Quand l’Univers nous conseille le nucléaire

mercredi 18 avril 2018, par Benoit Odille

Synthèse de 25 images du Soleil montrant son activité sur un an.
NASA

A l’heure où le débat sur le nucléaire repart, vous découvrirez ici en quoi cette énergie est la plus « naturelle » qui soit. L’occasion de comprendre aussi en quoi notre ami américain, le penseur Lyndon LaRouche, est un « Einstein de l’économie ».

Contrairement au père de la décroissance Georgescu-Roegen, LaRouche réfute la théorie d’un épuisement inéluctable des ressources. Résumé de l’exposé présenté par l’auteur lors d’un récent week-end de formation S&P.

Le système économique de l’Univers

Commençons par revenir sur l’histoire de l’Univers, à partir du calendrier cosmique élaboré par Carl Sagan : si toute l’évolution de l’Univers depuis le Big Bang était représentée sur une année, l’histoire humaine équivaudrait aux trois dernières minutes du 31 décembre... Einstein a montré que ce qui détermine cette évolution est un principe de gravitation, qui fait que l’espace et le temps sont soumis à la même force et qu’il y a, au fil du temps, un développement de structures de plus en plus complexes et denses.

Entre janvier et février, après l’acte explosif du Big Bang, tout l’hydrogène, l’hélium et une partie du lithium de l’Univers sont créés. Les étoiles ne se développent que vers février-mars, autrement dit, pendant 2 milliards d’années, vous n’avez pas grand-chose d’autre que des nuages de gaz qui flottent.

L’Univers n’est alors pas très « efficace ». Sous l’effet de la gravitation, ces nuages de gaz se condensent et forment des objets plus denses et plus chauds : les étoiles. Ceci permet à d’autres réactions de se produire et à d’autres éléments d’apparaître. Cette densification de la matière se poursuit : les étoiles forment des galaxies. Au sein de chaque galaxie apparaissent des systèmes solaires par accrétion de la matière éparpillée.

L’ensemble de la matière que l’on va retrouver sur Terre et dans tout l’Univers est né dans ce qu’on pourrait appeler six centres de production distincts, six « zones industrielles » de l’Univers, qui définissent « l’économie de l’Univers » (cf. graphique).

Six phénomènes majeurs sont à prendre en compte. Le premier est le Big Bang lui-même, qui a d’abord formé l’hydrogène à partir de la lumière (les photons), puis l’hélium par fusion des atomes d’hydrogène, puis une partie du lithium par fusion d’hélium et d’hydrogène. On parle ici de fusion thermonucléaire des noyaux des atomes, pas d’une réaction chimique. Le terme « thermo » signifiant que les températures mises en œuvre sont énormes : plusieurs centaines de millions de degrés Celsius.

La densification de l’hydrogène et de l’hélium forme ensuite les étoiles et permet à d’autres réactions de fusion d’avoir lieu, qui n’auraient pas été possibles dans la configuration de l’espace-temps précédente. C’est le principal effet bénéfique de la gravitation ! Rendre possible ce qui ne l’était pas en densifiant l’action des principes de l’Univers. La fusion nucléaire est le principal carburant des étoiles. Notre Soleil est une usine à matière et à énergie fonctionnant à la fusion. Par ce processus sont synthétisés les éléments plus lourds, jusqu’au fer, mais ceux-ci restent d’abord confinés à l’intérieur des étoiles. Il faut donc un phénomène de dispersion pour rendre cette matière disponible pour d’autres applications.

Ce sont les trois prochaines « zones industrielles » de notre Univers : les « explosions d’étoiles massives », les « explosions de naines blanches » et la « mort d’étoiles légères ».

Notre Soleil, par exemple, mourra dans 5 milliards d’années en formant une naine blanche en son centre, entourée d’une coquille de gaz en expansion (une nébuleuse), après avoir formé beaucoup de matière par fusion pendant plusieurs centaines de millions d’années. Les naines blanches, qui normalement se refroidissent, peuvent soit recommencer des réactions de fusion explosives (appelées « novae ») soit se fondre avec une autre étoile proche. Les étoiles massives, 10 à 30 fois plus grosses que le Soleil, meurent dans un phénomène explosif cataclysmique appelé « supernovae », au cours duquel de très nombreux éléments sont formés par fusion et dispersés aux quatre vents !

Une autre « zone industrielle » utilise la coalescence ou fusion d’étoiles à neutrons (à ne pas confondre avec la fusion nucléaire). C’est le phénomène qui a été observé le 17 août 2017, grâce aux deux interféromètres Ligo et Virgo qui ont détecté les ondes gravitationnelles produites par la fusion de deux étoiles à neutrons. Les étoiles à neutrons sont des objets extrêmement denses, de la taille d’une ville comme Paris mais aussi massives que le Soleil ! C’est juste un cran en dessous du Trou noir.

Lorsque deux pareilles étoiles fusionnent, l’intensité du phénomène déforme l’espace-temps lui-même et cette déformation se propage dans l’Univers sous forme d’onde de gravité. Mais surtout, ce choc est si puissant qu’il produit, par fusion nucléaire encore, tous les éléments lourds que l’on retrouve dans notre croûte terrestre, y compris l’uranium de nos centrales et l’or de nos bijoux ! Les alliances des mariés sont donc issues du mariage explosif de deux étoiles.

Le dernier processus industriel de notre Univers est la fission nucléaire induite par les rayonnements cosmiques qui « cassent » certains atomes pour en donner d’autres plus légers. C’est un peu le processus de finition dans l’industrie.

L’économie humaine dans l’Univers

Pour récapituler, la fusion nucléaire et la fission sont les outils indispensables à la formation de la matière dans l’Univers. Nous vivons dans un Univers atomique ! Il réussit à faire quelque chose d’assez original grâce à cette fabuleuse énergie et a permis à notre espèce, ainsi qu’à la biosphère, de se développer sur la fine couche supérieure de notre planète en utilisant la matière créée dans les étoiles.

C’est pourquoi il serait relativement incohérent de ne pas vouloir toucher à ce principe nucléaire : cela fait 13,7 milliards d’années qu’il ne se passe à peu près que ça. Songeons à quoi pourrait ressembler l’an II de notre calendrier cosmique si l’humanité décidait de s’équiper de la fusion !

Car si l’on résume ce qui s’est passé, il y a eu une concentration progressive de la matière jusqu’à aujourd’hui dans des structures de plus en plus stables, jusqu’aux planètes qui ont pu abriter la vie et la conscience humaine.

Maintenant, la compréhension de ce phénomène par notre espèce seule nous donne le pouvoir (et la responsabilité) d’aller, pour ainsi dire, « dans l’autre sens », c’est-à-dire vers une diffusion du principe de la vie dans l’Univers – cet Univers qui a, pour ainsi dire, emmagasiné son énergie dans des « petites boîtes » que l’on appelle les éléments (la matière), que l’on peut maintenant « ouvrir » pour développer notre économie humaine.

Ce principe de créativité de l’Univers, découvert grâce à Einstein, a son pendant dans le domaine de l’économie : à travers l’homme et sa créativité qui lui permet de découvrir de nouveaux principes physiques, ce même Univers peut libérer le potentiel contenu dans la matière. C’est ce qui constitue l’approche originale de l’économie par Lyndon LaRouche.

La fraude conceptuelle de la décroissance

A l’opposé de cette vision de l’économie et de l’humanité, on trouve le concept de « décroissance », théorisé par un individu assez peu connu, Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994), mais dont les conclusions s’immiscent un peu partout dans les thèses écologistes d’aujourd’hui. C’est notre véritable adversaire conceptuel et politique.

Pourquoi ? Parce qu’il est le plus cohérent de tous les écologistes, et que toute radicalisation du mouvement écologiste mènera à ses thèses. Par exemple, quand tout le monde se rendra compte que les renouvelables ne sont pas une solution
 [1] et vu la peur dans laquelle la plupart ont été plongés (sur le nucléaire, le réchauffement climatique, la croissance, les ressources finies, la surpopulation, la sixième extinction de masse, etc.), la dernière solution disponible dans leur esprit restera la décroissance. Il nous faut donc démontrer dès maintenant que la décroissance ne repose sur aucune base scientifique.

En France, c’est l’association « négaWatt » qui promeut la décroissance de Georgescu-Roegen et il est à craindre que Jean-Luc Mélenchon ne tombe lui aussi bientôt dans ce piège.

Georgescu-Roegen est paradoxalement assez proche de LaRouche dans son approche, puisqu’il regarde l’économie comme un processus physique de transformation de la matière et fustige les économistes « orthodoxes » qui croient à l’énergie gratuite et au fétichisme de la monnaie. La seule différence est qu’il pense que le processus économique est irrémédiablement entropique, condamné à se dégrader jusqu’à l’épuisement.

En effet, il fait partie de ceux qui pensent que l’Univers entier est entropique et qu’il se dirige vers un chaos inerte et sans vie.

Pourtant, il reconnaît que le concept d’entropie, découvert par Sadi Carnot au XIXe siècle, s’est fait dans un contexte précis, quand ce dernier cherchait à créer une « science de l’économie des machines à combustion » : la thermodynamique. Carnot définissait alors l’entropie comme l’état d’un système dont l’énergie, après un cycle de combustion, n’est plus utilisable par l’homme car elle est dissipée sous forme de chaleur ou autre. Il montra surtout que cette entropie ne peut qu’augmenter si le système est fermé, c’est-à-dire sans apport d’énergie extérieur. Autrement dit, à partir d’un stock d’énergie de départ, dès qu’on l’utilise, une partie pourra créer une action mécanique utile mais une autre partie sera perdue définitivement, jusqu’à épuisement du stock.

Pris dans les conditions d’un système fermé, ce principe s’applique effectivement. Mais à partir de cela, Georgescu-Roegen dit simplement que l’économie humaine sur Terre est régie par le même principe, l’entropie universelle, et qu’elle ne peut qu’épuiser les ressources dont elle dépend. Donc, les ressources étant limitées, il faut organiser la décroissance de l’économie pour repousser le plus possible la mort de l’espèce humaine.

Dans cette vision, l’humanité est comme une personne enfermée dans une pièce dont les murs se rapprochent dès qu’elle bouge un orteil ! Un monde assez angoissant... et aussi très cruel, car toute l’énergie que vous utiliserez aujourd’hui ne sera plus disponible pour vos descendants ! Un monde fermé. Pourquoi aurait-il tort ?

L’anti-entropie humaine volontaire

Dans la théorie économique de LaRouche, il n’est pas question de nier le principe thermodynamique de l’entropie mais plutôt de reconnaître son caractère relatif, dépendant d’un principe universel... d’anti-entropie. L’entropie d’un système y est vue comme un état transitoire et localisé au sein d’un processus bien plus large d’anti-entropie humaine volontaire, se situant lui-même au sein d’un principe d’anti-entropie de l’Univers tout entier.

Prenons une plateforme économique à un moment donné, c’est-à-dire un ensemble de procédés, de connaissances, de ressources, d’infrastructures pris comme un tout. Par exemple, le système économique de l’ère du charbon, de la locomotive à vapeur, de la machine thermique de Carnot. Pour se développer, ce système dépend de l’ouverture des « petites boîtes » dont on a parlé plus haut (le charbon notamment).

Selon le principe de l’entropie, le nombre de petites boîtes va s’épuiser au cours du temps. C’est là que LaRouche intervient, en prévoyant que l’humanité passera ensuite à une plateforme supérieure, permettant d’éviter l’épuisement des ressources au sens large.

Dans ce cas précis, il s’agira du passage à l’ère du pétrole, puis, plus tard, à celle de la fission nucléaire, et un jour, à celle de la fusion, etc. On peut dire que, pour chaque plateforme relativement fermée, l’entropie augmente mais la série des passages successifs, elle, définit un processus anti-entropique d’ouverture. L’entropie n’est que relative ! Le paradoxe, c’est qu’il n’y a pas d’état final et que la continuation de la série dépend de nouvelles découvertes effectuées par l’espèce humaine, à l’infini.

C’est la seule façon de comprendre comment une planète apparemment finie peut potentiellement fournir des ressources infinies. Mais cela suppose de mener un combat politique pour que les découvertes ne s’arrêtent jamais ! C’est là que se situe la plus belle contribution de LaRouche à l’évolution humaine.

Pourquoi refuser la fusion ?

La fusion nucléaire rendrait disponible une énergie abondante et très bon marché à plusieurs dizaines de milliards d’habitants pendant plusieurs millions d’années. Avant d’avoir épuisé tout l’hydrogène du système solaire, on aura sûrement fait d’autres découvertes encore plus révolutionnaires dans la maîtrise des réactions matière-antimatière, qui repousseront d’autant plus loin le spectre de l’épuisement. Pourquoi, alors, ne pas mettre le paquet là-dessus ? Eh bien, Georgescu-Roegen a une réponse : selon lui, tout cela n’est simplement pas possible, pas faisable, c’est trop compliqué, trop dangereux.

A son époque, le débat tourne autour des réacteurs nucléaires surgénérateurs, capables de transformer l’uranium 238 (U238) – a priori non utilisable car non fissile, contrairement à l’uranium 235 (U235) – en plutonium 239 (Pu239), fissile, donc utilisable.

Ce processus consomme moins d’énergie que celle qu’il permet de créer via la fission du Pu239. C’est vrai, et heureusement ! Sauf qu’effectivement, Georgescu-Roegen a raison, on épuise quand même la ressource d’U238. La matière, pas seulement l’énergie, est soumise à l’entropie. Il dénonce alors la « contrebande d’entropie ». Cependant, ce qu’il ne veut pas admettre, c’est que, tout de même, par rapport à l’utilisation d’U235, avec l’U238 on multiplie par au moins mille le stock de ressources.

Son raisonnement est le suivant : puisque les surgénérateurs ne règlent pas définitivement, une bonne fois pour toutes, le problème de l’entropie, à quoi bon aller dans cette direction, qui de plus est dangereuse ? Vous vous reconnaissez là-dedans ? En fait, c’est légitime de penser ainsi, mais le problème est de croire qu’il ne puisse jamais exister de procédé éliminant l’entropie ! Il n’y a aucune solution définitive à la question des ressources, il n’y a qu’un progrès perpétuel pour y répondre. Un processus, pas tel ou tel procédé.

Concernant la fusion, Georgescu-Roegen pose l’argument suivant :

Le globe terrestre auquel l’espèce humaine est attachée flotte dans un réservoir cosmique d’énergie libre qui pourrait bien être infini. Mais l’homme ne peut avoir accès à cette fantastique réserve d’énergie libre. L’homme ne peut puiser directement dans l’immense énergie thermonucléaire du Soleil. Le plus grave obstacle réside dans le fait qu’aucun récipient matériel ne peut résister à la température de réaction thermonucléaire massive. De telles réactions ne peuvent avoir lieu que dans un espace libre. [...] Reste le plus grand rêve du physicien, la réaction de fusion thermonucléaire contrôlée. [...] Néanmoins, en raison des difficultés déjà mentionnées, même les experts qui y travaillent n’y trouvent pas matière à un optimisme excessif. [...] Quant à la fusion thermonucléaire, on n’aperçoit pas encore la lumière au bout du tunnel…

Un peu léger, non ? Plus que des arguments, il y a surtout de la peur ou du pessimisme.

En fait, même à propos des panneaux solaires, Georgescu-Roegen passe d’abord par une phase d’engouement, avant de s’avouer peu convaincu à cause de leur faible densité d’énergie.

Il ne reste donc que la décroissance ! Avec son programme « bioéconomique minimal » : arrêter la production d’armes (ça c’est gentil), développer le tiers-monde (très sympa), réduire la population jusqu’à un niveau où l’on peut nourrir tout le monde avec du bio... Là, c’est un peu plus radical, mais au moins il est cohérent, contrairement à ceux qui vous disent : je suis écolo, mais je ne veux quand même pas empêcher les gens de vivre.

Sa pensée profonde est plus radicale encore. En parlant des différentes évolutions humaines, il évoque le mythe de Prométhée :

« Les progrès techniques font la fierté de notre espèce. [Mais] dans toute notre évolution il n’y a eu que deux innovations cruciales : la première a été la maîtrise du feu. C’est le don de Prométhée Ier [...] Le hic de tout don prométhéen est d’accélérer le progrès technique, lequel contribue ainsi à l’épuisement du combustible qui l’entretient [...] Le salut est venu de Prométhée II avec la machine à vapeur [...] La question cruciale est de savoir si un nouveau Prométhée viendra résoudre la présente crise de l’énergie [...] Mais puisque personne ne peut être sûr que Prométhée III arrivera, ni savoir exactement ce que sera son don, une seule stratégie s’impose sans appel, à savoir une conservation générale et bien planifiée, au pire pour glisser lentement et sans catastrophe vers une technologie moins chaude, un nouvel âge du bois, différent quand même de celui du passé. [...] La vraie crise est la crise de la sagesse humaine [...] Peut-être le destin de l’homme est-il d’avoir une vie brève mais fiévreuse, excitante et extravagante, plutôt qu’une existence longue, végétative et monotone. Dans ce cas, que d’autres espèces dépourvues d’ambition spirituelle – les amibes par exemple – héritent d’une Terre qui baignera encore longtemps dans une plénitude de lumière solaire.

Ce qui montre que l’entropie est, en fait, culturelle !

Le Big Bang humain

Quelle est la différence entre une combustion, une fission et une fusion, à part la confusion ? Ce n’est pas la même action sur l’espace-temps. Dans la fusion, l’action en terme de chaleur, de pression, d’énergie injectée dans le processus pour qu’il se déclenche dans un temps donné, est bien plus concentrée et importante que pour une combustion.

Les principes physiques mis en jeu sont complètement différents et n’ont pas le même résultat. La fusion dégage un milliard de fois plus d’énergie que la combustion du pétrole ! Certains principes physiques découverts par l’homme permettent d’aller « creuser » un peu plus loin dans la matière pour en extraire l’énergie.

C’est le progrès économique. Sans cela, les sociétés humaines ne peuvent perdurer. L’homme doit donc maîtriser le « feu nucléaire ». Et l’Univers verra que cela est bon.