande.

Depuis sa création, négaWatt a écrit plusieurs rapports pour démontrer la faisabilité de leur projet (en 2006, 2011 et 2017) et entendent fournir aux français des clés pour envisager de mettre en œuvre réellement leurs propositions.

Ils ont appelé leur projet « scénario négaWatt ». Mon étude se base sur leurs deux derniers rapports de 2011 et 2017 que vous pouvez trouver ici :
négaWatt 2011
négaWatt 2017

L’hypothèse négaWatt qui dérange

Schéma résumant la philosophie de l’association négaWatt : la sobriété et l’efficacité permettront de diminuer la consommation énergétique et les renouvelables suffiront à notre bonheur.
Association négaWatt

Le point fondamental du raisonnement négaWatt c’est que la baisse de la consommation énergétique est indispensable pour que les renouvelables puissent produire assez pour tout le monde. Ce qui est cohérent avec ce que j’avais moi-même démontré dans mon précédent article. Il faut donc retenir que si cette baisse n’est pas atteinte, toute la logique de négaWatt s’effondre ! L’unique façon de rendre les renouvelables acceptables pour le futur est de diminuer drastiquement la consommation énergétique de l’humanité. Le scénario négaWatt estime que cela est possible, et même désirable, sans entraîner de perte de niveau de vie, voire même en l’améliorant. Ce qu’ils promettent c’est tout simplement le bonheur. Pari audacieux.

Mais ce bonheur ressemble un peu à un havre de paix, où rien ne bouge, où l’on aurait atteint un équilibre perpétuel et où l’envie d’exploration et de découverte, qui remet en cause l’équilibre, serait mal venue. Est-ce vraiment cela le bonheur humain ? Pour le savoir, examinons ce scénario à l’apparence si généreuse et si tentante.

C’est quand le bonheur ?

Le scénario négaWatt nous promet le bonheur en 2050 lorsque nous aurons diminué de moitié notre consommation d’énergie et aurons remplacé toutes les ressources fossiles (charbon, pétrole, gaz) et fissiles (nucléaire) par des renouvelables (biomasse, éoliennes, solaire). Après il suffira de gérer pour les siècles à venir (en n’oubliant pas de renouveler les renouvelables tous les 20 à 30 ans quand même). Il existerait donc, selon eux, un état stable de l’humanité où la consommation énergétique resterait constante pendant des siècles, voire des millénaires. Première nouvelle. Et deuxième nouvelle, selon négaWatt, la moitié de l’énergie viendrait de la biomasse (le bois en majorité). Un massacre d’arbres en perspective ! Mais passons ces remarques préliminaires et venons-en à la question qui nous intéresse : est-il possible d’augmenter son bonheur en diminuant son énergie consommée ?

L’idée est tentante et résoudrait beaucoup de problèmes, n’est-ce pas ?

La méthode négaWatt

A l’instar d’un Nicholas Georgescu-Roegen (le « père » de la théorie de la décroissance [3]), les négaWatt ont le mérite d’approcher l’économie comme Jacques Cheminade et Lyndon LaRouche, c’est-à-dire par la science physique et non par les calculs financiers.

« Ce sont bien les contraintes imposées par les données physiques qui déterminent les évolutions décrites par le scénario négaWatt » (rapport 2011, page 10)
« Notre modèle est purement physique » (rapport 2017, page 12)

C’est un point essentiel qui fait que leurs arguments valent la peine de passer du temps à les réfuter. Nous verrons que, comme Georgescu-Roegen, ce sont en fait leurs hypothèses pessimistes et négatives sur le progrès et l’expansion humaine qui posent problème.

Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), le "père" de la théorie thermodynamique de la décroissance.
Ziua de Constanta

Partant de la réalité physique des processus économiques (c’est-à-dire de la production très concrète des choses que nous consommons), les auteurs du rapport peuvent donc analyser correctement les services rendus à l’homme par l’énergie et commencer à discuter des moyens de leur appliquer la sobriété et l’efficacité.

Pour eux, c’est la demande en énergie, les besoins de consommation, qui doivent faire l’objet d’un changement, avant d’adapter l’offre. La société serait, selon eux, énergivore et gaspillerait beaucoup d’énergie dans des choses inutiles. Un autre point qui les caractérise, c’est qu’ils ne font pas d’hypothèse sur d’éventuelles « ruptures technologiques » (qu’ils disent ne pas être exclues mais « difficiles à prévoir » - rapport 2011, page 9) et restent donc très réalistes sur les capacités des technologies qu’ils modélisent. Enfin, ils n’étudient pas seulement l’énergie mais également les matières premières, l’eau et les sols.

Tout ceci démontre une rigueur dans la pensée économique qui, malgré tout, est très agréable à entendre et à lire. La discussion du long terme est très bien venue. D’autant qu’ils ont accumulé un ensemble de données physiques impressionnant et très détaillé (allant jusqu’aux données de consommation des grilles-pains !) qui permet de mieux appréhender la réalité du processus économique et de nous éduquer à « palper le réel », à l’heure où beaucoup de gens nagent dans le virtuel quotidiennement ou ne comprennent plus ce qu’on entend par « économie ».

Donc le fait qu’ils partent de l’économie physique est très bien mais les choses se gâtent assez rapidement.

Les trois principes négaWatt

La base du raisonnement négaWatt tient en trois principes :

  1. la sobriété : elle consiste à détecter dans nos pratiques de consommation celles qui sont utiles (et les garder), celles qui sont exagérées (et les diminuer) et celles qui sont inutiles ou dangereuses (et les éliminer). Ce « tri sélectif » des pratiques est censé représenter tout de même 60% de la baisse de la consommation énergétique. C’est énorme. Il suppose de traquer partout où l’on peut les « gisements de négaWatts » (rapport 2017, figures pages 27-28).
  2. l’efficacité  : elle correspond tout simplement à l’idée que l’on peut découvrir des façons d’obtenir un même service énergétique avec un moindre effort, une moindre consommation. Cela est rendu possible en grande partie par les innovations technologiques mais aussi les nouvelles méthodes d’organisation de la production, l’éducation des travailleurs et de meilleures infrastructures. Ce n’est pas révolutionnaire en soi, puisque c’est le principe leibnizien de moindre action appliqué tous les jours par des millions d’ingénieurs de par le monde qui sont formés pour cela, payés pour cela et qui en sont ravis ! Mais les auteurs ne l’utilisent que dans sa version réductrice, en ne voyant que les innovations ponctuelles, là où Lyndon LaRouche regarderait les sauts de densité de flux énergétique.
  3. les renouvelables  : ils sont considérés comme des énergies de flux (soleil, vent, bois naturel, marées, courants fluvial et marin...) en opposition aux énergies de stock (charbon, pétrole, gaz, uranium...). Ces flux sont supposés illimités, alors qu’en réalité ils ont une certaine densité de flux (le vent par exemple a une certaine quantité de molécule d’air passant dans une surface d’un mètre carré). L’autre hic c’est que les « collecteurs de flux » (éoliennes, panneaux solaires, forêts, barrages, hydroliennes...) sont eux à renouveler régulièrement pour continuer à capter le « flux illimité » de la nature ! Mais bon, les auteurs ne semblent pas s’en soucier.

Selon les résultats du scénario négaWatt, l’application des deux premiers principes engendrerait la baisse de consommation décrite sur la figure ci-contre d’ici à 2050 et permettrait donc en théorie aux renouvelables de fournir les besoins restant. Nous serions à l’équilibre parfait pour la nuit des temps. Amen.

Bilan de la consommation énergétique entre 2017 et 2050 si l’on appliquait le scénario negaWatt.
Association négaWatt

Dans la suite de l’article, je me propose de développer un autre principe, opposé à négaWatt, que j’appellerai le Premier Principe de l’Anti-thermodynamique, qui remet en cause totalement cette vision « équilibrationniste » de la vie humaine. Il pourrait s’énoncer ainsi :

« Au sein d’une société humaine parfaitement normale et civilisée, tournée vers le progrès matériel et moral de sa population, toute énergie économisée, et donc non consommée dans un processus économique, est une énergie qui peut être employée pour une autre activité, nouvellement créée ou inventée, et digne de l’homme. »

Ce nouveau principe implique donc que la mise en œuvre du scénario négaWatt conduirait, paradoxalement, à la création d’une quantité absolument phénoménale d’énergie non consommée qui serait immédiatement investie dans plein d’autres activités humaines générant une croissance extraordinaire de notre espèce. Car s’il est vrai que l’on peut faire autant avec moins d’énergie, alors on peut aussi faire plus avec autant d’énergie qu’avant !

Et je vais même plus loin en affirmant que le bonheur humain nécessite d’augmenter la consommation d’énergie au-delà du niveau antérieur, ce que j’appellerai logiquement le Second Principe de l’Anti-thermodynamique. Je ne vous demande pas d’y croire mais au moins de me suivre dans la suite de cet article, où je vais essayer d’en expliquer la raison.

L’énergie en France depuis 70 ans

Lorsque le scénario négaWatt parle de réduire de moitié la consommation énergétique, cela peut faire peur. En réalité, si l’on prend l’ensemble des équipements industriels (usines, machines-outils, robotique), de transports (voitures, camions, trains), les appareils électroménagers (lave-linge, robots-mixeurs), et autres (télévision, ordinateurs) utilisés en France depuis les années 50 jusqu’à aujourd’hui, leur consommation énergétique n’a fait que diminuer au cours du temps. Leur nombre a par contre considérablement augmenté car la population a augmenté et qu’on a estimé toutes ces années que les gens y avaient droit. C’est pour cette raison qu’une fois que tout le monde a été équipé et que la désindustrialisation a été décidée par les politiques, avec un gel des grands projets d’infrastructure notamment, la courbe de la consommation énergétique en France a commencé à plafonner (cf. graphique suivant).

Évolution de la consommation énergétique en France entre 1970 et 2015, par forme d’énergie.
Commissariat Général au Développement Durable

Est-ce un phénomène normal ou bien le résultat d’une orientation spécifique de la société ? Peut-on relier ce plafonnement de la consommation à la crise économique et sociale actuelle ? N’a-t-on plus rien à construire qui nécessiterait de faire repartir la consommation à la hausse ? Je laisse ces questions en suspens....

La sobriété et l’efficacité, les deux grands remèdes

Il est temps maintenant de plonger pleinement dans la tête d’un négaWatteur et de se familiariser avec les deux concepts clés de la réussite du scénario : la sobriété et l’efficacité (cf. définitions plus haut).

Le scénario négaWatt identifie cinq secteurs principaux dans l’économie : le résidentiel, le tertiaire, le transport, l’industrie et l’agriculture. Pour chacun, il identifie tous les « gisements de négaWatts » et propose des solutions pour diminuer la consommation. Je vous préviens, c’est un sport très épuisant car il faut prendre en compte tous les détails de votre vie quotidienne et les passer au crible négaWatt. Accrochez-vous !

Commençons par examiner le résidentiel qui est le plus gros chantier du scénario. La consommation de ce secteur dépend du nombre de logements construits, de leur taille et du nombre d’occupants de l’habitation. Ceci définit le nombre moyen de mètres carrés habités par personne. On sait que cette quantité influe sur la consommation énergétique puisque plus la maison est grande plus il faut la chauffer (ou la rafraîchir), par exemple, et plus elle est occupée plus il faudra chauffer d’eau etc. Donc un choix de sobriété négaWatt serait de stabiliser cette surface moyenne à 40,9 m² par personne en 2050 contre 45,9 m² dans un scénario tendanciel sans changement (rapport 2011, page 20). On atteindrait cet objectif en diminuant les constructions de nouvelles habitations (3 millions de moins que prévu), notamment moins de maisons individuelles, en privilégiant les immeubles et en encourageant les colocations (de jeunes, de moins jeunes et de personnes âgées). Une tendance à une relative « re-cohabitation » comme ils disent (rapport 2011, page 18). Ce n’est pas la pire des propositions il faut bien l’avouer, même si elle dépend beaucoup de facteurs sociétaux que l’on ne peut pas prévoir : de la composition des familles, des besoins de confort de chacun etc. Mais pourquoi pas, cela peut relancer les liens sociaux !

Évidemment, il va falloir que tous ces logements soient performants énergétiquement. Car le confort thermique (chauffage, climatisation, eau chaude) représente 80% des besoins du résidentiel-tertiaire et 35% de l’énergie finale consommée (rapport 2011, page 38). Le scénario négaWatt prévoit donc, en plus de la construction de logements neufs aux normes « bâtiment passif », un énorme plan de rénovation thermique des bâtiments anciens avec l’objectif d’atteindre avant 2025 un rythme proche de 750 000 logements rénovés par an (rapport 2011, page 42), en commençant par ceux construits avant 1975, qui sont de vraies passoires thermiques. Pourquoi choisir la rénovation plutôt que la destruction et la reconstruction ? Tout simplement parce que le bilan énergétique serait très défavorable dans le deuxième cas : « l’énergie grise d’un bâtiment neuf peut représenter plusieurs dizaines de fois sa consommation d’énergie annuelle » (rapport 2011, page 39). Chaque rénovation doit être lourde, c’est-à-dire qu’on va viser un degré élevé de performance tout de suite, pas faire des petits travaux qui n’apporteront rien. Ces réhabilitations thermiques consisteront en une isolation conséquente des parois, une amélioration de l’étanchéité à l’air et une installation de ventilations performantes (rapport 2011, page 44). Les systèmes de chauffage et de climatisation seront repensés pour être plus efficaces et renouvelables (cf. plus loin). Ce qui est drôle c’est qu’ils admettent qu’en faisant cela, les journées d’été vont être insupportables car les murs garderont la chaleur et qu’il faudra sûrement utiliser la clim pour faire baisser le thermomètre ! (rapport 2011, page 53) On n’est pas à une contradiction près.

Ce chantier négaWatt vous paraît titanesque ? Eh bien, sachez qu’en réalité il n’est pas si différent de ce qui est déjà prévu par la loi de transition énergétique votée il y a quelques années ! Le scénario négaWatt ne fait que pousser un peu plus loin les décisions déjà prises, en augmentant le nombre de rénovations et en jouant sur la sobriété des surfaces habitées. La figure suivante montre bien que le gain du scénario négaWatt n’est que de 71 TWh par rapport à un scénario tendanciel déjà ambitieux (rapport 2011, page 49).

Tout ça pour ça. En fait, il suffisait d’attendre dix ans de plus pour arriver au même résultat... Quelle est la valeur ajoutée de négaWatt dans tout ça ? Aucune [4].

Bilan de la consommation de chauffage dans le secteur résidentiel si l’on appliquait le scénario négaWatt par rapport au scénario tendanciel.
Association négaWatt

Une fois lancé ce grand plan de rénovation, on passe à la question de la consommation des équipements (chauffage, eau chaude sanitaire, production de froid, cuisson, électroménager, éclairage, audio-visuel, hygiène...). Le pari de négaWatt c’est que l’on peut conserver notre confort moderne, voire intégrer de nouveaux usages domestiques, tout en appliquant une sobriété et une efficacité. Ils ne veulent donc pas « revenir à la bougie » ! Sur quoi peut-on agir pour diminuer les consommations ? D’abord par la sobriété des usages : il faut faire attention à la température du chauffage, pas trop haut ; il faut bien remplir son lave-vaisselle ou son lave-linge avant de lancer le cycle, et mettre une température plus basse (on apprend au passage que la vaisselle en machine est moins gourmande que le lavage à la main) ; il faut optimiser le remplissage de son frigo pour en choisir un plus petit (les négaWatteurs sont des champions du Tetris !) et manger frais pour ne pas trop stocker, avec moins d’emballages ; il ne faut pas avoir une télé trop grosse et la regarder moins longtemps (très bon conseil) ; il ne faut pas laisser sa plaque de cuisson allumée pour rien, ni ses lumières ; surtout, il ne faut pas laisser les appareils en veille. Là on ne parle plus de faire des économies pour son propre portefeuille, on parle d’un impératif pour sauver la planète, alors tout le monde doit se surveiller ou bien on va mourir !!! C’est un des aspects les plus irritants de négaWatt, l’impression qu’il faut surveiller chacun de ses gestes et calculer le rendement de chaque action que l’on exécute ou sinon c’est l’effondrement [5].

Heureusement, la technologie joue aussi un rôle important dans la baisse des consommations. Des équipements plus efficaces, moins gourmands en énergie prendront la place des anciens équipements. Là, le scénario négaWatt enfonce des portes grandes ouvertes puisqu’il admet que toutes ces innovations sont plus ou moins déjà en train d’arriver. Les ingénieurs ont l’air de ne pas s’être tournés les pouces ! On nous parle d’équiper tous les logements en éclairage LED et OLED (même si ça fait mal aux yeux), d’unifier tous les systèmes audio et vidéo dans un même terminal optimisé, on nous dit que les lave-linge et les lave-vaisselle vont voir leur efficacité grimper de 20 à 30%, que les frigos seront 40% plus efficaces et plus petits, les plaques de cuisson électriques verront leur rendement passer à 80%, les pompes à chaleur seront mieux asservies à la température et les moteurs à l’intérieur seront plus performants (moteurs asynchrones ou à aimant permanent), les aspirateurs aspireront mieux etc. Cet inventaire à la Prévert, intéressant pour un ingénieur ou un créateur d’entreprise mais pas très original, nous conduirait à des baisses de consommation non négligeables, comme on peut le voir sur la figure 9 du rapport 2011, page 29. Mais aucune de ces baisses ne seraient dues à négaWatt puisqu’elles sont déjà pour la plupart en gestation ! Encore une fois, zéro valeur ajoutée du scénario.

Bilan de la consommation d’électricité dans le secteur résidentiel si l’on appliquait le scénario négaWatt par rapport au scénario tendanciel.
Association négaWatt

Un mot sur le tertiaire, le scénario négaWatt préconise une diminution du nombre de m² construits et de faire un effort conséquent sur l’informatique et l’éclairage des bureaux. Le résultat est le suivant : figure page 34 rapport 2011.

Bilan de la consommation d’électricité dans le secteurtertiaire si l’on appliquait le scénario négaWatt par rapport au scénario tendanciel.
Association négaWatt

En ce qui concerne les restaurants qui utilisent des plaques de cuisson et des fours, la baisse de consommation ne peut être que marginale.

Passons maintenant aux transports, un grand secteur avec beaucoup de gisements de négaWatt. Le scénario préconise en priorité d’optimiser à fond le remplissage des véhicules, de miser sur les transports collectifs et le co-voiturage intensif, de limiter la vitesse sur les routes, de moins utiliser la voiture et privilégier les modes doux (marche à pied, vélo), d’investir dans le ferroutage pour diminuer le nombre de camions, de densifier les villes...

Évolution des vecteurs énergétiques pour le transport si l’on appliquait le scénario négaWatt.
Association négaWatt
Part des modes de transport dans le scénario négaWatt.
Association négaWatt

Sur le papier cela semble être des mesures de bon sens mais elles sont surtout adaptées aux villes. Dans le milieu rural, la voiture individuelle, par exemple, est absolument indispensable pour effectuer toutes les tâches quotidiennes ! Et que ferons-nous si grâce aux transports publics nouvelle génération (de type aérotrain) de plus en plus de français vont vivre à la campagne ? NégaWatt n’a pas anticipé cette éventualité... Mais là où ça se gâte, c’est quand ils parlent de « réévaluer les besoins de mobilité » (rapport 2011, pages 63-67). En clair, il va falloir moins se déplacer et surtout ne pas trop voyager loin en avion ou en voiture. On peut l’entendre pour les trajets quotidiens si on a recours aux transports en commun ou au télétravail, mais l’idée de limiter les excursions lointaines est parfaitement féodale dans le fond. Cela veut dire que je n’aurais plus le droit de découvrir le monde, d’autres cultures, des bijoux architecturaux disséminés aux quatre coins du globe, des paysages somptueux, de rencontrer des gens magnifiques à l’autre bout de la planète, tout ça parce qu’il faut diminuer la consommation énergétique ? Je serais cantonné dans ma bourgade pour le restant de mes jours ? Elle est où l’humanité là-dedans ? Je vais devoir me contenter des réseaux sociaux pour interagir avec mes amis lointains ? Sans parler de la famille... Est-ce qu’on revient sur l’idée que les familles sont dispatchées et qu’il y a besoin de se déplacer souvent pour se voir ? Est-ce qu’on va à moins de mariages pour économiser de l’énergie ? Est-ce que les séminaires scientifiques se dérouleront tous par vidéoconférence sans que les participants ne puissent se rencontrer ? Ou est-ce qu’on décide que ces activités devraient être faites plus souvent ? Dans le monde de négaWatt, il y aura clairement moins d’échanges entre les gens de cette planète. Le contact humain entre des cultures différentes sera de moins en moins admis. C’est la conséquence inévitable de placer la baisse de la consommation énergétique comme un impératif. C’est féodal et c’est une régression injustifiable.

Regardons à présent le secteur de la production industrielle. On l’aura deviné, négaWatt propose de réévaluer d’abord nos besoins en terme d’objets manufacturés, de diminuer l’usage d’objets franchement inutiles (qui est contre ?), de travailler à réduire les emballages (qui est contre ?), de lutter contre l’obsolescence programmée des appareils (mais qui est contre ??), de mieux concevoir les objets pour qu’ils soient éco-responsables (j’abandonne...), de privilégier la réutilisation des emballages plastiques et en verre plutôt que le recyclage (les fameuses consignes) mais aussi de construire moins d’autoroutes, moins de choses neuves en général... Donc moins de centres de recherche, de musées pédagogiques, de conservatoires, de salles de concert ? Là, ça va trop loin ! Comment peut-on envisager de limiter la construction sans savoir ce dont auront besoin les générations futures en terme d’infrastructure de transport, d’éducation, de recherche et de loisir ? C’est une pensée absolument totalitaire qu’il faut dénoncer. Car sous des dehors de bonnes intentions, elle mène en fait tout droit à des restrictions inacceptables pour le genre humain. Que cela soit dit ici clairement.

Le seul point positif sur l’industrie est que négaWatt envisage la complète relocalisation, à 100%, de la production en France (rapport 2011, page 85). C’est une très bonne idée mais cela les mène à un paradoxe intéressant (rapport 2011, page 96) : cela augmente la consommation énergétique de 100 TéraWattheure ! Alors pour compenser cette hausse, l’effort est porté sur l’efficacité énergétique des processus industriels, avec des propositions spécifiques et techniques du genre : généraliser l’usage des moteurs à vitesse variable (rapport 2017, page 21), calorifuger les conduites de chaleur, récupérer la chaleur des cheminées d’usine, passer certaines fonctions en électrique, optimiser l’ensemble des process, mettre en oeuvre la cogénération etc. (rapport 2011, page 88 à 97). Mais j’imagine que pas mal d’ingénieurs doivent être en train de travailler dessus à l’heure où vous lisez ces lignes, donc pas de panique !

Bilan de la consommation d’énergie dans le secteur industriel si l’on appliquait le scénario négaWatt par rapport au scénario tendanciel, en prenant en compte la relocalisation de 100% de l’industrie.
Association négaWatt

Le cinquième et dernier exemple concerne l’agriculture (rapport 2011, pages 98 à 101). On nous demande évidemment de manger moins de viande (-50%) et plus de protéines végétales, ce qui diminuera le cheptel mais les animaux seront mieux traités. L’élevage intensif est fortement réduit, sauf pour pouvoir nourrir les pauvres avec des protéines meilleur marché (bizarre, comme si les pauvres ne méritaient pas une viande de bonne qualité...). Etrangement aussi, ils ne préconisent pas d’augmenter la production de poisson d’élevage pour éviter la surconsommation de poisson pélagique, juste de manger moins de poisson... Enfin, les techniques culturales seront simplifiées et profiteront de l’introduction des connaissances de l’agro-écologie (je leur accorde, tout n’est pas à jeter là-dedans, cela mériterait un article à part entière).

Régime alimentaire préconisé par le scénario négaWatt.
Association négaWatt

Après tous ces efforts (et quelques autres), le résultat global devrait être le suivant (cf. rapport 2017, pages 27-28) :

Bilan de la consommation énergétique entre 2017 et 2050 si l’on appliquait le scénario negaWatt.
Association négaWatt
Résumé du bilan de la consommation d’énergie par secteur si l’on appliquait le scénario négaWatt par rapport au scénario tendanciel.
Association négaWatt

On voit bien que 60% de la baisse de consommation est due à la sobriété et 40% à l’efficacité énergétique.

Donc voilà, après cette plongée dans l’univers en contraction de négaWatt, on est prêt à sortir les renouvelables ! Mais, au fait, lesquels ? Le scénario nous réserve encore une surprise...

Le bois toujours sera

On aurait pu penser que les auteurs auraient fait comme tout le monde et auraient misé sur les éoliennes et les panneaux solaires. Eh bien, pas vraiment. En tout et pour tout, ces deux moyens correspondraient à seulement 40% de la fourniture d’énergie de la société. Mais alors, qu’est-ce qui fournirait le reste ? Pour ceux qui ont lu le titre de ce paragraphe, la réponse est évidente, mais pas forcément le pourquoi ni le comment.
Les auteurs de négaWatt partent du constat que le système de production énergétique actuel est absolument inefficace, comme en témoigne la perte absolument colossale de chaleur lors du refroidissement des centrales nucléaires pour la production d’électricité. En analysant le schéma suivant (un diagramme de Sankey), vous pourrez vous en rendre compte par vous-mêmes : c’est clairement une gabegie mais, négaWatt n’en parle pas, qui pourrait très bien trouver une solution si les investissements étaient faits dans des réseaux d’eau chaude ou des réseaux de chaleur industrielle à partir de toutes nos centrales. En attendant, c’est vrai, on chauffe l’air pour rien.

Diagramme de Sankey représentant les flux et les pertes d’énergie au sein de l’économie française en 2017. On remarque le gros trait gris qui représente les pertes thermiques des centrales nucléaires par refroidissement à l’eau (ce sont les panaches de fumée blanche des cheminées des centrales).
Association négaWatt

Mais devant ce scandale, les auteurs proposent purement et simplement de sortir du nucléaire (c’était un peu leur but il faut l’avouer) sans dire ce qu’ils feront des déchets, ni ce qu’ils feront des millions de documents faisant référence aux découvertes de Marie Curie, Lise Meitner, Einstein et d’autres.

Evidemment, les énergies fossiles sont aussi exclues car climaticides (ce qui ne fera sûrement pas plaisir aux pays en développement rapide d’Asie et d’Afrique).

Évolution des vecteurs énergétiques dans le scénario négaWatt.
Association négaWatt

Le remplacement se fera donc par les renouvelables, mais seulement à 40% par le solaire et l’éolien, et, surprise, à 50% par la biomasse. Oui, vous avez bien lu. La biomasse sera la source énergétique principale de la société négaWatt ! Le bois des forêts, le biogaz issu de la putréfaction des végétaux, l’herbe fouragère qui n’alimentera plus les animaux d’élevage que l’on ne mangera plus, tout est pris en compte par les auteurs ! (rapport 2011, page 103 à 110) La raison principale de ce choix vient des hypothèses qu’ils font pour l’agriculture, où la diminution de la consommation de viande rend disponible plus de terres cultivables dont certaines retourneront à l’état de forêts (1 million d’hectares, rapport 2011, page 104). Mais ils prennent aussi l’hypothèse d’une hausse du prix du bois pour rendre rentable le ramassage du bois de « bord de route » (page 105). La valorisation des déchets de bois est améliorée et la méthanisation des déchets agricoles systématisée.
Au final, grâce à cette substitution, les trois vecteurs principaux d’énergie de la société deviendraient l’électricité, la chaleur et le biogaz (notamment le Gaz Renouvelable Véhicule ou GRV). Avec une efficacité défiant toute concurrence, comme en témoigne ce diagramme de Sankey pour 2050, pendant du précédent.

Diagramme de Sankey représentant les flux et les pertes d’énergie au sein de l’économie française en 2050, selon le scénario négaWatt. On remarque le trait bleu qui représente le solaire et l’éolien, et le trait vert qui représente la biomasse.
Association négaWatt

Les arbres vont certainement trembler d’effroi devant cette proposition mais elle a le mérite d’être cohérente avec la vision d’ensemble de la décroissance, plus proche de la nature et de ses bienfaits... (que l’on brûle sans sommation certes, mais bon, on n’a pas tout ce qu’on veut en demandant gentillement !).

Bref, c’est très bien vu mais malheureusement, ce qui va remettre complètement en question ce modèle d’équilibre idyllique, c’est ce que je vais vous expliquer maintenant. Désolé de casser l’ambiance.

Une France féconde et bien portante, cauchemar de négaWatt

Alors j’ai fait un petit jeu et je me suis demandé ce qu’il arriverait si la population française augmentait plus vite que ce qui est prévu par négaWatt. Car s’il y avait plus de gens qui consommaient, même s’ils étaient sobres et efficaces, cela ruinerait les efforts de diminution qui, je le rappelle, sont indispensables pour pouvoir passer aux renouvelables dans le scénario négaWatt.

Statistiques de la population française et projection d’ici 2050 selon le scénario négaWatt.
Association négaWatt

Quelles sont les hypothèses des auteurs sur la démographie ? Dans le rapport 2017, page 14, ils reprennent les études de l’INSEE et tablent sur une population de 72 millions de français en 2050, ce qui ferait une augmentation de 7 millions en 33 ans. Regardons en arrière dans le passé. Entre 1945 et 1975, période de forte croissance économique, la population est passée de 40 à 52 millions, soit 12 millions de plus en 30 ans. Entre 1975 et 2005, période de désindustrialisation, la population n’a augmenté que de 9 millions, passant de 52 à 61 millions. Donc on peut dire déjà que négaWatt penche pour une option déclinante de l’accroissement de population.

Ce qui détermine cet accroissement ce sont deux facteurs principaux : la fécondité et l’espérance de vie. Plus les femmes ont d’enfants et plus ces enfants vivent vieux, plus la population augmente vite. L’espérance de vie entre 1945 et 1975 a augmenté de 12 ans pour les femmes et 9 ans pour les hommes, et entre 1975 et 2010, respectivement de 8 ans et 9 ans, soit une décélération de l’accroissement de la longévité [6]. Donc en clair, ce qui détermine aujourd’hui la trajectoire de la démographie française est une période particulièrement piteuse du développement économique (qui n’encourage pas à faire des enfants, surtout si on nous dit que ça va détruire la planète) et une stagnation des progrès en médecine. Si une relance économique avait lieu, qui redonnerait espoir aux français, et une révolution dans la médecine se produisait, qui est parfaitement possible vues les avancées dans la génétique, la robotique, l’intelligence artificielle, les nanorobots, sans parler d’une découverte d’un remède contre le cancer, si tout cela avait lieu, alors ce ne sont pas 72 millions de français que l’on aurait en 2050 mais probablement 85 millions. Et si en plus ils mangeaient bio, ils seraient encore en meilleure santé, vivraient jusqu’à 100 ans et l’on irait jusqu’à 90 voire 100 millions d’habitants !

Avec 10 à 20 millions de français en plus que prévu, consommant leur part du gâteau, tous les efforts d’efficacité de négaWatt seraient réduits à néant ou presque. Alors, cela veut-il dire que le scénario négaWatt ne peut pas admettre une croissance trop importante de la population humaine ? Oui, c’est une évidence et c’est ce qui rend ce scénario dangereux en plus d’être incompatible avec le développement humain.

La révolution industrielle qui donne des sueurs froides à négaWatt

Un autre couac est aussi à prévoir du côté des prévisions concernant l’industrie. Comme il a été dit plus haut, le scénario négaWatt accepte l’idée d’une relocalisation complète (100%) de l’activité industrielle en France, de rapatrier l’entièreté de la production industrielle aujourd’hui délocalisée à l’étranger, afin de produire nous-mêmes ce dont on a besoin (rapport 2011, page 85). C’est une très noble idée et je ne peux que partager cette orientation. Mais du point de vue de la baisse de la consommation c’est un peu paradoxal car cela entraînera, selon les calculs des auteurs, une hausse de 100 TWh de la consommation énergétique. Eh oui, les usines ça consomme pour produire ! De leur point de vue c’est tout de même logique puisque le fait de relocaliser l’industrie permet de diminuer les importations et donc la consommation d’énergie mondiale. Il reste les matières premières à importer mais bon, c’est déjà ça de pris. Alors, le gros problème c’est que si l’on envisage, en plus d’une relocalisation, une véritable révolution industrielle, avec la création de milliers de nouvelles activités auparavant inexistantes, la hausse de la consommation sera bien plus grande que 100 TWh ! Il me suffit d’énumérer les secteurs actuellement innovants qui formeront les industries de demain pour s’en rendre compte : la robotique avancée (machines-outils), le numérique (industrie 4.0), les imprimantes 3D (fabrication additive), l’intelligence artificielle (automatisation des tâches cognitives, robots d’aide pour les personnes âgées dépendantes), la médecine augmentée (prothèses, impression d’organes), les trains à sustentation magnétique (Maglev) ou à coussin d’air (Aérotrain ou Spacetrain), les tunneliers (pour creuser les tunnels des transports publics plus nombreux en sous-sol), le recyclage avancé des déchets (par la torche à plasma), les textiles intelligents, les nouveaux matériaux de construction plus légers (graphène, nanotubes de carbone), les batteries nouvelle génération etc.

La cobotique est un secteur industriel appelé à se développer très rapidement.

Je ne compte pas les industries qui feront simplement l’objet d’une reconversion sans consommation supplémentaire comme par exemple la construction automobile, qui passera des voitures à essence aux voitures électriques, à hydrogène ou au GNV, et la construction de camions qui laissera la place au ferroutage par trains.
La liste est en tout cas longue et risque de s’allonger à chaque nouvelle découverte scientifique ou technologique ! Ceci n’est pas de bon augure pour nos négaWatteurs qui risquent de voir leurs efforts de sobriété grignotés par une avalanche de nouvelles activités industrielles. À moins que leur intention ne soit de stopper net ces développements ?

Apparemment, ils seraient un peu libéraux de ce côté là, car ils admettent que les besoins futurs de confort de vie amèneront nécessairement une production nouvelle de biens (rapport 2017, page 15). Mais jusqu’où sont-ils prêts à aller dans le « laisser-faire » ? Une chose est sûre, si l’objectif est de tirer vers le bas la consommation, la limite risque d’arriver assez vite… Comment comptent-ils arrêter cet élan de création venant de la population ? Par une contrainte policière ? Mystère.

Le bonheur d’être humain et de croître

Dans les deux paragraphes précédents, nous avons vu que le scénario négaWatt ne prévoit pas deux choses : la hausse plus importante que prévue de la population et l’avènement d’une véritable révolution industrielle consommatrice de ressources supplémentaires. La hausse résultante de la consommation énergétique pourrait compenser exactement la baisse générée par les efforts de sobriété et d’efficacité. C’est le Premier Principe de l’Anti-thermodynamique que j’ai énoncé au début ! Il semblerait que l’humanité a horreur du vide : dès qu’une occasion se présente de créer une activité nouvelle ou d’améliorer son existence, elle s’y met. Sauf si une oligarchie ou des négaWatteurs l’en empêchent.

Maintenant, je voudrais montrer que non seulement la consommation énergétique ne devrait pas diminuer dans le futur mais qu’en plus elle va augmenter considérablement, afin de répondre au besoin de bonheur de l’humanité.

Dans le rapport 2011, page 34, les auteurs estiment que le secteur de la recherche ne fera pas l’objet d’un changement en terme de consommation d’ici 2050. Qui est choqué ? Moi évidemment. Pourquoi ? Eh bien, si vous envisagez que l’on ne va pas multiplier les efforts dans la recherche, cela veut dire que vous estimez que l’on a déjà tout découvert sur l’univers ! C’est ce que disaient au 19e siècle les gardiens du temple de la science avant les révolutions de Planck et d’Einstein… En fait, la recherche est destinée à devenir un secteur essentiel de la société et de l’économie de demain. Déjà parce que les robots effectueront beaucoup de tâches automatisables et donc que la recherche deviendra une activité de premier plan pour employer les travailleurs dans des métiers dignes de leur intuition créatrice. La recherche ne concerne pas que les « grosses têtes » mais fait appel à une multitude de compétences auxquelles se formeront les travailleurs.
Ensuite, parce que la recherche est définie par la curiosité humaine qui est insatiable. On voudra toujours découvrir les causes des phénomènes inconnus, on voudra toujours mieux protéger ceux que l’on aime grâce à nos découvertes, on voudra toujours explorer plus loin que là où l’on est.
Enfin, parce que notre désir inné de justice nous portera inévitablement vers l’imagination d’un monde plus beau, plus harmonieux, plus parfait. Ce qui suscitera sans cesse des thèmes de recherche nouveaux et des applications pratiques nombreuses.
Ainsi, l’exploration de l’infiniment petit, des secrets de la matière, nous conduira à construire de plus en plus de laboratoires équipés de grosses machines énergivores, de gigantesques accélérateurs de particules, comme le LHC à Genève mais en plus gros, de réacteurs à fusion nucléaire expérimentaux, de sondes spatiales mesurant les particules galactiques, de détecteurs à ondes gravitationnelles pour écouter battre le coeur de l’Univers.

La photo du trou noir supermassif au centre de la galaxie M87 prise grâce à une coopération internationale de chercheurs motivés, dépensant de l’énergie sans compter.
Event Horizon Telescope

L’exploration de l’infiniment grand nous conduira à construire des engins spatiaux de plus en plus lourds et consommateurs de carburant, des télescopes à grand diamètre avec des miroirs énormes, des interféromètres en nombre pour photographier les trous noirs, des robots d’exploration de plusieurs tonnes produits par centaines, des bases habitées sur d’autres planètes.

L’exploration du vivant nous conduira à développer la science du génome et la synthèse d’êtres vivants, à reverdir les déserts grâce à des plantes modifiées, à synthétiser des aliments assimilables par l’organisme, à étudier la vie dans les océans et nous y installer en créant des villes marines.

L’exploration de l’esprit humain nous portera à bâtir des milliers de conservatoires de musique, de salles de concert, d’opéras, de palais de la découverte, de musées de l’imaginaire [7], pas seulement à Paris mais sur tout le territoire français, car une part importante de notre temps sera consacrée au développement de nos capacités créatrices et que personne, où qu’il soit né, ne sera oublié. L’on fabriquera des milliards d’instruments de musique (violons, pianos, trompettes, bassons, clarinettes etc.) pour que chacun puisse en pratiquer un.

L’orchestre d’enfants de St Mars la Reorthe mis en place par l’association El Sistema Vendée.
El Sistema Vendée

L’on multipliera dans les écoles les bancs d’essai scientifiques pour réaliser des expériences concrètes, en consommant beaucoup d’énergie juste pour le plaisir de chercher. L’on organisera pour les élèves une plus grande quantité de voyages à l’étranger, de visites d’industries, de classes vertes à la campagne, en parcourant des milliers de kilomètres pour leur faire découvrir de nouveaux horizons, faire vagabonder leur esprit, leur faire croiser de nouvelles personnes passionnantes. On dépensera de l’énergie sans compter !
Avec tout ça, le compteur de consommation énergétique aura considérablement viré dans le rouge, du point de vue d’un négaWatteur. Mais est-ce bien si grave ? Car il est peu probable qu’ils nous empêchent d’accéder à ce bonheur. L’humanité ne les laissera pas faire.

L’anti-thermodynamique triomphe contre l’épuisement

Il est donc évident que le scénario négaWatt n’est qu’un manifeste pessimiste de plus et que la rigueur de pensée de ses auteurs n’a d’égal que leur absence d’ambition pour l’humanité. Leur faiblesse vient du fait qu’ils adhèrent aux thèses décroissantes de Nicholas Georgescu-Roegen, que j’ai déjà réfutées dans un précédent article intitulé Quand l’univers nous conseille le nucléaire.

Pour résumer, Georgescu-Roegen croit à la validité de la théorie de l’entropie universelle (le Second Principe de la Thermodynamique), qui stipule que toute énergie utilisée est perdue pour l’avenir et que donc l’homme va épuiser inéluctablement les ressources sans espoir d’en créer de nouvelles. J’ai montré l’absurdité de ce raisonnement et le présent article est destiné à mettre définitivement à la poubelle le plan décroissant qui y est associé, ainsi que les renouvelables qui deviennent de fait inutiles.

L’alternative à l’épuisement inéluctable des ressources c’est le Second Principe de l’Anti-thermodynamique que j’avais mentionné au début. Sa pertinence est maintenant démontrée par l’article tout entier. Je l’énoncerai donc ainsi :

« Le désir inné de justice, de beauté et d’harmonie de l’homme le pousse à toujours consommer plus d’énergie et de ressources naturelles pour explorer son environnement, s’y développer et l’améliorer. Ce faisant, il accomplit son rêve en tant qu’espèce créatrice dans l’univers, à la poursuite de son bonheur. »

L’équilibre ne peut pas s’appliquer à un processus vivant. Soit il progresse, soit il régresse. L’espèce humaine, a fortiori, est capable de comprendre le processus d’évolution du vivant et de la matière. Elle peut diriger consciemment ce processus par l’application de sa raison créatrice. Elle peut lui donner une raison d’être par son jugement moral et son imagination esthétique. Vouloir l’en empêcher c’est se prendre pour un dieu tyrannique ou un oligarque. En prendre la responsabilité c’est se considérer comme un homme.

Conclusion

Si l’effondrement de la civilisation vous inquiète, que l’épuisement des ressources vous térifie et que la décroissance vous semble l’unique alternative, réfléchissez-y à deux fois. Peut-être êtes-vous en train de passer à côté d’une découverte fondamentale sur l’espèce humaine qui pourrait vous rendre véritablement heureux.

PétaWatt, le scénario du bonheur
Benoît Odille, à partir du schéma de l’Association négaWatt

[1cf. article de l’Obs Faut-il se restreindre pour la planète ?

[4Bizarrement, il n’est fait mention nulle part du coût énergétique de ces rénovations, pas plus que de l’installation des nouveaux équipements. C’est comme si on avait comptabilisé uniquement les effets bénéfiques sans prendre en compte les efforts à fournir pour y arriver ! Peut-être que cela a été intégré quelque part, je peux me tromper, mais après lecture assidue je n’ai pas vu cet aspect discuté explicitement. En revanche, la question des coûts est abordée selon l’angle monétaire avec un calcul des investissements nécessaires en euros. Le rapport 2017 en page 40 annonce des investissements de 1160 milliards € jusqu’en 2050, avec 1000 milliards € de frais de fonctionnement mais une économie très importante sur les dépenses d’importation énergétiques. Ce qui rendrait au final le scénario négaWatt largement excédentaire de 700 milliards € par rapport à un scénario tendanciel. Ce n’est pas impossible mais encore une fois, pour quelle ambition ? Surtout que les auteurs préconisent de réinjecter cet argent dans l’économie pour créer de nouveaux emplois... N’est-ce pas contraire à l’idée de décroissance ?

[5La porte ouverte à une dictature verte branchée sur les compteurs Linky ?

[6On parle même aujourd’hui d’une tendance à la baisse de l’espérance de vie en bonne santé...