La beauté artistique et morale

jeudi 27 juin 2019

Nous publions le discours de Megan Beets à la conférence nationale du LaRouchePAC qui s’est tenue à Morristown dans le New-Jersey le 16 février 2019. Megan Beets est membre de l’équipe de recherche scientifique du LaRouchePAC, le mouvement politique américain proche de S&P.

par Megan Beets

Friedrich Schiller a déclaré en 1795 :

Chaque individu porte en lui un être idéal, (…) et le but de son existence est de s’accorder, par-delà ses multiples changements, avec cette invariable unité.

L’être humain est fondamentalement différent et supérieur aux animaux et à toutes formes de vie inférieures ; en effet, chaque enfant possède ce génie créatif capable de découvrir de nouveaux principes universels, ce qu’Einstein appelait « connaître les pensées de Dieu. »

Friedrich Schiller, le grand poète, écrivain et dramaturge allemand.

Le génie est l’état le plus naturel de l’être humain, la caractéristique principale de notre espèce. Alors pourquoi sommes-nous dans la situation actuelle, où les croyances de la plupart de nos concitoyens et le système qu’ils désapprouvent – mais qu’ils ont suivi depuis cinquante ans pour faire comme tout le monde – les ont menés à leur propre destruction et avec eux l’ensemble de la civilisation au bord de l’abysse ? Pourquoi notre façon de penser nous a-t-elle égarés pendant si longtemps ? Est-ce simplement parce-que les gens ne savaient pas ce qui se passait ? Qu’ils n’étaient pas bien informés ? Les gens aujourd’hui sont noyés dans l’information ! On est inondé de données, de nouvelles, de reportages et pire encore : de ce qui nous a été infligé, ainsi qu’à nos enfants, durant toutes ces années.

Suite à l’erreur sanglante de la Révolution Française - occasion manquée d’amener la Révolution Américaine sur le continent européen afin d’anéantir le système oligarchique, Friedrich Schiller comprit que les circonstances objectives eurent beau être là, c’est la capacité morale de la population qui fit défaut - un grand moment a rencontré un petit peuple. Ce qui manque aujourd’hui n’est pas l’information, ni les occasions de changement, mais la capacité émotionnelle à réagir et réaliser la chance immense qui s’offre devant nous.

Nous devons donc réveiller en nos concitoyens la force intérieure du changement, si l’on veut sortir l’humanité de l’abysse. Nous devons rendre meilleurs nos concitoyens, et transformer la société actuelle – dégénérée au point d’avoir toléré et entretenu tant d’injustices pendant si longtemps – en une société morale, juste et bonne. Pendant que je parle vous imaginez peut-être votre voisin de palier ou les membres de votre famille, vos collègues, vos beaux-parents, ou encore les manifs impuissantes des mouvements dits de « résistance », et vous vous dites : « la victoire politique passe par les rendre moraux, justes et bons ?! Mon Dieu, on a aucune chance ! »

La culture populaire, c’est du lavage de cerveau

Réfléchissez un moment à la vie intellectuelle du citoyen ordinaire – vous y compris. Comment une personne ordinaire occupe-t-elle ses loisirs ? Qu’est-ce qui occupe les pensées, les moments de repos de la plupart des gens ? Combien de milliers d’heures de vie précieuse sont-elles perdues en « mode zombie », à machinalement surfer sur les réseaux sociaux ou cliquer de lien en lien sur internet ? Et comment les gens peuvent-ils penser que ça n’impacte pas leur vision du monde ?

Prenez la musique populaire, les divertissements populaires. Je vous épargne les détails sur ce que sont les paroles de la musique populaire ; vous les avez tous entendues, et vous avez tous vu les films et pièces de théâtre qui passent. Quel est le point commun à tout cela ? La banalité. La bestialité. Et pire encore, la violence. Regardez les jeux vidéos, auxquels jouent même les plus jeunes ! Violence ! Nos enfants, quand ils ne sont pas à l’école ou occupés par ailleurs, s’entraînent chaque jour au meurtre. Ne toucherait-on pas ici à la cause de l’échec des Américains à changer de direction ? Ainsi il n’y aurait pas de porte de sortie à cette crise. Aucun développement logique des croyances et du comportement de la société actuelle ne pourra apporter le changement nécessaire à l’humanité, le paradigme nouveau d’un futur fondamentalement différent des cinquante dernières années.

Le rôle de l’art classique

Comment résoudre ce paradoxe ? Le futur dépend du changement de la société, mais elle ne semble pas avoir les ressources pour y arriver ! D’où pourrait-il venir ? Certainement pas du Congrès (américain), ni des autres dirigeants de notre scène politique, en tous cas pas ceux d’Occident. Réfléchissez à nouveau à cette vie intellectuelle, et repensez notre discussion sous cet angle. Qu’en serait-il si les loisirs du citoyen moyen étaient occupés non à s’entraîner à la violence, ni au meurtre ni à la banalité, mais à l’acte de créativité, à la découverte ? Qu’en serait-il si pendant ses loisirs chacun entraînait son imagination à la pensée créative ?

Voilà le rôle de l’art classique. Friedrich Schiller le définit ainsi, dans « De l’usage du chœur dans la tragédie » :

L’art a pour objet bien plus que d’apporter un plaisir passager, une excitation vers un rêve éphémère de liberté ; son but est de nous rendre absolument libre, en éveillant, entraînant et perfectionnant en nous la capacité à maintenir à distance objective le monde sensible, à le transformer via le libre travail de notre esprit, acquérant ainsi un pouvoir sur le concret au moyen des idées. Pour la bonne raison que l’art véritable s’appuie sur l’objectivité et le réel, il ne sera atteint avec juste une parcelle de vérité ; en effet, il bâtit son édifice idéal sur la vérité elle-même — sur les profondes et solides fondations de la nature.

Quelle différence avec la conception actuelle de l’art, où ce n’est que ramassis de nos ressentis du moment. L’expression de toute sa propre souffrance, de ses névroses ou encore de son ennui qui suinte aujourd’hui et qui demain sera oublié. Pour Schiller - et ce n’est pas simplement son avis, mais une vérité avérée – l’art n’existe qu’à la condition d’être beau et d’élever l’esprit et l’âme du public vers le divin, cet idéal de l’humanité. Dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, Schiller écrit :

L’art, comme la science, est libre de toute considération pratique, et pourtant établi par convention humaine à distance de l’anarchie. Le législateur politique peut délimiter leur territoire, mais il ne peut gouverner à l’intérieur. Il peut toujours déclarer hors-la-loi l’ami de la vérité, la vérité existera encore ; il peut humilier l’artiste, mais il ne peut pas dégrader l’art. Durant des siècles, philosophes et artistes se sont efforcés d’apporter vérité et beauté dans les profondeurs d’une humanité vulgaire ; ils y sont ensevelis, mais vérité et beauté se débattent victorieusement à la surface avec chacune sa vitalité indestructible.

Éduquer ses émotions

Dans ce même ouvrage Schiller explique précisément le processus d’éducation des émotions. De la même façon qu’on peut étudier pour améliorer sa raison et sa connaissance, les émotions d’une personne peuvent être travaillées et élevées jusqu’à ce que ses désirs et impulsions coïncident avec ce qui est juste et bon. Ainsi devient-on ce que Schiller appelle une « belle âme ». La puissance acquise grâce à cet art véritable confère à l’artiste une grande responsabilité. Avant d’oser entreprendre une tâche aussi importante que de toucher l’âme de son audience, l’artiste doit être sûr de son effet, qu’il fera naître d’une libre action, d’une libre réponse de l’imagination de la personne – car sinon cette personne ne sera pas complètement libre. Schiller va plus loin encore, en écrivant :

Aussi difficile que ce soit de délimiter le champ de l’imagination sans empiéter sur sa liberté, cette première tâche n’est pas moins délicate que cette seconde, à savoir manier le jeu de l’imagination afin de déterminer l’état émotionnel de la personne.

Comment peut-on être sûr de l’effet subjectif, émotionnel, que l’on créé à travers une œuvre d’art ? La réponse est dans ce que Schiller appelle « la spécificité de l’espèce », c’est-à-dire ce qui est universellement humain en chacun – la personne idéale. À condition seulement de s’être élevé à ce niveau de l’universel – tout au moins le temps de la représentation - l’artiste sera capable d’accomplir cela.

Schiller précise cette notion de « spécificité de l’espèce » dans sa discussion sur les poèmes de Friedrich Matthisson :

Afin d’être certain qu’il s’adresse bien à la pureté au sein de la personne, l’artiste doit avoir au préalable annihilé l’individu en lui, et s’être élevé au niveau de l’espèce. C’est seulement quand il n’est plus sujet aux émotions appartenant à cette personne spécifique ou à celle-là (où la notion d’espèce restera toujours limitée), mais au contraire appartenant à l’humanité en tant qu’universel, qu’il peut être certain que les émotions de l’ensemble de l’espèce humaine suivront les siennes ; alors seulement il est habilité à mettre tous ses efforts pour atteindre cet effet, et à exiger cette pure humanité des autres êtres humains.

L’autre personne que j’aimerais inviter dans la discussion est Lyndon LaRouche, pour qui l’art classique, et la musique classique en particulier, fut au cœur de sa vie intellectuelle et façonna en grande partie la structure de sa pensée. La musique classique joua un rôle déterminant dans sa découverte en économie, et lui, en retour, enrichit conséquemment notre compréhension et notre amour de la grande musique. Je voudrais encourager chacun à étudier ses écrits sur la musique et sur le principe poétique.

La vraie musique n’est pas romantique

Lyndon LaRouche et Helga Zepp-LaRouche lors de la conférence fondatrice de l’Institut Schiller à Arlington en Virginie, les 3-4 juillet 1984.

Lors de la conférence fondatrice de l’Institut Schiller en 1984, LaRouche évoqua la différence qualitative entre la vraie musique – humaine – et le romantisme, qui est la caractéristique principale de la musique populaire actuelle :

« L’élément créatif en musique, la différence entre un musicien factice et un vrai, c’est que dans toute véritable musique la passion, la beauté, l’excitation n’est pas située dans les effets chromatiques sensuels - typiques du romantisme. Il n’est pas situé dans la « liberté » de l’ « interprète » – autre mot pour dire menteur – ni dans son style, ces effets gratifiants pour lesquels il est connu. L’exécutant est véritablement asservi à la musique, non d’une façon rigoureusement programmée, mais à la manière de toute grande musique contrapuntique, avec un processus de développement, un développement rigoureux. (...)

« L’excitation en musique est la même excitation que l’on ressent lors d’une découverte essentielle en science, ou encore celle d’un enfant lorsqu’il résout un problème ou ré-expérimente les découvertes faites avant lui ; la passion musicale est l’expérience de cette lumière éclairant votre esprit lorsque vous faites une découverte. C’est une émotion de l’ordre de l’amour, dans le sens le plus profond de l’amour. Aimer quelqu’un c’est l’aimer précisément en ces termes de passion – la passion de découvrir, la passion de créer, d’élever par la créativité, de communiquer quelque chose qui deviendra utile à jamais, immortel. »

Le pouvoir de la beauté

Une population entourée de beauté – dans l’art, l’architecture, la musique – qui capte l’imagination – cette capacité au jeu créatif inhérente à chaque personne – ne sera pas émotionnellement inapte à répondre aux grands défis de son époque, et fera siens les problèmes de l’humanité.

Est-ce à dire que plus personne sur Terre n’aura d’impulsions malsaines ni n’agira jamais plus comme un imbécile, chacun étant absolument parfait tout le temps ? Bien sûr que non ! Mais chez la majorité des gens le trait dominant sera d’apprécier la créativité, et préférer que les caractéristiques supérieures de l’humanité dominent leur caractère. Ainsi la majorité de l’humanité affichera et se réjouira d’un sens de divinité – de cette douceur de la vérité, comme Helga (Zepp-LaRouche) l’a souvent répété. Et c’est possible !

Je vous rappellerai enfin que nous vivons l’une des périodes les plus extraordinaires de toute l’histoire humaine : une de ces époques de grands bouleversements sociaux, où Percy Shelley y voit « une capacité accrue à communiquer et à recevoir des conceptions intenses et passionnées sur l’homme et la nature. » Pour la première fois dans l’histoire humaine, nous avons l’opportunité qu’une Renaissance voit le jour simultanément dans toutes les parties du monde – pas seulement dans une culture ou une région de la planète, mais pour l’humanité dans son ensemble. Nous vivons à un moment où l’humanité est finalement en passe d’éliminer la pauvreté pour de bon. Ce sont des moments où de grands changements, qu’on n’aurait pas imaginés possibles auparavant, deviennent réalité. C’est possible. Et parce que c’est possible, vous devriez vous joindre à nous et vous battre pour que ça arrive.