Marseille 2040, le jour où notre système de santé craquera

jeudi 5 septembre 2019, par Agnès Farkas

Revue de livre :
Marseille 2040 : Le jour où notre système de santé craquera - Une enquête de Philippe Pujol
aux éditions Flammarion, publié en 2018

Une belle réussite que ce roman d’anticipation !

Soutenu par des acteurs de la santé de la région PACA, Philippe Pujol a fait un véritable travail de prospective et présente à quoi pourrait ressembler notre système de santé en 2040. Cette enquête, rigoureusement documentée, démontre la nécessité d’un changement de paradigme avant la mise en place des ressources nouvelles apportées par les évolutions technologiques de l’intelligence artificielle.

Le héros, Antoine, 23 ans, est régulateur de santé et à partir de son ordinateur, surveille les besoins d’un certain nombre de patients sur un territoire donné. Il les suit grâce à des objets connectés et un système de puces qui lui permettent d’interpeller les services de santé adéquats en cas de problèmes médicaux. Antoine est donc au service de la santé des citoyens, mais il apprend qu’il va être remplacé par un programme informatique, Mediflux. Ce super-programme d’intelligence artificielle gérera seul, sans intervention humaine, toutes les données de santé de chaque patient. De plus, il prendra le contrôle de tous les unités médicales, l’humain devenant totalement asservi à la machine. Inquiet de voire la santé de ses patients être confiée à un algorithme qui, de plus, appartient à une entreprise privée, Antoine va mener sa propre enquête.

On apprend à travers les pages que le système de santé « a craqué en 2028 » suite à une épidémie de grippe qui a porté à saturation les services de santé. Ces derniers avaient subi maintes réformes qui les ont appauvris tant en infrastructures qu’en personnels. L’impossible est alors arrivé. Cette défaillance humaine a appelé à une surveillance dominée par l’intelligence artificielle et à une transparence totale des fichiers pour la faciliter. De plus, pour éviter une nouvelle défaillance, tous les individus sont « accompagnés » par un assistant de vie électronique qui relate leur moindre altération physique ou mentale à un grand central — dirigé par une entité inconnue sur laquelle Antoine enquête aussi — et les conseille en direct. Big Brother ? En tout cas, une dérive dans une logique où les humains deviennent au final de simples paramètres gérés par des programmes informatiques.

La fin du roman démonte l’idéologie du transhumanisme et donne au lecteur à penser à ses choix sociaux et politiques présents. Mais également, ce livre n’oublie pas de nous apporter dans ses annexes une idée intéressante des changements positifs qui pourront être apportés à notre système de santé d’ici 2030 : télémédecine, imagerie médicale, l’électronique médicale (pose d’implants...), domotique, gestes chirurgicaux assistés par ordinateur, extension du Samu15, etc. La naissance aussi de nouvelles équipes de spécialistes d’autres champs d’expertise que la santé : des bio-informaticiens spécialistes du datamining (traitement du big data), des spécialistes de la modélisation, de l’intelligence artificielle, de la robotique. Tout un monde de nouvelles professions médicales et paramédicales qui sont prometteuses d’avenir.

Cela peut paraître lointain, mais les institutions s’y préparent déjà, comme l’attestent, par exemple, les propositions de certaines Agences régionales de santé :

Une mutation des métiers de la santé sera bien plus radicale encore : en effet, la formation des professionnels de santé, et celle singulièrement des médecins, passera d’un long processus d’accumulation des connaissances à une pratique reposant sur l’apprentissage pour trouver l’information, être capable de les interpréter, d’en déduire des stratégies de soins, et surtout au développement de ses capacités de communication avec le patient pour que celui-ci puisse participer au choix de sa propre stratégie thérapeutique Extrait du cadre d’orientation stratégique de 2018, La santé en 2030 ARS PACA (page 213 du livre).

Or, pour mettre en place un véritable programme santé du futur et garantir que ces nouvelles technologies soient réellement mises au service des êtres humains et non pas détournées vers la big-brotherisation décrite dans ce roman, il faudra briser avec la logique purement financière qui promeut un pillage de l’économie et de la santé pour le paiement de la dette de la France aux marchés.

A la fin du livre, divers scénarios sont ainsi passés en revue. Un paragraphe est notamment consacré à la prise en compte de la dimension économique comme condition de l’accès aux soins. En effet, il serait criminel d’institutionnaliser, sous prétexte de rendre le système de santé plus performant et de réduire les coûts excessifs (« toute ressource mal utilisée est un coût social inutile, et un risque d’inégalités entre citoyens »), l’exclusion de certains malades et le triage des êtres humains. C’est pourtant dans cette logique de triage que sont fourvoyés le Royaume Uni, avec le parcours de soin N.I.C.E mis en place par Tony Blair en 2000, et les Etats-Unis sous Obama avec son Obamacare. La vie humaine ne tient pas à un tiroir-caisse qui sanctionne sous prétexte de rentabilité !

Ce qui porte à conclure sur la question éthique qui est au cœur de ce roman : « Vertueuse dans sa capacité vers plus de qualité et de pertinence, la recherche de performance peut conduire également à des décisions de refus de soins, comme dans le système britannique, voire à une forme de section adverse avec des risques d’exclusion », et d’appuyer « les réponses à apporter seront aussi politiques ». En réalité, aujourd’hui, les ressources mal utilisées sont celles qui disparaissent dans le vaste casino financier, ce qui pourrait nous mener au « Grand Flash » du roman.

La santé n’est pas une marchandise. Mon objectif est de sauver ce trésor national en demeurant fidèle aux principes qui inspirèrent Ambroise Croizat et Pierre Laroque et en faisant de la prévention massive et du respect de chaque malade une priorité absolue. Si les moyens existants sont mobilisés à bon escient, si une politique réellement humaine recentrant la médecine sur le malade (et non sur l’évaluation financière du coût moyen de la maladie) est mise en œuvre et la contribution des différents acteurs mieux coordonnée, nous pouvons déjà parvenir à une espérance de vie moyenne de cent ans, dans un état physique et sanitaire satisfaisant. Pourquoi nous en priver ? Pourquoi abdiquerions-nous face à des assureurs privés qui, comme on l’a vu aux Etats-Unis, ont conjugué l’envolée des dépenses avec des inégalités abyssales ?Jacques Cheminade, Le projet 2017, Santé